Retour sur le chef d'oeuvre de Stanley Kubrick "2001: l'Odyssée de l'espace", film expérimental qui a intrigué des générations d'amateurs de science-fiction.
Le mariage réussi de Clarke et Kubrick
Un film étrange, passionnant, mystique, révolutionnaire, cosmologique, cosmogonique, écrit avec Arthur C. Clarke, un écrivain anglais né en 1917, animateur de la British Interplanetary Society, scientifique un peu allumé, passionné d'astronomie et d'astronautique. Et quand un grand réalisateur rencontre un grand écrivain, ça donne un grand film.
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"2001: l'Odyssée de l'espace" est indéniablement grand, de par ses dimensions techniques, sa durée, sa portée et ses réflexions.
Il ne s'agit pas à proprement parler de science-fiction, mais de perspectives scientifiques, de reportage fiction et d'hypothèses raisonnables sur la conquête de l'espace. Et tout ça avant même que l'on ne pose le pied sur la lune.
"2001: l'Odyssée de l'espace" est un film expérimental qui a intrigué des générations d'amateurs de SF, comme il a intrigué des générations d'amateurs de Kubrick, de philosophes de comptoir et d'amoureux de l'espace.
Certains ont parlé d'opéra cosmique, d'autres de fantastique métaphore humaine, d'autres encore de prise de tête galactico-galactique...
"Je me méfie des films de science-fiction. C'est un genre qui doit donner à rêver et le cinéma rêve pauvrement. Nous restons toujours ou presque, sur notre faim. Mon film est l'exception. Il a coûté cher, mais il fallait tout inventer."
Stanley Kubrick (1968)
Synopsis
Le film se construit en 4 tableaux: l'aube de l'humanité, des vaisseaux dans l'espace, la mission Jupiter et Jupiter et au-delà de l'infini. Tout commence par un prologue.
Dans des paysages désertiques, lunaires, des singes apprennent la lutte, la vie en groupe, l'intelligence et découvrent l'existence d'un objet inconnu, en forme de lourde plaque. L'apparition de ce monolithe noir vers lequel se prosternent des singes cavernicoles et herbivores va révolutionner l'humanité. Sous l'influence du monolithe, ils se mettent à utiliser un os comme un outil, se mettent debout, deviennent carnivores et, de proies, évoluent en chasseurs humanoïdes.
Et puis vient l'odyssée. Le singe est devenu un être maîtrisant les techniques les plus prodigieuses. Dans un espace constellé d'étoiles tournent d'étranges machines. Nous sommes 4 millions d'années plus tard, et le monolithe est découvert sur la face cachée de la lune. Dans le cratère de Tycho, cette forme noire provoque des anomalies magnétiques et émet des ondes radioélectriques en direction de Jupiter.
Le Dr Floyd, scientifique américain, est appelé à se rendre sur place pour examiner l'objet. Il sera décidé ensuite d'envoyer, dès 2001, le vaisseau Discovery One en direction de Jupiter. A bord du vaisseau, 5 hommes, dont 3 sont endormis et un ordinateur de bord, HAL 9000, CARL en français.
Les deux astronautes, Dave Bowman et Frank Poole, vivent en harmonie avec l'ordinateur réputé infaillible. Mais celui-ci va débloquer et les humains décident de le déconnecter. À force de cohabiter et d'interagir avec des humains, CARL devient comme eux, se pose des questions sur la vie et la mort et l'expérimente en tuant un des astronautes, Frank. Fin de l'odyssée, début de la conclusion.
Arrivé près de Jupiter, Bowman, le cosmonaute survivant, va faire l'expérience d'un tunnel coloré, pour atterrir dans une chambre Louis XVI, en compagnie d'un vieillard, puis d'un fœtus et du monolithe noir. Un créateur, sa création, le tout accompagné du "Beau Danube Bleu" qui accompagne l'aube d'une nouvelle humanité…
Le réalisateur laisse à chaque spectateur le soin d'interpréter à sa guise l'apothéose psychédélique qu'est la fin du film. Il dira d'ailleurs: "Comment pourrions vraiment apprécier la Joconde si Léonard avait écrit en bas de son tableau: cette femme sourit parce qu'elle cache un secret à son amant. Je ne veux pas que cela arrive à "2001"".
"Dans "2001", les planètes dansent les unes autour des autres. Beaucoup de séquences du film ont d'ailleurs été pensées de façon chorégraphique. Les voyages vers la station orbitale sont structurés comme un numéro musical. Au lieu d'avoir des gens en train de chanter et de danser, nous avons une station orbitale et un vaisseau spatial qui évoluent gracieusement au son d'une valse."
Stanley Kubrick
Stanley Kubrick
Stanley Kubrick n'est pas un cinéaste comme les autres. C'est pour ça qu'il ne fait pas des films comme les autres. Kubrick est un génie, très pointilleux, un maniaque du détail qui a construit lui-même sa propre légende.
