Pour le dernier épisode de sa "Trilogie du mal", le cinéaste romand Barbet Schroeder est parti sur les traces du moine bouddhiste birman Ashin Wirathu, "Le Vénérable W.", surnommé le "Hitler birman". Il est à la tête du mouvement nationaliste et islamophobe s'attaquant aux Rohingyas. L'ONU dénonce un génocide, tandis qu'Amnesty international parle d'Apartheid dans son rapport publié mardi.
Invité sur le plateau du 12h45 mardi, Barbet Schroeder évoque une certaine angoisse à l'idée qu'à l'avenir, des enfants demandent à leurs parents ce qu'ils ont fait pendant qu'un génocide se produisait sous leurs yeux. "C'est une idée effrayante".
J'ai une espèce d'angoisse à l'idée qu'il s'agit du premier génocide que l'on peut suivre sur son téléphone portable.
Face à face avec le mal
La force des trois documentaires de Barbet Schroeder est de faire parler ces personnes associées au "mal", comme le nomme lui-même le cinéaste, et de faire parler leur humanité.
"On peut vraiment s'approcher en gros plan du mal. On arrive donc peut-être à mieux les comprendre, mais je ne pense pas qu'on peut mieux les excuser." Il y a selon lui une progression dans le mal. C'est pour cela qu'il a choisi une personne en partie responsable d'un génocide pour clore cette trilogie. "On ne peut pas imaginer un mal plus absolu que ça."
Lui-même fasciné par le bouddhisme, il chérissait cette religion comme l'un des trésors de l'humanité. "C'était l'une des dernières illusions que j'ai perdues", dit-il, comme il en a perdu bien d'autres avec la vie.
Je sens que je m'approche de l'humanité. Le mal fait partie de l'humanité.
Après avoir entendu des heures de discours de haine, comme ceux proférés par Ashin Wirathu, le cinéaste dit s'être approché de l'humanité. "Le mal fait partie de l'humanité. Donc je me sens plus proche de l'humanité et de plus en plus effrayé et de plus en plus désespéré."
Scandalisé en permanence, le cinéaste dit vivre une époque effrayante, responsable de toutes ses illusions perdues.
Le rôle d'Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix
La dirigeante birmane et prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi n'est pas épargnée par le cinéaste dans son documentaire. Si Barbet Schroeder croit qu'elle avait, au départ, accepté la collaboration avec les militaires, afin de mieux les contrôler, c'est précisément le contraire qui s'est produit. "Elle s'est mise à leur service et se trouve à la tête d'un service de propagande."
Sur le site de la dirigeante, des pages entières seraient consacrées au démenti d'accusations. Selon Aung San Suu Kyi, ce sont les Rohingyas eux-mêmes qui incendieraient leurs maisons et les viols ne seraient que des "Fake Rape", de faux viols.
"Il est évident qu'elle fait partie d'une machine à nier, qui correspond au public de Birmanie", souligne Barbet Schroeder. Car il n'y aurait pas vraiment de mouvement d'opposition dans le pays et la grande majorité serait "tout à fait contente que les Rohingyas aient été chassés".
Mais un jour où l'autre, la dirigeante devra bien rendre des comptes, estime Barbet Schroeder. "Parmi les militaires, on commence à savoir qui sont les responsables. Quant à Aung San Suu Kyi, elle ne pourra pas répondre qu'elle ne faisait qu'obéir aux ordres".
Propos recueillis par Claire Burgy
Adaptation web: Feriel Mestiri