"Diamants sur canapé", un classique des classiques
Grand Format
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AFP - Paramount Pictures / Collection Christophel
Introduction
"Diamants sur Canapé" de Blake Edwards (1961) met en scène Audrey Hepburn et George Peppard, Mickey Rooney, Patricia Neal, et un chat, cabotin comme pas deux. L’histoire est celle d’une coureuse de millionnaires et d’un écrivain gigolo qui vont, après bien des péripéties, tomber amoureux. Mais sous le vernis et la comédie se cache une vraie désespérance. Le film, par son propos, sa comédienne, sa musique et son iconographie, est entré dans la légende du cinéma et a inauguré l’ère des femmes libérées.
Chapitre 1
Synopsis
Petit matin blême sur Manhattan. Un taxi avance au milieu de l’écran, seul sur une 5e avenue déserte. Il s'arrête pile devant la devanture de Tiffany’s. Une jeune femme élégante descend de la voiture en robe du soir, un gobelet en carton dans une main, un croissant dans l’autre. Son regard fasciné s’arrête sur la prestigieuse vitrine de bijoux. Elle est fatiguée par une nuit blanche et se perd dans la contemplation des rivières de diamants. Emerveillée, elle avale une gorgée de son café brûlant et mange son croissant avant de rentrer chez elle.
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Cette jeune femme, Holly Golightly, va faire la connaissance de son nouveau voisin, Paul Varjak, un écrivain qui s’enlise et se fait entretenir par une riche maîtresse. Surnommant son nouveau voisin Fred, en souvenir de son frère parti à l’armée, les deux jeunes gens apprennent à se connaître.
Peu à peu, Paul découvre l’enfance misérable d’Holly, son mariage trop précoce et sa détermination à trouver l'homme qui la mettra à l'abri du besoin. En apparence, Holly est une femme qui respire le bonheur: elle ne cesse d’ailleurs de répéter à quel point elle est "divinement heureuse". Ses journées défilent paisiblement, du verre de champagne au réveil à ses balades à Sing Sing pour récupérer le bulletin météo d’un parrain de la mafia jusqu'aux nuits d’orgie dans son appartement.
L'amour naît entre les deux voisins. Mais Holly fuit, trouve un riche Brésilien qui fera office de mécène et finit par tomber pour complicité de trafic de drogue. De son côté, Paul, profondément amoureux, la met face à elle-même et à leur futur.
AFP - Wolf Tracer Archive / Photo 12
Chapitre 2
Le projet
A l’origine, il y a une nouvelle de l'écrivain Truman Capote intitulée "Breakfast at Tiffany's".
C’est en 1958, alors qu’il flirte avec les milieux littéraires new-yorkais que l'auteur de "Cold Blood" a l’idée d’écrire l'histoire de cette jeune fille, entretenue, futile et mondaine, racontée par un narrateur lui aussi entretenu.
Hollywood va s’intéresser rapidement à cette histoire. L’affaire se conclut dans un restaurant, au Colony, sur Madison Avenue, où Truman Capote a ses habitudes. C’est là que le producteur Marty Jurow acquiert les droits du livre, durant un déjeuner avec l’auteur. Sur leur table, une carte de Manhattan est ouverte qui répertorie le New York de Holly Golightly: son appartement, la prison de Sing Sing, la 5e Avenue, le grand magasin Tiffany. John Frankenheimer tournera le film tandis que George Axelrod s’attelle au scénario.
Très vite, il modifie la nature des personnages. Le côté call-girl d'Holly est masqué tandis que Paul, le narrateur homosexuel, est transformé en jeune premier romantique, un peu gigolo sur les bords. En 1961, il convient de ne pas choquer. D’autant qu'à l'origine, Holly doit être jouée par le sex symbol ultime des années 60: Marilyn Monroe. C'est à elle que pensait Truman Capote en écrivant.
Mais quand le choix des producteurs de la Paramount se porte finalement sur Audrey Hepburn, tout est chamboulé. Capote ne comprend pas cette décision et reniera le film.
Audrey Hepburn, auréolée d'un Oscar pour "Vacances romaines" et de sa nomination pour "Sabrina", incarne une tout autre féminité que celle de Marilyn Monroe. Elle est la femme des années 60, et non plus celle, pulpeuse, des années 50.
N'ayant jamais entendu parler de Frankenheimer, l'actrice demande que la réalisation soit confiée à quelqu'un d'autre. Et c’est ainsi que Blake Edwards entre dans la course.
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Chapitre 3
Blake Edwards
Né en 1922, Blake Edwards est un véritable enfant du sérail hollywoodien. Son grand-père était réalisateur de films muets, son père assistant-réalisateur et chargé de production.
Lui-même démarre sa carrière comme coursier et figurant, notamment chez John Ford. Parallèlement, il écrit pour la radio et le théâtre, avant de devenir scénariste pour le grand écran après la Seconde Guerre mondiale. Inaugurée en 1955, sa longue et prolifique carrière, compte une cinquantaine de films.
Blake Edwards est un troublion, un personnage fantasque, qui émerge au moment où Hollywood chancelle sous les assauts de la télévision et du bouleversement culturel des années 60. Mais tout en portant sur ses sujets un regard de son temps, ironique et désabusé, Edwards reste fidèle aux canons du cinéma classique, marchant dans les pas de ceux qu'il s'est choisi - Howard Hawks, Ernst Lubitsch, Laurel et Hardy, Vincente Minnelli. Expérimentateur éclectique, il passe du mélo au polar, de la comédie raffinée à la comédie musicale, avec élégance.
