Le Lauréat, emblème d'une génération

Grand Format

AFP - Lawrence Turman

Introduction

En 1967, "Le Lauréat" raconte les amours adultères de Benjamin Braddock avec une femme plus âgée. L'histoire choque. Outre son caractère sulfureux, le film parle de la jeunesse de l'époque et bouscule les conventions.

L'histoire

Dustin Hoffman incarne Beinjamin Braddock dans "Le Lauréat" de Mike Nichols. [AFP - Lawrence Turman]
Dustin Hoffman incarne Beinjamin Braddock dans "Le Lauréat" de Mike Nichols. [AFP - Lawrence Turman]

Benjamin Braddock vient de finir ses études. Après avoir été le lauréat de la bourse de Harvard, il rentre chez ses parents. Il veut profiter de la piscine, du soleil, ne rien faire et réfléchir à son avenir qui l'angoisse.

Il arrive à la maison alors que ses parents organisent une fête. Ils l'invitent à se joindre à eux, mais Benjamin préfère rester seul. Il est rejoint par Mme Robinson qui lui demande de la raccompagner chez elle pour attendre son mari. Une fois chez elle, elle lui fait des avances, se déshabille.

Anne Bancroft incarne Mrs Robinson dans "Le Lauréat" de Mike Nichols. [AFP - Lawrence Turman]
Anne Bancroft incarne Mrs Robinson dans "Le Lauréat" de Mike Nichols. [AFP - Lawrence Turman]

Benjamin résiste et se sauve quand son mari arrive. À la demande de Mrs Robinson, ils se retrouveront à l'hôtel tout l'été, lors de rendez-vous secrets.

C'est alors que la fille de Mme Robinson revient, elle aussi, chez ses parents. Sous l'impulsion de Mr Robinson, les jeunes gens se mettent à sortir ensemble. Benjamin tombe immédiatement amoureux d'Elaine Robinson. Sa mère en devient folle de jalousie. Pour mettre fin à leur relation, elle organise un mariage avec un autre homme.

Les origines

À l'origine, "Le lauréat" est le premier roman en grande partie autobiographique publié par Charles Webb en octobre 1963. C'est l'histoire des amours d'un été entre un étudiant et une femme mûre qui lui fait des avances. Il choque un peu mais ne fait pas plus de vagues que cela.

Charles Webb a 24 ans lors de sa publication. Fils de médecin en rupture avec la société et avec son père, il est maladroit, mal dans sa peau, coincé entre ses études et son désir de liberté. Il ressemble à son personnage. Il refuse l'héritage de son père, devient cafetier puis gérant d'une colonie nudiste.

Son roman est repéré par Lawrence Turman, jeune producteur débutant dans le milieu du cinéma hollywoodien. Il n'a aucun mal à négocier les droits avec Charles Webb. La légende veut qu'il en offre 1'000 dollars mais le chiffre officiel est de 20'000 auxquels se rajouteront 10'000 une fois le film devenu un succès planétaire.

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Les débuts

Mike Nichols aux "AFI Lifetime Achievement Awards" en 2010. [Keystone - CHRIS PIZZELLO]
Mike Nichols aux "AFI Lifetime Achievement Awards" en 2010. [Keystone - CHRIS PIZZELLO]

Une fois les droits en poche en 1963, Lawrence Turman contacte son ami Mike Nichols, également juif et new-yorkais. À 33 ans, il a une belle carrière de stand-up comique en duo sous le nom de Nichols et May, et de metteur en scène de théâtre.

En 1966, il réalise son premier long-métrage à succès, "Qui a peur de Virginia Woolf", pour lequel Elizabeth Taylor reçoit l'Oscar de la meilleure actrice.

Elizabeth Taylor pendant le tournage de "Qui a peur de Virginia Wolf" en 1966. [AFP - Wolf Tracer Archive]
Elizabeth Taylor pendant le tournage de "Qui a peur de Virginia Wolf" en 1966. [AFP - Wolf Tracer Archive]

Lawrence Turman comme Mike Nichols voient tout de suite le potentiel cinématographique du livre de Charles Webb. Ils imaginent pouvoir en faire un pamphlet contre la société bourgeoise et ses conventions.

Ensemble, ils mettront deux ans pour trouver les fonds nécessaires à la réalisation du film ainsi qu'un distributeur: Warner, Paramount, Universal, Columbia… Personne ne veut de cette histoire.

