"Brazil", film d'anticipation de Terry Gilliam

Grand Format

Photo 12 / AFP - Jonathan Pryce

Introduction

Un monde totalitaire où les erreurs administratives peuvent conduire aux pires atrocités.

Synopsis

Noël, quelque part au 20e siècle. Sam Lowry, petit fonctionnaire au Ministère de l'Information, évolue dans une société sinistre, polluée, au machinisme omniprésent, à la bureaucratie soupçonneuse, répressive, tentaculaire, mais gangrénée par l'incompétence.

Dépourvu d'ambition et d'esprit de révolte, il participe au système et ne s'évade que la nuit, dans des rêves où il se voit en chevalier ailé défiant les forces des Ténèbres, sauvant une femme en détresse.

Un jour, un insecte tombe dans un ordinateur affecté au recensement des criminels et délinquants recherchés par la police. L'intrusion de la bestiole provoque un dysfonctionnement dans la machinerie bureaucratique, substituant au nom du saboteur Tuttle celui d'un honnête père de famille: Buttle. Promptement arrêté, celui-ci mourra pendant un interrogatoire musclé.

Le personnage du chevalier ailé dans "Brazil". [AFP - Embassy international pictures / Collection ChristopheL]
Le personnage du chevalier ailé dans "Brazil". [AFP - Embassy international pictures / Collection ChristopheL]

Sam Lowry, chargé de rembourser la veuve, se rend chez elle et y rencontre une voisine, Jill, jeune femme dont le visage est celui de la fille qui hante ses rêves.

Par amour pour elle, le fonctionnaire zélé qu'il est va peu à peu quitter son confort hypocrite. Il accepte une promotion au service du Recouvrement d'Information pour effacer le nom de Jill du fichier des suspects et finit par tomber lui-même dans la machine totalitaire.

Les acteurs Jonathan Pryce et Kim Greist dans "Brazil". [AFP - Collection Christophel © Embassy international pictures]
Les acteurs Jonathan Pryce et Kim Greist dans "Brazil". [AFP - Collection Christophel © Embassy international pictures]

Projet

Une fin d'après-midi de mai 1977, Terry Gilliam visite les alentours de Port Talbot, petite ville industrielle du Pays de Galles.

Dans ce décor étrange d'une singulière beauté, il imagine un homme assis avec une radio portative qui diffuse la chanson "Brazil". La mélodie et le rythme latin lui semblent alors comme l'évocation d'un monde moins gris, entraînant l'auditeur loin des usines, loin des tours d'acier et loin des chaînes de montage.

"Et parce que cette musique l'obsède, elle change sa vie. Pour cette raison, je tenais à ce que le titre du film soit celui de cette chanson, "Brazil".

Cette première image est le point de départ du film. Tout s'est développé à partir d'elle, cette vision sur la plage noire, même si on n'en trouve aucune trace dans le scénario et encore moins dans le film."

Terry Gilliam

Terry Gilliam écrit le scénario définitif de "Brazil" en 1983. On y retrouve toutes les préoccupations du réalisateur engrangées pendant les six années de préparation. Toutes ses envies et toutes ses références.

Dans le scénario, puis dans le film, il met ses influences foisonnantes: il y a de la peinture avec Pieter Brueghel l'Ancien, de la littérature avec "Don Quichotte" de Cervantès, mais aussi Kafka et évidemment George Orwell et son "1984". Il y a du cinéma avec "Le cuirassé Potemkine" d'Einsenstein, "Metropolis" de Fritz Lang, "Les Sept Samouraïs" d'Akira Kurosawa, "Les Sentiers de la gloire" de Stanley Kubrick et bien sûr "Sueurs froides" et "Psychose" d'Alfred Hitchcock.

Terry Gilliam

Le réalisateur Terry Gilliam en 2006.
Le réalisateur Terry Gilliam en 2006.

Né le 22 novembre 1940 à Minneapolis, Terry Gilliam a été un talent précoce dans le domaine du dessin satirique. Après son service militaire, il part pour la première fois en Europe, faisant de l'auto-stop durant quelques mois avant de rentrer à Los Angeles où un emploi l'attend dans une agence du pub chargé des campagnes d'Universal Pictures.

