Des images du film "Valérian et la Cité des mille planètes" de Luc Besson. [AFP - EuropaCorp s / TF1 Films product / Collection ChristopheL - Mateusz Wlodarczyk / NurPhoto]
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"Valérian est une pièce unique faite à la main"

Entretien avec Luc Besson à l'occasion de la sortie de "Valérian et la cité des mille planètes". Le cinéaste est un fan invétéré de la bande dessinée "Valérian", de Pierre Christin et Jean-Claude Mézières, parue dès 1967 sous forme d’épisodes dans le magazine "Pilote". Vingt ans se sont écoulés depuis que l’idée d’une adaptation a germé dans sa tête.

8 questions à Luc Besson

Rencontre à la Cité du cinéma

Propos recueillis par Raphaële Bouchet à la Cité du cinéma, en Seine-Saint-Denis, le 6 juillet. Entretien diffusé dans Vertigo les 19 et 26 juillet.

Quels sont vos premiers souvenirs liés à la découverte de "Valérian"?

J’avais dix ans. A l’époque, il n’y avait qu’une seule chaîne de télé en noir et blanc, pas de musique, pas internet, pas de jeux vidéo. Et c’est dans ce contexte-là que je découvre Valérian et Laureline, deux agents spatio-temporels, c’est-à-dire des agents qui voyagent dans le temps et dans l’espace. Rien que ça, ça me mettait la tête à l’envers! Et je ne suis pas tombé amoureux tout de suite, mais j’ai été intrigué dès les deux premières pages. Il me fallait attendre une semaine pour avoir le prochain numéro de "Pilote" et lire deux pages de plus. J’ai donc appris le désir et la patience, et je suis devenu accro, j’ai suivi les 29 albums de "Valérian". Voilà comment tout a commencé.

À partir de quand vous avez su que vous en feriez un film?

L'affiche du film "Valérian et la cité des mille planètes" de Luc Besson.

Bien après. Quand je travaillais avec Jean-Claude Mézières, le dessinateur de "Valérian", sur "Le 5e élément", c’est lui qui me dit: "Mais pourquoi tu fais ce truc stupide, "Le 5e élément", au lieu d’adapter Valérian?" C’était il y a vingt ans, je n’y avais jamais pensé. Le soir, chez moi, j’ai feuilleté les albums, mais ça me semblait techniquement impossible de représenter trois personnages et 3000 aliens. Et puis, régulièrement, on boit des verres avec Mézières et il revient à la charge. Et il y a dix ans, j’ai acheté les droits en me disant "essayons, on va commencer doucement". On est partis avec beaucoup d’humilité. Parce qu’avant les innovations techniques d’"Avatar", de James Cameron, "Valérian" aurait été impossible à réaliser. Et puis, tout s’est accéléré il y a quatre ans. Mais ce projet-là, c’est pas comme si un copain vous disait: "Tiens, ça te dit de faire le tour du monde en bateau avec moi?" On ne répond pas: "Oui, super!" On prévient sa famille, on se prépare physiquement, donc j’ai mis du temps parce que je n’étais pas sûr d’être capable de le faire et de le faire bien. Et j’ai fini il y a une semaine, après sept ans de travail avec 2000 collaborateurs. Je vois enfin la côte. Et je me dis: "ça y est, je l’ai fait."

Quand vous commencez à écrire le scénario, comment envisagez-vous les choses pour vous approprier cet univers sans le trahir?

Ne pas trahir, c’est facile, ce n’est pas mon genre. Pour le reste, j’ai beaucoup parlé avec Pierre Christin et Jean-Claude Mézières, les deux papas de Valérian, pour cerner l’affaire. Curieusement, ce sont eux qui ont défini le champ d’action, qui était beaucoup plus large que ce que j’avais imaginé. Christin m’a beaucoup encouragé à sortir des cases, à le surprendre. Vous savez, c’est comme dans les histoires d’amour, quand votre conjoint vous dit: "Mais vas-y, sors, va voir tes amis", du coup, comme vous vous sentez libre, vous sortez moins. Donc j’ai été certainement beaucoup plus fidèle à mes deux papas. Il y a 29 albums, c’est une masse considérable de documents et de pistes. Durant la première année d’écriture, mon travail a été d’explorer, de faire la liste des thèmes, la liste des aliens par familles, les mondes, les personnages, leur humour, le rapport entre Valérian et Laureline, etc. C’est un peu comme aller à l’hôpital pour faire un check-up complet. Ce n’est qu’au bout d’un an, un an et demi, on met en place les thèmes principaux du film, on récupère dans les albums les moments les plus cinématographiques. J’ai poli le script pendant quatre ou cinq ans pour qu’il soit patiné et qu’il ait l’air homogène. C’est un travail orfèvre, c’est une pièce unique faite à la main, qui demande beaucoup d’heures de travail.

