Plongée dans l'histoire de "Le Bon, la Brute et le Truand" du réalisateur italien Sergio Leone sorti en 1966, référence absolue en matière de renouveau du western.
Synopsis
En pleine guerre de Sécession, le Bon, la Brute et le Truand se croisent, se chassent, s'arnaquent. Ils sont trois chasseurs de prime, trois mercenaires, avides, chacun menant sa vie à sa manière.
L'un est un truand, Tuco, à la gueule épaisse, bruyant, gueulard, roublard, certainement le plus attachant des trois malgré sa gâchette très facile. Quant au Bon, Blondin, il n'en est pas moins roublard et arnaqueur que les deux autres, mais fait preuve de plus de considération pour ses semblables.
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Les trois hommes se connaissent et n'arrêtent pas de se croiser. Tuco le criminel est poursuivi par Blondin. Blondin l'arrête. Le remet aux autorités, touche la prime et s'en va.
Tuco est traîné jusqu'à une potence pour être pendu. Non. Un coup de feu, la corde casse. Tuco se sauve. A l'autre bout du coup de feu, Blondin range son fusil. Tout à l'heure, il va partager la prime avec Tuco et ils vont recommencer.
Chaque fois, la prime augmente. Ils croisent alors la route de la Brute. Un tueur froid, distant, n'hésitant pas à torturer, sorte de serpent en bottes de cow-boy, il est la brute sanguinaire du groupe. Les trois hommes vont se mettre sur la piste du même butin, 200'000 dollars enterrés dans la tombe d'un soldat inconnu.
Une révolution du genre
En 1966, Sergio Leone affirme la suprématie du western italien grâce à ce film et marque l'avènement d'un renouveau du western, genre très populaire, mais tombé en désuétude.
Les États-Unis n'en font plus, c'est l'Europe qui reprend le flambeau et Sergio Leone fait du grand art avec des cow-boys à un moment charnière de l'histoire du cinéma.
En Europe, les différentes nouvelles vagues déferlent un peu partout. Et c'est sous l'influence de ces écoles modernes européennes, mâtinées de tout ce qu'il connaît du cinéma américain, que Sergio Leone va se donner le droit de revisiter à sa manière les mythes de l'Ouest sauvage.
Il va proposer une nouvelle typographie de personnages, de situations, de décors de western qui vont littéralement révolutionner le genre et le propulser dans la catégorie "cinéma d'auteur".
"Hollywood a peu à peu oublié le contexte historique, notamment le fait que la violence, la cruauté, la nécessité de tuer pour vivre étaient la loi quotidienne dans l'Ouest des pionniers. J'ai donc abordé le western dans une optique néo-réaliste.
Si mes personnages sont toujours sales, c'est en fonction de ce que montrent les documents de l'époque. Personnellement, j'ai toujours trouvé ridicules les films hollywoodiens où, après avoir chevauché toute la journée, les héros sont propres et rasés de près."
Sergio Leone
Des héros aux gueules sales
Dans le film de Sergio Leone, les héros ont des gueules, les gens sont sales, les paysages sont grillés par le soleil, il y a alternance de très grands plans étirés, des contrastes entre une lenteur contemplative et une fulgurance des accès de violence.
Cruauté, primat de l'argent, absence de psychologie, ironie, roublardise, voici donc posés les éléments fondateurs du western spaghetti, où les personnages par opportunisme passent systématiquement d'un camp à l'autre.
Sergio Leone aime le genre western. Il le dit: "Plus qu'un genre cinématographique, le western est le territoire de nos rêves."
Une trilogie
En 1964, il réalise "Pour une Poignée de dollars", sous le pseudonyme de Bob Robertson. Il reprendra son nom ensuite. En 1965, "Et pour quelques dollars de plus". En 1966, "Le Bon, la Brute et le Truand", terminant ainsi sa trilogie du dollar comme on l'a surnommée.
Sauf qu'en fait, il n'y aurait pas forcément dû avoir de trilogie, puisqu'à la fin du deuxième film, Leone n'avait aucune idée d'un suivant, mais que, pressé par les producteurs de United Artists, il monte un projet bidon avec son scénariste.
Ils vendent pour 1 millions de dollars, une somme très importante à l'époque, l'idée de faire un film à propos de trois canailles à la recherche de trésors durant la guerre de Sécession.
Le tournage
Tout en plagiant un genre désormais classique, indissociable de l'Amérique, Leone introduit dans ses films un humour farceur réussissant à rendre drôle ce qui pourrait n’être que ridiculement et grossièrement macabre. Avec une réelle virtuosité technique, un sens du rythme, il joue de la violence, de la démesure, et il fait du western une étrange aventure tragi-comique.
Le film est censé se dérouler pendant la guerre de Sécession, la guerre fratricide qui a opposé le Nord et le Sud des Etats-Unis pendant 4 ans entre 1861 et 1865. Pour Sergio Leone, il est important, capital même que l'histoire, la grande Histoire, soit respectée pour que la petite histoire puisse être racontée. Pour recréer la magie, il faut se concentrer sur les détails crédibles, insuffler à la fable un certain réalisme. Il faut créer des héros en phase avec l'époque.
Alors il se documente. Se rend à la bibliothèque du Sénat à Washington.