Il travaille sur toutes les étapes de la production: casting, musique, costumes, décors, éclairages. Il se pose comme un réalisateur européen, un auteur de film, et pas une "petite main" à la solde des studios hollywoodiens. De sa légende, nous retiendrons qu'il est manipulateur, perfectionniste, obsessionnel, contrôlant les plus petits détails avec intransigeance.
Le tournage
Pendant que Clarke et Kubrick peaufinent leur scénario, le décor lunaire du monolithe est construit à Londres dans les studios Shepperton et il doit bientôt être démoli pour laisser la place à d'autres productions. Le tournage commence dans l'urgence le 29 octobre 1965. Puis il continue dans les studios Borehamwood.
Kubrick prend des précautions sans précédent dans les annales du spectacle cinématographique. Les seules images du tournage qui sont publiées pendant deux ans sont celles de l'entrée du plateau, où on peut lire en guise de souhait de bienvenue, un impressionnant: "Attention: État d'apesanteur".
Le réalisateur a décidé que le film sortirait avant le premier vol habité pour la lune. Tout le monde est donc sur le pont pour satisfaire cette demande. Perfectionniste, Kubrick passe un an à fignoler, et le tournage n'avance pas vraiment.
En studio, le décorateur Tom Howard reconstruit une savane préhistorique, projetant sur le fond des diapositives de photos prises dans le Sud-Ouest de l'Afrique. Le coût du film enfle. Passe de 6 millions à 10 millions, c'est la moitié du budget de la mission Apollo.
Un tournage qui n'avance pas et des frais qui enflent, c'est, pour les producteurs, le signal que rien ne va! Les pontes de la MGM s'agitent. Le 4 février 1966, Stanley Kubrick réalise un bout à bout pour montrer aux producteurs ce que sera le film. En mai 1966, le bruit court que 2001 est la date de sortie du film. Le budget a été déjà multiplié par quatre et rien n'est prêt.
La bande originale
Si "2001: l'Odyssée de l'espace" a marqué à ce point les esprits, c'est parce que la musique y joue un rôle déterminant. Lorsqu'ils travaillent à l'écriture du scénario, Kubrick et Clarke écoutent le "Carmina Burana" de Carl Orff. Ils imaginent même de proposer à ce compositeur allemand l'écriture de la musique du film. Mais Carl Orff a 72 ans, il refuse.
En 1968, Kubrick pense également à un groupe de jeunes Anglais, les Pink Floyd, dont la musique planante irait très bien pour la bande originale. Comme Orff, le groupe refuse aussi. Qu'à cela ne tienne, Kubrick fait donc avec ce qu'il a, en attendant de trouver le compositeur idéal. Au fur et à mesure du montage, Kubrick habille les images de musique préexistante: "Ainsi parlait Zarathoustra" de Richard Strauss, "Le Beau Danube bleu" de Johann Strauss, "Lux Aeterna" et le Kyrie du Requiem de Ligeti, ainsi qu'un extrait du ballet "Gayaneh" de Khatchatourian.
La production n'est pas du tout du même avis que Kubrick et la MGM engage alors Alex North, un compositeur américain d'origine russe qui a déjà travaillé avec Kubrick sur "Spartacus".
En mars 1968, le réalisateur rentre en Amérique avec son film. Il fait les derniers ajustements, coupe et élague encore. Il élimine complètement la musique que North a composée, mais ne prend pas la peine d'avertir le compositeur de ses choix musicaux. Il ne garde de lui que les respirations angoissées et amplifiées des astronautes.
S'il y a une bande originale de film qui mérite quelques explications, c'est bien celle de "2001". Stanley Kubrick n’utilise finalement pour son "Odyssée" que des musiques classiques existantes. Coup de maître, révolutionnaire, kubrickien dirons-nous, où la musique devient un véritable élément émotionnel et narratif.
Le réalisateur invite le mythe sur grand écran, conçoit son film comme une comédie musicale.
La course aux étoiles
L'aventure spatiale de Stanley Kubrick commence en 1957 quand il voit "Planète Interdite" de Fred McLeod Wilcox, film où un savant fou veut devenir maître de l'espace. Ce film fait alors écho à ses propres préoccupations, à ses questionnements sur l'avenir de l'humanité. Car l'humanité en question est en train de se chamailler pour conquérir les étoiles.
Au cours des années 1950, Russes et Américains en pleine guerre froide accumulent, d'un côté comme de l'autre, des armes atomiques. L'arme atomique, c'est la technologie poussée à son ultime utilité. C'est une technologie qui apporte la destruction et non le salut. Tout le monde l'a compris depuis les drames d'Hiroshima et de Nagasaki. Dans ces années 50, deux puissances s'opposent et se jaugent. Le salut de la terre dépend du sang-froid des dirigeants.