Durant la réalisation du film, avez-vous retrouvé ce plaisir d'enfant qui était le vôtre quand vous lisiez la BD il y a quarante ans?

Non, jamais, c’est impossible. A 50 ans, on est adulte, on a 2000 personnes sous sa responsabilité. Et même si le film est enjoué, fun et coloré, ça reste un film d’adulte. Mais j’ai de très bonnes relations avec ce petit Luc de 10 ans. On se parle souvent, je le connais bien. Un grand philosophe a dit que l’enfant était le père de l’homme. C’est très juste. Je m’entends très bien avec ce petit garçon que j’ai été et que je ne suis plus, et j’ai le sentiment d’avoir fait le film pour lui.

Avec ses 197 millions d’euros de budget, "Valérian" est le film le plus cher du cinéma français à ce jour. Qu’est-ce qui coûte cher dans ce genre de projets?

Payer les gens! Sur mon premier film, je ne pouvais payer personne. Donc je suis très heureux d’avoir pu les payer. Sept ans de travail et 2000 personnes, oui, ça coûte cher. Mais ce n’est pas très grave, le prix du billet reste exactement le même.

Mais alors quel est l’enjeu pour vous? On dit que vous jouez à quitte ou double sur ce film-là, c’est vrai?

Les on-dit, d’abord, je ne sais pas qui c’est. Non, je ne joue pas du tout à quitte ou double. J’ai fait le film dont je rêvais. J’en suis très fier. Je suis heureux et ému de tout ce que ces collaborateurs ont pu me donner. Après, il y a l’avenir, est-ce que les gens vont l’aimer, est-ce qu’ils seront nombreux ou pas, est-ce que ce sera un flop ou un chef-d’œuvre? Ça, c’est la vie du film. Quelque part, bizarrement, ça ne me concerne pas. Ma passion, mon travail, s’arrêtent la veille de la sortie.

Mais vous n’auriez pas envie qu’elle s’arrête, cette passion, puisque vous souhaitez donner une suite à "Valérian"…

Une scène de "Valérian et la cité des mille planètes", un film de Luc Besson avec Cara Delevingne.

Oui, j’ai encore envie de faire du cinéma. La suite de "Valérian", oui, avec plaisir. Mais ce n’est pas moi qui décide. Ce sont les spectateurs. Vous savez, quand vous êtes à table et que personne ne rit à vos blagues, il faut vous arrêter. Si personne n’aime le film, je ne vais pas en imposer un deuxième. Il faut que ce soit fait par désir, par plaisir et par envie. En revanche, si je rencontre des gens de par le monde qui ont aimé et me demandent une suite, là, ça me motiverait.

Quel est votre rêve par rapport à "Valérian", avez-vous eu envie de créer une nouvelle mythologie contemporaine, comme George Lucas l’a fait avec "Star Wars"?

Une image du film "Valérian et la Cité des mille planètes" de Luc Besson.

Non, pas du tout, mon rêve, c’était de le faire et je l’ai fait. Je n’ai pas du tout ce genre de rêve de démesure. La démesure que j’ai, elle est dans la fabrication des choses.

Extrait audio de l'interview de Luc Besson

Au micro de Vertigo

>> Au micro de Raphaële Bouchet dans Vertigo :

Luc Besson lors de la Première de "Valérian et la Cité des mille planètes" à Berlin. [AFP - Britta Pedersen]AFP - Britta Pedersen
Extrait de l'interview de Luc Besson par Raphaële Bouchet / Vertigo / 3 min. / le 21 juillet 2017
Luc Besson lors de la Première de "Valérian et la Cité des mille planètes". [AFP - Geoffroy Van Der Hasselt]AFP - Geoffroy Van Der Hasselt
Cinéma: "Valérian est une pièce unique, faite à la main" / Vertigo / 10 min. / le 26 juillet 2017

"Valérian et la Cité des mille planètes"

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