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"The Knick", la série qui raconte la naissance de la médecine moderne

> Véritable phénomène de société, les séries historiques ont la cote. Les meilleures d'entre elles ont été décryptées par un panel d'experts de l'Université de Genève, dans le cadre d'un programme visant à interroger notre rapport à l'histoire. Ce travail a donné lieu à un cycle de conférences intitulé "The Historians".

> Certaines de ces conférences ont été mises en image par la société de vidéo La Souris Verte, en coproduction avec RTS Découverte et RTS Culture, sous forme de cinq capsules de trois minutes environ. C'est la cas de "The Knick", une série américaine réalisée par Steven Soderbergh et diffusée entre 2014 et 2015 par Cinemax et HBO. Elle met en scène la vie du Dr John Thackery, chirurgien virtuose, cynique et cocaïnomane, qui travaille dans un hôpital new-yorkais au début du XXe siècle.

> Comment les concepteurs s'y sont-ils pris pour condenser la réalité historique et la rendre compatible avec les besoins d'une série télévisée? Un décryptage de Philip Rieder et Alexandre Wenger.

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L'histoire au service des images

Introduction

La série "The Knick" plonge le spectateur dans un hôpital du début du XXe siècle, une période où la chirurgie prend de l'importance grâce à l'arrivée de nouvelles technologies telles que l’anesthésie ou l’asepsie, soit le fait de prévenir les maladies infectieuses en empêchant la contamination par des bactéries, des microbes ou d'autres germes d'une zone déterminée.

Inspiré par la réalité historique

Les réalisateurs de "The Knick" se sont inspirés de faits et d'hommes historiques. Ainsi, le personnage du Dr John Thackery est inspiré par Dr William Halsted (1852-1922), l’un des pères de la médecine moderne.

Celui-ci a introduit un certain nombre de procédures opératoires nouvelles concernant le contrôle du saignement, la stérilisation, la suture des plaies, la manipulation des tissus ou encore la dissection anatomique. Certaines de ces techniques sont encore utilisées aujourd'hui.

>> En vidéo: Capsule n°1 de "The Historians" consacrée à "The Knick" :

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The Historians - The Knick - L'histoire au service des images / RTS Découverte / 4 min. / le 16 octobre 2017

Les auteurs et les réalisateurs de la série ont fait un travail important pour reconstituer un contexte détaillé qui donne sens et qui prend appui sur la médecine du début du XXe siècle.

Le fait d'avoir condensé toute une série d’événements dans un laps de temps plus court que dans la réalité a permis d'obtenir des personnages qui sont plus hauts en couleur que dans la réalité.

Le Docteur Thackery

Un personnage complexe

Historiquement, la chirurgie était considérée comme une profession ingrate, car les chirurgiens mettaient leurs mains à l'intérieur des corps. Pendant longtemps, ils ont été subordonnés aux médecins.

Cette image péjorative du chirurgien a évolué au cours du XXe siècle. Aujourd'hui, lorsqu'on souhaite représenter une profession médicale élevée dans un film ou une série, on choisit un chirurgien cardiaque, un neurochirurgien ou un obstétricien, des professions historiquement issues de la discipline chirurgicale.

>> En vidéo: Capsule n°2 de "The Historians" consacrée à "The Knick" :

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The Historians - The Knick - Le Dr Thackery et son double historique / RTS Découverte / 4 min. / le 16 octobre 2017

Le Dr William Halsted, le modèle

Le docteur William Halsted (1852-1922), qui sert de modèle au personnage du docteur Thackery dans la série, fait partie de ceux qui ont contribué à l’amélioration de l’image du chirurgien.

Il a été le promoteur de ce qu'on appelle la "fine surgery" (chirurgie fine), une manière d'opérer qui s’émancipe des gestes de boucherie qui caractérisaient encore la chirurgie du XIXe siècle. Halsted va proposer des gestes soignés et virtuoses qui permettront également de refermer un corps de manière saine.

Mais le docteur William Halsted avait également une part sombre. Il était devenu cocaïnomane après s'être injecté cette drogue pour tester l’anesthésie partielle. Plusieurs de ses collègues et étudiants sont d'ailleurs décédés dans les années 1880-1890 dans des tentatives d’essais de la cocaïne sur eux-mêmes.

Une figure contrastée

"The Knick" présente l'évolution de la médecine de cette période comme une conquête. Et comme toutes les conquêtes, elle est faite de réussites et d’échecs. Il fallait donc au centre de la série une figure aussi contrastée que celle du Dr John Thackery, un personnage professionnellement pertinent et moralement ambigu.

Pour construire cette figure complexe, les créateurs de la série se sont inspirés d’un certain nombre de précurseurs historiques réels dont William Halsted. Ils ont compressé toutes ses vies pour n’en faire plus qu’une afin qu’elle soit aussi démonstrative et complexe que possible.

L'ambulancier

Une figure oubliée de la grande Histoire

Les ambulanciers font partie des oubliés dans l'histoire de la médecine. Ils avaient pourtant un rôle fondamental dans l'organisation des hôpitaux qui étaient financés en fonction de leur nombre de patients.

