"Je suis Marianne Faithfull et voilà ce que je vaux"

Sur les docs: Marianne Faithfull, fleur d'âme. [RTS / Cineteve - Stéphane Sednaoui]
Sur les docs: Marianne Faithfull, fleur d'âme. - [RTS / Cineteve - Stéphane Sednaoui]
La chanteuse et actrice anglaise Marianne Faithfull se livre devant la caméra de Sandrine Bonnaire dans "Fleur d'âme". Le documentaire, riche en archives, retrace le parcours d'une survivante mais aussi la trajectoire emblématique d'une femme née juste après guerre.

S'il fallait la comparer à un animal, ce serait un chat puisque la légende lui accorde neuf vies. Drogues, tentatives de suicides, anorexie, vie dans la rue, comas, prises de risque inconsidérés, Marianne Faithfull aurait pu tant de fois disparaître... Et pourtant, elle est là, attentive mais résolue, devant la caméra parfois désobéissante de Sandrine Bonnaire. "Rassurez-moi, ce ne sera pas seulement un film sur moi? Vous allez utiliser des archives?"

Oui, Sandrine Bonnaire utilise de nombreuses archives: à la fois intimes quand on voit la chanteuse avec sa mère ou son fils, mais aussi générationnelles. Car Marianne Faithfull se confond avec les années du Swinging London, l'aventure du rock, les dérives de la drogue, les hontes du déclassement social, tout en étant l'héritière d'une culture catholique, bourgeoise, voire aristocratique - sa mère était une baronne autrichienne- et plutôt classique.

Sa trajectoire est aussi celle des femmes de sa génération: affranchies mais pas encore libres, audacieuses mais avec un sentiment de culpabilité, rebelles mais peu sûre d'elles. Sandrine Bonnaire s'intéresse à la femme, moins à sa carrière musicale. On peut le regretter tant la valeur de Marianne Faithfull tient à cette dimension - et qu'elle était une des rares sur la scène rock de l'époque - mais le portrait n'en est que plus serré.

Dégoût du show business

En 1964, Marianne Faithfull a seize ans. Elle est encore au lycée quand elle enregistre "As Tears go by", chanson écrite par Mick Jagger et Keith Richards. "C'est l'origine de ma foutue carrière", dit-elle. Car cette première période, elle ne l'aime pas.

J'ai vingt ans. Je suis très fatiguée

Marianne Faithfull

Dans une seconde, elle exprime son dégoût pour le show business et sa détestation de se retrouver sous les projecteurs. Alors pourquoi avoir choisi ce métier, lui demande un journaliste? "C'était une chance à saisir, c'est arrivé par accident".

Sans oublier une maternité précoce qui lui complique sa vie.

Ce n'était pas le moment pour un bébé. Le public n'avait aucune compassion pour cette jeune fille qui avait un bébé, devait travailler et faire bouillir la marmite. La société n'en était pas encore là

Marianne Faithfull

Descente aux enfers

Sa liaison avec Mick Jagger n'est pas non plus le meilleur des souvenirs. Avec lui et sa bande, elle embarque dans la drogue. Dans ces années-là, elle est comme un bouchon sur l'océan, elle suit le mouvement, jouet du désir des autres. Elle joue à jouer des rôles. Elle ne sait ni qui elle est, ni ce qu'elle veut. Pour se punir de ne pas le savoir, elle tombe au plus bas: pendant deux ans, elle vivra dans la rue, en se shootant.

Le passé est passé

Marianne Faithfull n'aime plus parler de cette période. Le passé l'encombre. Sa renaissance, celle qui compte à ses yeux, a lieu en 1979 avec l'album "Broken English". Elle pense alors qu'elle va mourir, mais avant cela, elle veut prouver qu'elle n'est ni une victime ni une écervelée:

Je suis Marianne Faithfull et voilà ce que je vaux

Marianne Faithfull

L'album reste à ce jour son chef-d'oeuvre. Mais surtout sa voix est transformée. Plus rien à voir avec celle de ses débuts. Travaillée à l'alcool la drogue et le tabac, elle charrie les alluvions de sa vie avec une flamboyante impudeur.

La rebelle a capitulé

Les années qui suivent comprendront des rechutes, mais Marianne Faithfull finit par se débarrasser de l'alcool et des drogues. Elle n'en tire aucune vertu. Aujourd'hui elle dit qu'elle a changé, que la rebelle a capitulé. Dans sa bouche, cela n'a rien à voir avec une défaite mais avec une acceptation de son destin: écrire et faire de la musique.

A plusieurs reprises, parfois agacée, elle dira à Sandrine Bonnaire d'arrêter de tourner, qu'elle en a assez de parler d'elle, qu'elle doit préserver sa voix. Bonnaire ne l'écoute pas et laisse tourner la caméra, captant sur le visage de cette survivante septuagénaire comme une colère apaisée mais qui pourrait ressurgir si l'on vient la chatouiller de trop près.

Marie-Claude Martin

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