Le contexte de cette crise nucléaire, de cette guerre froide, de cette course aux étoiles, de cette recherche d'une intelligence extraterrestre, trouve un réel écho dans l'imaginaire de Stanley Kubrick. Sa vision pessimiste de l'humanité ne peut que se nourrir des préoccupations stellaires mondiales.
La sortie du film
L'avant-première a lieu à l'Uptown Theatre de Washington DC, le 2 avril 1968. Kubrick est angoissé. Les studios sont nerveux. Le film a coûté très cher. Et puis personne en dehors de l'équipe de finition du film, pas même le PDG de la Metro Goldwyn Meyer, Robert O'Brien, ni le grand patron de la production, Maurice Silverstein, n'en ont vu ne serait-ce qu'une seule image.
La projection est un désastre. Plus de 200 personnes quittent la salle avant la fin. Alex North qui vient, malade, à l'avant-première du film, découvre pendant la projection que pas une note de sa musique n'est utilisée. Il est dévasté, dépité.
La sortie publique dans les villes américaines est prévue pour le 10 avril, 6 jours après l'assassinat de Martin Luther King, quelques semaines avant celui de Robert Kennedy. Kubrick a pris sa décision. Avec le monteur Ray Lovejoy dont c'est le premier boulot, il taille dans le vif, coupe plusieurs séquences, expurge des scènes, tricote et remonte le tout. Les deux hommes travaillent jour et nuit entre le 5 et le 9 avril. Les copies sont déjà parties dans les salles. Kubrick envoie des notes à chaque exploitant avec des directives méticuleuses pour que les projectionnistes effectuent eux-mêmes les coupes. Il ne sait pas si les coupes seront faites exactement comme il le souhaite. Il ne sait même pas si les coupes seront faites. C'est pour Kubrick une véritable torture mentale.
"2001", un chef-d'oeuvre devenu culte
Un club d'admirateurs se forme très vite de Roman Polanski à Federico Fellini, de John Lennon qui le voit chaque semaine, à Mick Jagger, de Richard Lester à Charlie Chaplin qui en pleure d'émotion après la projection. Mais le plus beau compliment est sans doute celui du cosmonaute russe Alekseï Leonov qui dira: "j'ai maintenant l'impression d'avoir été deux fois dans l'espace après avoir vu "2001"".
La presse anglo-saxonne unanime le qualifie de chef-d'oeuvre. "2001" est un événement. Pas seulement dans le domaine de la science-fiction, dans celui de la science tout court. Tout ce qu'on voit dans le film, les savants assurent qu'on le verra. Le livre du film signé par Arthur C. Clarke sort après le film. L'auteur, frustré, rajoute les explications qui ne figurent plus chez Kubrick. Il en rajoutera encore dans "2010 Odyssée 2", dans "2061 Odyssée 3", puis avec "3001 Odyssée Finale". Autant de livres qui n'ont jamais eu l'impact du film de Kubrick.
"2001, l'Odyssée de l'espace" reste un poème spatial. Une devinette cosmique. Un film culte. Reste donc un film énigmatique sorti en 1968. Stanley Kubrick a gagné la course aux étoiles d'un cheveu de comète. Le premier vol habité d'Apollo 7 devait avoir lieu en février 1967. Un accident au sol détruit la cabine tuant les trois astronautes. Autant de temps de gagné pour le réalisateur puisque les vols habités n'ont repris qu'en octobre 1968.
Apollo 8, lancé le 21 décembre 1968, sera le premier vaisseau mis en orbite autour de la lune. Plus tard, un de ses occupants, Bill Anders, dira qu'il a résisté à la tentation d'envoyer un message disant qu'il y avait un grand monolithe noir sur la face cachée de la lune. En 1969, le 20 juillet, le monde entier peut suivre l'arrivée sur la lune d'Armstrong, de Collins et d'Aldrin, les astronautes d'Apollo 11.
L'année suivante, la capsule d'Apollo 13 sera baptisée Odyssée et les astronautes enverront des images avec, comme fond sonore, les musiques du film de Kubrick.
Un pionnier du mythe moderne
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"2001, l'Odyssée de l'espace" est avant tout une expérience non verbale, souligne Stanley Kubrick. Il ne faut pas chercher à tout prix à comprendre. Il faut avant tout voir, entendre et sentir. Kubrick a voulu échapper aux contours trop rationnels du conte philosophique. Il cherche à suggérer que toute existence métaphysique se situe hors de notre logique.
Il réalise un spectacle qui ne doit plus seulement sa grandeur aux dimensions de l'écran. Il crée des images neuves, surprenantes. Kubrick, le pionnier qui arrache le cinéma d'anticipation à sa puérilité et lui ouvre des voies originales, voire vertigineuses. C'est ainsi qu'on parle du film dans la presse à sa sortie en 1968.