Après le succès amplement mérité de "The Handmaid's Tale", ou "La Servante écarlate" en français sur la chaîne Hulu, Netflix et CBC rétorquent avec "Alias Grace". La série s'inspire du double meurtre d'un propriétaire et de sa gouvernante, perpétré par la jeune servante Grace Marks, en 1843, au Canada.
À partir de ce fait divers, Margaret Atwood imagine une rencontre, quinze ans après les meurtres, entre un médecin psychiatre et la prisonnière. Le Dr Jordan est engagé par le pasteur du village. Il aimerait comprendre le geste de la jeune femme qui semble si pure et si gentille. Elle aurait des pertes de mémoire et affirme ne pas se souvenir de l'événement.
Une série captivante
Le mystère plane sur cette série où le double meurtre en lui-même n'est pas si important. Ce qui compte, c'est le chemin semé d'embûches que parcourt Grace, ce qu'elle a enduré en tant que jeune fille pauvre et immigrée.
"Alias Grace" présente deux chronologies: celle du présent qui montre la discussion entre Grace et le docteur, quinze ans après les meurtres, et ce qu'elle lui raconte, qui constitue le cœur du récit: son passé, depuis le moment où elle quitte son Irlande natale à 17 ans avec sa famille pour venir s'installer au Canada. La traversée atroce de l'Océan Atlantique pendant laquelle elle perd sa mère. L'arrivée en Amérique avec son père alcoolique qui l'envoie travailler parce qu'elle est l'ainée. La première maison dans laquelle elle est engagée comme domestique. Sa collègue Mary, rigolote et politiquement engagée. Puis le drame qui suit...
Il y a des choses qu'elle confie au médecin, et d'autres qu'elle ne dit qu'au spectateur, par l'intermédiaire d'une voix off. Au départ, elle paraît jeune et un brin naïve, bien que déjà éveillée. Avec ce qu'elle va vivre, elle va acquérir une force et une acuité intellectuelle impressionnante. Ses dialogues avec le médecin sont savoureux et, au fur et à mesure que l'on avance dans l'histoire et dans son récit, la position de force s'inverse. L'homme, médecin, libre de surcroît, risque d'être chamboulé par une femme pauvre, sous-éduquée, et incarcérée. En 1843, c'est impensable.
La marque de Margaret Atwood
Outre la voix off que l'on retrouve dans l'autre série de Margaret Atwood, "The Handmaid's Tale", il y a d'autres similitudes. Notamment le patriarcat et la domination masculine. Une domination masculine qui se présente comme une tension permanente. Que vaut la parole d'une petite servante contre celle d'un riche employeur qui la harcèle physiquement et psychologiquement?
Comme "The Handmaid's Tale", c'est une excellente adaptation. L'histoire est bien racontée, les slaloms entre les époques et les personnages sont fluides, maîtrisés. L'actrice Sarah Gadon est bluffante. D'autant plus que son rôle n'est pas évident, car elle doit jouer Grace à 17 et à 30 ans, et avec un accent irlandais alors qu'elle est canadienne! Anna Paquin est également parfaite en gouvernante lunatique. Pas aussi glaçant que la dystopie "The Handmaid's Tale", qui reste l'une des plus belles réussites de l'année, ce thriller dramatique s'avère néanmoins très efficace.
Crystel Di Marzo/mg