Au début du XXe siècle, l’ambulancier n’a pas de formation particulière. Il doit faire preuve de débrouillardise puisqu'il est payé au nombre de patients qu'il amène. Dans "The Knick", on voit par exemple l'ambulancier Tom Cleary prêt à se battre pour récupérer des malades.

>> En vidéo: Capsule n°3 de "The Historians" consacrée à "The Knick" :

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The Historians - The Knick - La figure de l'ambulancier: entre petite et grande histoire / RTS Découverte / 3 min. / le 16 octobre 2017

Le fonds iconographique "Burns Archive"

Les réalisateurs ont dû trouver d'autres sources que les livres d'histoire pour créer le personnage de l'ambulancier de la série. Ils se sont basés en partie sur une photographie rare qui montre deux ambulanciers de cette époque. Cette image provient très certainement de la "Burns Archive", une collection privée regroupant des milliers de photographies médicales appartenant au Dr Stanley Burns, conseiller médical sur la série.

Ce fonds photographique a aussi permis de créer le décor des salles de l’hôpital et en particulier de la salle d’opération.

Les mains du chirurgien

L'évolution de la médecine

La série débute par une opération d’un "placenta praevia", une localisation anormale du placenta qui peut être responsable d'hémorragies sévères. Cette scène est particulièrement spectaculaire et sanglante. On y voit la rapidité des gestes des chirurgiens et l’urgence dans laquelle ils sont contraints de travailler.

À la fin du XIXe siècle, on pratique encore une chirurgie boucherie où le médecin est confronté à la douleur et au saignement abondant du patient. Il doit en permanence lutter contre le temps pour aboutir dans sa tentative de soin.

Plus de temps pour opérer

Avec l’arrivée de l’anesthésie, de l’asepsie (prévention des maladies infectieuses) et la maîtrise de l’hémostase (ensemble de mécanismes qui assurent le maintien du sang à l'intérieur des vaisseaux), la chirurgie devient beaucoup plus virtuose. Le chirurgien pourra prendre son temps pour opérer les organes internes. La série montre cette évolution des techniques.

>> En vidéo: Capsule n°4 de "The Historians" consacrée à "The Knick" :

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The Historians - The Knick - Les mains du chirurgien et l'évolution de la médecine / RTS Découverte / 4 min. / le 16 octobre 2017

Opérations à mains nues

La caméra de Soderbergh valorise énormément les mains des chirurgiens. Elles sont souvent au premier plan, signe que ce sont elles qui sont les actrices principales de la scène.

Dans la série, les chirurgiens travaillent à mains nues, un choix des réalisateurs qui peut paraître surprenant puisque c'est le docteur William Halsted, modèle pour le personnage du docteur Thackery, qui a introduit les gants chirurgicaux au milieu des années 1890 dans les théâtres opératoires aux Etats-Unis.

Deux raisons pourraient expliquer ce choix. Premièrement, les gants chirurgicaux de l’époque étaient noirs et au cinéma, le gant noir connote son porteur de manière très négative. On pense à des personnages comme le Docteur Folamour ou le Docteur No. Les réalisateurs n'ont peut-être pas voulu que les spectateurs fassent ce rapprochement.

Deuxièmement, les chirurgiens de "The Knick" peuvent être perçus comme des expérimentateurs qui découvrent l’intérieur des corps. Leurs mains sont le prolongement de leur intellect. Elles sont en contact direct avec ces terres inconnues et plongent littéralement dans la chair vivante pour essayer d’en extraire une forme de connaissance. Une paire de gants aurait sans doute cassé cet effet.

L'éthique médicale au début du XXe siècle

Inventer une nouvelle déontologie

En ce début de XXe siècle, parallèlement à l'évolution de la médecine, un questionnement sur l'éthique et sur la déontologie des chirurgiens a lieu. Il faut sans cesse adapter les comportements acceptables ou non face aux nouveautés qui arrivent.

En cas d'opération expérimentale, le chirurgien négociait avec le patient sur ce qu'il était possible de faire ou non, une manière de le mettre à l'abri en cas de problème. Mais ce n’était pas toujours facile pour le médecin de savoir où était la limite de l'acceptable pour lui et pour les patients.

Problèmes moraux

Tenter de nouvelles choses a parfois permis de sauver des vies. D’autres fois, les tentatives de nouveaux protocoles ont provoqué la mort des patients.

Jusqu'où doit-on prendre des risques? Quand faut-il aller à l'encontre de l’éthique et de la déontologie?

La série met en scène ces problèmes moraux qui sont un parfait reflet de la réalité de l’époque.

>> En vidéo: Capsule n°5 de "The Historians" consacrée à "The Knick" :

KNICK EP05
The Historians - The Knick - L'éthique médicale au début du XXe siècle / RTS Découverte / 4 min. / le 16 octobre 2017

Crédits

Réalisation web: Andréanne Quartier-la-Tente

RTSCulture

Novembre 2017