En 1967, il fait sa valise et s'installe définitivement à Londres. Il y retrouve John Cleese qu'il a déjà rencontré aux USA et qui le pousse vers la BBC. Introduit dans la place, Gilliam est vite embrigadé dans l'aventure la plus jubilatoire de l'histoire de la télévision, l'inégalable "Monty Python's Flying Circus".

De 1969 à 1974, les comiques des Monty Python ravagent les petits écrans, tirent sur tout ce qui bouge: la religion, le couple, la famille, la politique, la société.

Gilliam participe avec enthousiasme à ce débordement des traditions satiriques avec un burlesque et un mauvais goût assumé.

Son premier film, "Jabberwocky", sort en 1974.

Tournage

Le tournage de "Brazil" débute au mois de novembre 1983 et dure, au moins pour les scènes incluant les maquettes, jusqu'en août 1984. Il se déroule pour la majeure partie dans la région de Londres, dans le quartier des docks et dans une centrale électrique du sud de la ville où sera installée l'immense salle de torture où prend fin la trajectoire de Sam. D'autres scènes sont filmées à Marne-la-Vallée, dans un ensemble néo-classique, conçu près de Paris.

Le tournage de "Brazil" ne connaît pas d'incidents majeurs. L'équipe, peuplée d'amis et de collaborateurs fidèles, fait dans l'excellence et les comédiens donnent plus que ce qu'attendait le cinéaste. Seule Kim Greist, interprète de Jill, se signale par des caprices nuisibles. Les autres pénètrent sans mal dans l'univers singulier de Gilliam.

Jonathan Pryce, trop peu connu aux yeux des distributeurs américains, est un Sam idéal et l'inattendu Robert de Niro fait merveille dans le rôle de Harry Tuttle, chauffagiste rebelle.

Jonathan Pryce dans le film "Brazil". [AFP - Embassy international pictures / Collection ChristopheL]
Jonathan Pryce dans le film "Brazil". [AFP - Embassy international pictures / Collection ChristopheL]
Robert de Niro dans le film "Brazil" de Terry Gilliam. [AFP - Embassy international pictures / Collection ChristopheL]
Robert de Niro dans le film "Brazil" de Terry Gilliam. [AFP - Embassy international pictures / Collection ChristopheL]

L'un des défis majeurs du tournage est la réalisation de la scène dite "des monolithes", quand d'immenses colonnes de briques surgissent du sol en soulevant la terre, bloquant la route à l'homme volant. "Quelqu'un a dit que les rêves sont sexuels, commente Gilliam. Lorsque les monolithes sortent de terre, ce sont d'immenses érections qui lui bloquent la vue."

George Gibbs, spécialiste des effets spéciaux sur le film, raconte: "Puisque Terry voulait avoir des plans en plongée et en contre-plongée impliquant des panoramiques verticaux, une maquette du paysage, faisant huit mètres de large sur dix-huit mètres de long, a dû être construite. La maquette était installée sur une plate-forme, à environ trois mètres dans les airs, afin de nous permettre de pousser les monolithes vers le haut grâce à un système de pression hydraulique. Après chacune des prises, tout le décor de surface, c'est-à-dire le gazon et les arbres, devait être entièrement reconstruit."

Quant à la chambre d'extermination, c'est en jetant fortuitement un coup d'œil à l'intérieur d'une tour de refroidissement de la Croydon Power Station, autour de laquelle l'équipe tournait depuis quelques jours, que Gilliam a remis ses idées en question: "J'avais toujours voulu que les édifices du Ministère de l'Information soient réguliers et anguleux, avec des formes très découpées, sans aucune courbe. Mais quand j'ai vu l'intérieur de la tour, j'ai dû y renoncer. Le lieu était si étonnant qu'on ne pouvait tout simplement pas passer à côté."

Le tournage s'achève en 1984. Tout le monde est très heureux. Le film est sublime. Mais la bureaucratie va rattraper Terry Gilliam et donner lieu au plus formidable combat entre un réalisateur et des distributeurs de l'histoire du cinéma.

La chambre de torture à la fin du film "Brazil". [Photo12 / AFP]
La chambre de torture à la fin du film "Brazil". [Photo12 / AFP]

Sortie du film

En janvier 1985, Terry Gilliam et le producteur Arnon Milchan présentent "Brazil" aux responsables des compagnies distributrices. Le film est un peu plus long que prévu par contrat, mais les responsables de la Fox, conquis par le spectacle, n'y trouvent rien à redire. Ils sortiront le film dans les délais convenus.