"Je voulais montrer l'imbécillité humaine de même que la réalité de la guerre. J'avais lu quelque part que 120 000 personnes moururent dans les camps sudistes comme Andersonville, mais je ne voyais nulle part de référence aux morts dans les camps de prisonniers nordistes. On entend toujours parler des atrocités commises par les perdants, jamais de celles de gagnants. Alors je décidai de montrer les exterminations dans un camp nordiste. Cela ne plut pas aux Américains, pour qui la guerre civile est un sujet quasi tabou, parce que sa réalité est folle et incroyable. Mais la véritable histoire des États-Unis a été construite dans une violence que ni la littérature ni le cinéma n'ont su révéler comme ils l'auraient dû."
Sergio Leone
La violence, la vraie, est donc au cœur du nouveau film du réalisateur italien. Mais cette violence s'inscrit dans une autre forme de vraie violence.
Sergio Leone tourne son film dans une dictature. En 1966, l'Espagne vit encore sous le joug de Francisco Franco, militaire, chef d'Etat, menant son pays avec poigne, censure, et vertus théologiques.
Pourtant, en 1966, le vieux général Franco cherche à s'ouvrir au monde et c'est avec l'appui du régime franquiste, et l'aide de l'armée espagnole, que Sergio Leone va pouvoir tourner son film. En tout, 1500 soldats espagnols, et des centaines de figurants locaux seront mis à contribution.
Comme lieu de tournage, Leone choisit le désert de Tabernas, en Andalousie. Une terre aride qui ressemble aux paysages désertiques nord-américains dans lequel il fait tout construire: pont, cimetière, arène...
Les héros du film
"Le Bon, la Brute et le Truand" s'ouvre par trois scènes de présentation des trois personnages principaux.
Le Truand, c'est Eli Wallach, Ely en anglais si vous préférez, la Brute Lee Van Cleef et le Bon, Clint Eastwood.
En 1966, Sergio Leone a déjà travaillé sur deux films avec Clint Eastwood et un avec Lee Van Cleef. Par contre, c'est la première fois qu'il engage Eli Wallach qui se montre excellent.
Les acteurs américains jouent en anglais, les autres en italiens ou en espagnol. Quant au doublage, on le fait à New York en post-production.
Mais si vous êtes attentifs, vous verrez qu'aucun dialogue n'est véritablement synchronisé. Ce n'est pas un souci majeur de Sergio Leone.
La bande-originale
Ennio Morricone, ce n'est pas que les westerns. C'est de la musique classique, beaucoup de pièces pour musique de chambre ou orchestre, du jazz, des arrangements pour la télévision, pour des chansons dont celles de sa compatriote Milva et pour Mireille Mathieu. Mais surtout, Ennio Morricone, c'est de la musique de films.
Il ne peut y avoir un film de Sergio Leone sans la musique d'Ennio Morricone. Les deux hommes sont liés à jamais dans l'histoire du cinéma. Ils se sont connus sur les bancs de l'école.
Pour "Le Bon, la Brute et le Truand", troisième collaboration avec Sergio Leone, il va choisir pour chaque protagoniste un instrument qui le caractérise. La flûte pour le Bon, Blondin. L'Ocarina pour la Brute, et la voix pour Tuco, le Truand.
Un hurlement d'animal sauvage, avec des ah et des hé pour donner l'illusion du coyote, des sifflements, et une guitare à la rythmique entraînante. Il n'en faut pas plus pour ancrer le film dans la légende du cinéma, surtout que le réalisateur, Sergio Leone, n'hésite pas à diffuser la musique sur les lieux du tournage, préférant parfois celle-ci aux dialogues.
Film musical, "Le Bon, la Brute et le Truand" l'est indéniablement.
La sortie du film
En 1966 débute en avril la Révolution culturelle en Chine. Les Beatles donnent leur dernier concert à San Francisco. Indira Gandhi devient première ministre de l'Inde. Les Américains commencent à bombarder le Nord Vietnam pendant qu'un Béluga remonte le Rhin jusqu'à Bonn et que Charles de Gaulles voyage jusqu'à Moscou pour signer des accords de détente.
En 1966, Buster Keaton, Montgomery Clift et Walt Disney meurent.
Au cinéma, on voit "La Grande Vadrouille", "Fahrenheit 451", "Paris Brûle-t-il?" , "Qui a peur de Virginia Woolf", "Docteur Jivago", "Un Homme, une femme" et bien entendu, "Le Bon, la Brute et le Truand".
Le 23 décembre 1966, c'est la première à Rome. C'est un succès. Les salles se remplissent comme jamais auparavant pour un western.
Chez United Artist, les producteurs sont abasourdis. Les chiffres sont bons, excellents même. Il n'y a que les critiques à s'effrayer de cette guerre de Sécession non romancée du film.
On qualifie le film de western spaghetti, un terme que Leone déteste car péjoratif. À l'époque, la plupart des critiques considèrent ses films comme une trahison de l'esprit western.
Les films de Leone se caractérisent par une mélange de tragédie antique et de commedia dell'arte, avec au fur et à mesure de la progression de l'œuvre, un souci du détail historique.
Même s'il n'a tourné que six films purement personnels, Sergio Leone aura une influence déterminante sur le cinéma contemporain, sur l'image moderne du héros, et sur l'interaction entre images et musique.
Crédits
Une proposition de Catherine Fattebert pour l'émission "Travelling"