Joseph Levine sera le seul à accepter. C'est un producteur caricatural et fort en gueule qui aime les jolies filles, la bonne nourriture, n'a pas peur de produire des navets et sait comment faire de l'argent. Il résume le film ainsi: "c'est l'histoire d'un ado qui épouse une fille dont il a baisé la mère". Il aime l'histoire car il sait qu'elle va choquer et cela l'amuse. Il sait également que lorsqu'un film choque, cela peut rapporter.

Il offre les moyens techniques à la réalisation du projet et convoque Calder Willingham, qui a travaillé avec Stanley Kubrick pour en écrire le scénario. Mais celui-ci en fait une histoire qui tire sur le porno soft et sera remplacé par Buck Henry qui n'a jamais écrit de scénario de film auparavant.

Ben Mankiewicz et Buck Henry attendent la projection du "Lauréat" au "TCM Classic Film Festival" en 2017. [AFP - Emma McIntyre]
Ben Mankiewicz et Buck Henry attendent la projection du "Lauréat" au "TCM Classic Film Festival" en 2017. [AFP - Emma McIntyre]

Buck Henry est le président de la "Société contre l'Indécence des animaux nus" et le collaborateur de Mel Brooks, comique de la télé. C'est dans le milieu du show-biz juif new-yorkais que l'entier de la production du "Lauréat" se passe. Pendant que Buck Henry écrit, Mike Nichols et Lawrence Turman commencent le casting de l'acteur principal.

Madame Robinson, vous essayez de me séduire, n'est-ce pas?

Benjamin Braddock (Dustin Hoffman) dans "Le Lauréat" de Mike Nichols en 1967

Le casting

Dustin Hoffman incarne Benjamin Braddock dans "Le Lauréat". [AFP - Photo12.com - Collection Cinema]
Dustin Hoffman incarne Benjamin Braddock dans "Le Lauréat". [AFP - Photo12.com - Collection Cinema]

Le casting est un casse-tête. Dans le roman, le héros est blond, sympathique, ouvert, athlétique. C'est pourquoi ils pensent tout d'abord à Robert Redford. Mais pour Mike Nichols, il ne colle pas au rôle.

Redford n'a jamais eu de mal avec les filles, elles lui tombent toutes dans les bras. Benjamin Braddock doit être puceau, timide, mal à l'aise avec elles, du coup il lui faut un acteur "un peu moche", qui ne paie pas de mine et qui puisse incarner ce personnage manipulable et manipulé.

Mike Nichols et Lawrence Turman sont conscients qu'ils ne trouveront pas leur bonheur dans les milieux du cinéma. Ils écument alors les théâtres, les théâtres alternatifs, voire même de seconde zone. Et là, ils le trouvent... Il s'appelle Dustin Hoffman.

Jimmy Durante est un acteur et humoriste américain né en 1893. [AFP - Leemage]
Jimmy Durante est un acteur et humoriste américain né en 1893. [AFP - Leemage]

C'est un petit homme de 29 ans qu'un critique a comparé au fils de Ringo Starr et de Buster Keaton. Son physique étonne et Hollywood se demande comment il est arrivé dans le monde du spectacle. Réponse: par l'escalier. C'est en livrant un frigo au 5e étage d'un immeuble qu'il s'est dit que dire du Shakespeare était finalement plus facile que de porter des meubles.

Il fait son éducation dans les salles de cinéma et a comme livre de chevet, la biographie de Jimmy Durante, acteur connu des années 40. Il se dit que si quelqu'un comme lui peut faire carrière avec un tel nez, il le peut aussi.

Vous ne me trouvez pas désirable?

Mrs Robinson (Anne Bancroft) dans "Le Lauréat" de Mike Nichols en 1967
Robert Redford dans "Butch Cassidy et le kid" en 1970. [AFP - Twentieth Century Fox Film Corpo]
Robert Redford dans "Butch Cassidy et le kid" en 1970. [AFP - Twentieth Century Fox Film Corpo]

Si c'est pour nous une évidence de voir des comédiens de toutes origines tenir un rôle principal, cela n’a pas toujours été le cas. À l'époque, Dustin Hoffman est ce qu'on appelle un comédien éthique. Son physique ne lui permet d'être recruté que pour des rôles de délinquants juvéniles ou de petites frappes.

À Hollywood dans les années 60, il faut être blond aux yeux bleus, pas frisé, pas trop brun, pas trop juif, pas trop mexicain, pas trop basané, pas trop spécial. Pour cette raison, certains comédiens ethniques comme Bernie Schwartz (Tony Curtis), Issur Danielovitch Demsky (Kirk Douglas) et Antonio Rodolfo Oaxaca Quinn (Anthony Quinn) se sont camouflés en blancs bon teint.