Du côté d'Universal, gestionnaire de l'important marché américain, l'accueil est bien moins enthousiaste. La salle Alfred Hitchcock, située au cœur du studio Universal qui accueille la première vision du film, résonne en ce 23 janvier 1985 de bien inquiétantes rumeurs. Robert Rehme, qui avait engagé la firme en 1983, n'est plus de la maison. Le pouvoir de donner ou non le feu vert à la sortie du film appartient désormais à Sidney J. Sheinberg et ce dernier n’aime vraiment pas le film qu'il vient de découvrir.

Trop long, trop peu clair, ce "Brazil" n'est pas un bon produit pour le public américain. Pourtant, Sheinberg ne se désintéresse pas totalement du film, ce qui simplifierait les choses; il croit savoir mieux que l'auteur et le producteur ce que devrait être "Brazil". Et quand Gilliam lui propose une version ramenée à la durée prévue par contrat, il refuse et préfère confier le montage final à une équipe choisie par ses soins et en attendant l'utile comparaison des deux versions, retarde la sortie du film.

L'affiche du film "Brazil" de Terry Gilliam. [DR]
L'affiche du film "Brazil" de Terry Gilliam. [DR]

Gilliam apprend la nouvelle au téléphone. Il rugit de colère. Nous sommes déjà le 17 juillet 1985, la guerre de "Brazil" vient d'être déclarée. Elle durera plusieurs mois et quittera bientôt l'intimité pour répandre ses effets dans la presse.

Gilliam a décidé de porter le conflit sur le terrain médiatique. Il vient à la télévision avec Robert de Niro, pour exposer son point de vue, achète une page entière dans Variety et y fait imprimer: "Cher Sid Sheinberg, quand allez-vous libérer mon film Brazil?" Sheinberg et Universal sont surpris par ces interpellations publiques qui violent une règle de silence qui veut qu'à Hollywood, on lave son linge sale en famille.

Ils vont contre-attaquer en menaçant Gilliam et son producteur de poursuites s'ils montrent leur film à la presse. Les deux hommes ignorent l'avertissement et organisent quelques previews clandestines auxquelles assistent notamment des critiques de Los Angeles. Pour la plupart enthousiastes, ceux-ci vont se faire un plaisir d'attribuer, le 14 décembre 1985, leur grand prix annuel à "Brazil". Une nouvelle entorse à la règle puisque le prix doit aller à un film déjà en circulation.

"Les gens de Universal ne savaient pas ce qu'était "Brazil". Ils ne comprenaient pas le film. Pour eux, l'important était d'enlever tout ce qui pouvait déranger le public, en fait, tout ce qui le rendait intéressant."

Terry Gilliam

Quoiqu'il pense de "Brazil", Sheinberg ne peut plus bloquer la diffusion d'un film primé dont on commence même à parler pour une nomination aux Oscars. La mort dans l'âme, il lui faut diffuser l'objet du conflit dans une version raccourcie, mais signée de son auteur. Sorti à contrecœur et sans publicité valable, "Brazil" ne sera pas un succès aux États-Unis. Le public des grandes villes l'adore, mais l'Amérique profonde l'ignorera superbement. Ou alors, on croira que c'est un documentaire sur le Brésil. Ce conflit fait désormais partie de l'histoire du cinéma.

>> L'émission "Travelling" consacrée au film :

Une scène du film "Brazil" de Terry Gilliam (1985). [Collection Cinema / Photo12 / AFP]Collection Cinema / Photo12 / AFP
Travelling - Publié le 10 août 2017

Gilliam dit encore: "J'ai eu une liberté totale sur "Brazil". Arnon Milchan m'a permis de le mener à bien sans pression extérieure, ni impératif commercial. A la fin, il m'a avoué: "Oh c'est un très bon film, mais il aurait été encore meilleur si tu avais ajouté des choses plus commerciales". Heureusement "Brazil" était bouclé et on ne pouvait rien y changer. Vous connaissez la suite, cette désastreuse sortie américaine et le combat qu'il a fallu menu pour protéger le film, mais je m'en suis bien sorti".

Crédits

AFP - Embassy international pictures / Collection ChristopheL

Une proposition de Catherine Fattebert pour l'émission "Travelling"

Réalisation web: Andréanne Quartier-la-Tente

Août 2017

RTS Culture