TonyCurtis incarne Antoninus dans "Spartacus" en 1960. [AFP - Bryna]
TonyCurtis incarne Antoninus dans "Spartacus" en 1960. [AFP - Bryna]

Pour cette raison, lorsque Mike Nichols remet le scénario du "Lauréat" à Dustin Hoffman, il n'y croit pas, ne s'y voit pas. Pour lui, c'est un rôle de "gentil" qui devrait être tenu par un "WASP" (White Anglo-Saxon Protestant). Il prend tout de même l'avion pour Los Angeles où a lieu le casting. Sa maman lui prépare une carpe farcie.

En chemin il s'arrête pour manger une tarte à la framboise et bafouille tellement que la serveuse, confuse, lui sert douze bières.

Au bureau de Levine, où l'attendent Mike Nichols et Lawrence Turman, on le prend pour un laveur de vitre. C'est pour cette raison que dans le film, on voit Dustin Hoffman, laver une fenêtre.

Les actrices

Katharine Ross interprète Elaine Robinson dans "Le Lauréat". [AFP - Photo12.com - Collection Cinema]
Katharine Ross interprète Elaine Robinson dans "Le Lauréat". [AFP - Photo12.com - Collection Cinema]

Qui jouera Elaine Robinson, la fille de Mrs Robinson? "Il vous faut Katharine Ross, sans hésitation!", suggère Simone Signoret, l'actrice française en vogue à Hollywood ces années-là. C'est une jeune actrice très jolie, au visage intemporel qui a déjà deux films à son actif.

Lors de leur rencontre, Dustin Hoffman et elle se serrent la main et alors qu'elle se dirige vers les caméras, elle sent des doigts lui peloter la fesse. Elle se retourne: " Ça va pas la tête?". Dustin Hoffman panique et en oublie son texte.

Anne Bancroft interprète Mrs Robinson dans "Le Lauréat". [AFP - Archives du 7eme Art]
Anne Bancroft interprète Mrs Robinson dans "Le Lauréat". [AFP - Archives du 7eme Art]

Qui va incarner Mme Robinson? Alcoolique, mal mariée, prédatrice, allumeuse? Les actrices contactées refusent toutes et sont presque choquées par la proposition.

Buck Henry suggère Anne Bancroft, la femme de Mel Brooks avec qui il travaille. Celle-ci vient d'obtenir l'Oscar de la meilleure actrice en 1963.

Elle a alors 35 ans et Dustin Hoffman en a 29. Ils sont pourtant censés avoir 20 ans d'écart dans le film. Il faut rajeunir l'un et vieillir l'autre. Pour ce faire, le directeur de la photographie joue avec la lumière et fait même des plans avec un masque de plongée sur la caméra.

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Le tournage

Mike Nichols pendant le tournage du film "Le Lauréat". [AFP - Archives du 7eme Art]
Mike Nichols pendant le tournage du film "Le Lauréat". [AFP - Archives du 7eme Art]

Dans l'ensemble, le tournage ne connaît pas de heurt majeur. Il est cependant légèrement pénible. Mike Nichols surveille les moindres détails et Dustin Hoffman est perfectionniste. Gene Hackman qui joue le mari trompé, n'est pas dans son personnage. Aux toilettes, il confie à Dustin Hoffman: "Il vont me virer".

Quand il en sort, il est effectivement renvoyé. Il traverse alors la rue et entre dans le studio d'en face où il est engagé pour un film qui n'est autre que "Bonnie and Clyde" et qui le rendra célèbre.

Vous êtes la plus séduisante de toutes les amies de mes parents.

Benjamin Braddock (Dustin Hoffman) dans "Le Lauréat" de Mike Nichols en 1967

La bande-son

En 1966, Nichols reçoit le disque d'un groupe de deux musiciens: Paul Simon et Art Garfunkel. Duo américain pop, aux influences folk, ils créent des ballades et des chansons à textes. Il tombe immédiatement sous leur charme et leur demande de créer la bande originale du film. Mais les musiciens n'ont aucune envie de travailler pour le cinéma. Leur chanson "Sounds of Silence" est déjà un tube et leur succès bien ancré.

Mike Nichols leur propose alors d'utiliser des morceaux existants, dont le fameux "Sounds of Silence", ou encore "Scarborough Fair Canticle". Ils acceptent, et alors qu'ils étaient en train de composer une nouvelle chanson qui avait pour titre "Mrs Roosevelt", celle-ci sera renommée "Mrs Robinson".

Nichols fait de la popularité de ces musiciens un argument de vente supplémentaire et immisce ainsi le film dans la culture des jeunes de l'époque. La bande-son contribuera largement au succès du film.

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Le flop

Affiche du film "Le Lauréat" de Mike Nichols. [AFP - Photo12.com - Collection Cinema]
Affiche du film "Le Lauréat" de Mike Nichols. [AFP - Photo12.com - Collection Cinema]

Nous sommes en décembre 1967. Il neige. Mike Nichols, Joseph Levine et Lawrence Turman sont à crans… Ils ont investi 3 millions de francs dans "le Lauréat" et la première du film à Hollywood, est un flop total. C'est une comédie mais personne ne rit. La liberté des mœurs affichée dans le film n'est pas encore d'actualité dans la vraie vie et le film choque.

Levine tente une projection du film sur le campus des universités, pensant y rencontrer un public d'étudiants plus ouverts. Mais les étudiants veulent de la vraie contestation, celle anti-guerre du Vietnam. Pas des histoires de petits bourgeois qui essaient de secouer les convenances et les mères de famille.

Joseph Levine veut vendre le film dans le circuit pornographique mais Mike Nichols lui demande de réfléchir encore.

Le succès

Il faudra attendre sa sortie le 21 décembre 1967 à New York pour que les choses changent. Sur la côte Est, la mentalité n'est pas la même qu'à Hollywood. C'est un triomphe. Le film est applaudit, on crie, on siffle.

Dustin Hoffman qui s'était glissé incognito dans la salle, n'y croit pas. Il est bouleversé et attend que tout le monde sorte. Une femme seule avec une canne lui dit alors: "Votre vie va changer pour toujours". Pour fêter cette victoire, Hoffman monte dans un taxi, un luxe dont il n'a pas l'habitude. Il croit vivre un rêve.

"Le Lauréat" lance sa carrière. Le grand public se passionne pour ce jeune héros anticonformiste et pour cette histoire reflétant parfaitement l'Amérique de la fin des années 1960. Ancré dans la contre-culture américaine, "Le Lauréat" est la voix des enfants qui commencent à dire non à leurs parents.

Simon & Garfunkel sur scène au "AFI Life Achievements Award", attribué à Mike Nichols en 2010. [AFP - KEVIN WINTER]
Simon & Garfunkel sur scène au "AFI Life Achievements Award", attribué à Mike Nichols en 2010. [AFP - KEVIN WINTER]

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Impact historique

Anne Bancroft et Katharine Ross dans "Le Lauréat" de Mike Nichols. [AFP - Lawrence Turman]
Anne Bancroft et Katharine Ross dans "Le Lauréat" de Mike Nichols. [AFP - Lawrence Turman]

En 1967, "Le Lauréat" donne le premier coup de bobine à la révolution artistique qui s'appellera le "Nouvel Hollywood". Dustin Hoffman deviendra l'un des acteurs phares des années 70. Grâce à lui, le monde du cinéma ouvrira ses premiers rôles à des acteurs qui ne sont pas grands, blonds, aux yeux bleus.

En 1968, Mike Nichols décroche l'Oscar du meilleur réalisateur. C'est la consécration pour ce jeune cinéaste qui n'avait jusque-là réalisé qu'un seul film.

Dustin Hoffman et Katharine Ross dans "Le Lauréat" de Mike Nichols. [AFP - Lawrence Turman]
Dustin Hoffman et Katharine Ross dans "Le Lauréat" de Mike Nichols. [AFP - Lawrence Turman]

Le 5 juin 1968, le sénateur Robert Kennedy est assassiné à l'Ambassador Hotel de Los Angeles où certaines scènes du film ont été tournées. Au même moment, la chanson "Mrs Robinson" de Simon et Garfunkel est numéro un dans les charts. Autant de facteurs extérieurs qui feront du film un succès.

Les éditeurs cherchent l'auteur du roman, Charles Webb, pour lui signer d'autres contrats. Mais il a disparu et ne veut entendre parler de rien. C'est un vrai contestataire qui vit dans une caravane et qui, trente ans plus tard, sera obligé de faire la manche pour manger.

>> À écouter :

Dustin Hoffman sur l'affiche du film "Le Lauréat" de Mike Nichols, 1967. [Embassy/Laurence Turman / The Kobal Collection / AFP]Embassy/Laurence Turman / The Kobal Collection / AFP
Travelling - Publié le 14 juin 2015

Crédits

Une proposition de Catherine Fattebert pour l'émission "Travelling".

Réalisation web: Meili Gernet

Août 2017

RTS Culture