L'homme s’intéresse moins à l’action qu’aux personnages. Il les aime intrigants mais sympathiques, apparemment superficiels ou burlesques, mais capables de sentiments profonds. Le personnage d'Holly Goligthtly est fait pour lui: une femme qui débarque à New York à 14 ans, gomme en moins d’un an son accent de paysanne, change de nom, perd 20 kilos et devient une des personnalités en vue de la métropole. Mais ce personnage en quête d’affranchissement, qui s’épanouit jusqu’au vertige dans une réinvention de soi, Blake Edwards ne l'a pas écrit, contrairement à son habitude. Qu'importe!
J’aurais rampé sur Hollywood Boulevard pour le faire. C’était une grande opportunité pour moi
Surtout quand l’actrice accepte de jouer un rôle à l’antithèse de l’image qu’elle véhicule, très classe, très fille de bonne famille. "Je ne pense pas que la majorité du public à l’époque ait vraiment imaginé Audrey Hepburn en prostituée ou escorte girl. Je parie qu’ils n’ont même pas imaginé comment elle pouvait gagnait 50 dollars en se rendant au parloir d’une prison", s'amusait Blake Edwars.
Blake Edwards fera de l'actrice une icône du cinéma dans un film en technicolor, une comédie tourbillonnante qui, tournée par un autre que lui, aurait peut-être versé dans la vulgarité ou dans la comédie amoureuse sans relief.
Chapitre 4
Les acteurs
AFP - Paramount Pictures / Collection Christophel
Audrey Hepburn, de son vrai nom Edda Hepburn van Hemmstra, naît en 1929 dans une famille riche et respectée. Sa mère est une baronne hollandaise, son père, un banquier britannique. Après un passage dans un internat à Londres, la petite fille suit sa mère à Amsterdam, celle-ci s’étant séparée de son mari en raison de ses contacts avec des fascistes anglais. Dans la ville hollandaise, mère et fille font partie d’un mouvement de résistance contre l’occupation allemande. Audrey Hepburn racontera souvent la peur et la faim vécues pendant la guerre, et dont elle conservera cette maigreur qu’elle portera comme un stigmate.
"Vacances romaines" lui ouvre les portes d’Hollywood et lui permet d'obtenir l'Oscar de la meilleure actrice en 1952. Mais surtout, elle développe un style vestimentaire particulier malgré ses défauts: "je suis trop maigre, j’ai les oreilles décollées, les dents de travers, les pieds trop grands et le cou trop long".
Grâce au couturier Hubert de Givenchy, décédé le 12 mars 2018, l’actrice lance une mode en révolution avec les codes de la beauté des fifties. Coiffure à la garçonne et queue de cheval au lieu des longs cheveux blonds, talons plats remplaçants les talons aiguilles et robes droites qui supplantent les pull-overs moulants. Givenchy sublime sa maigreur et invente pour elle la silhouette de la femme chat.
En 1961, Audrey Hepburn sera donc Holly Golightly, 19 ans dans le film, 31 ans dans la vraie vie. "Holly est tout le contraire de moi. Elle me fait peur. Ce rôle appelle un caractère extraverti. Or moi, je suis introvertie. […] C'est ce que j'ai fait de mieux, parce que c'est ce qu'il y a avait de plus dur."
Audrey Hepburn a comme partenaire George Peppard, acteur phare de la série télé "L’Agence tous risques". C'est un jeune premier, joli garçon mais un peu fade. Blake Edwards dit qu'il aimait bien l'homme mais pas forcément l'acteur, et qu'il ne l'aurait pas choisi pour le rôle.
En revanche, Patricia Neal qui joue sa maîtresse dans le film, s’entend à merveille avec lui. Pour rappel, Patricia Neal, grande actrice, défraya la chronique à la fin des années 40 lorsque Gary Cooper quitta femme et enfants pour elle. Pendant leur idylle, ils tourneront trois films ensemble, dont "Le Rebelle" de King Vidor, avant que l'acteur ne revienne à sa famille.
Quant à Mickey Rooney, le voisin colérique et japonais, il préfigure le personnage de Cato, valet de l’inspecteur Clouseau dans plusieurs films de "La panthère rose".
Enfin, dernier rôle important de ce casting, celui du chat rouquin qui apporte tant de vie dans l'appartement de Holly. Pour le trouver, la Paramount a organisé un grand casting et l'a sélectionné parmi 25 autres chats.
Chapitre 5
Tournage
La première scène du film se joue en extérieur et chez Tiffany. Nous sommes le 2 octobre 1960. C’est un dimanche. Il est 6 heures du matin.
Le magasin Tiffany’s a accepté d’ouvrir ses portes exceptionnellement. Vingt agents de sécurité sont chargés de surveiller les figurants et techniciens qui circulent au milieu de plusieurs millions de dollars de bijoux exposés.
"Arrive le moment de tourner, et c'était incroyable. Personne n'est apparu, pas une voiture, la rue était désertée. Je ne sais pas ce qu'il y a eu, peut-être un problème de trafic, mais on a eu notre plan", dit Blake Edwards.
Ce plan, c’est celui où Audrey Hepburn s’éloigne du magasin après avoir mangé. Elle est seule dans la rue. Mais le calme est de courte durée. Dans le plan suivant, Audrey Hepbrun doit avaler son petit déjeuner devant la vitrine, d'où le titre de la nouvelle de Capote "Breakfast at Tiffany's". La rue commence à s'animer et l'actrice, nerveuse, ne cesse de se tromper. Elle doit se ressaisir pour finir la scène, d'autant qu'il faut se dépêcher: Khroutchev est attendu sur la 5 avenue à 7h30 ce même 2 octobre 1960. C'est une épreuve pour la comédienne qui, en plus, a horreur des viennoiseries. Elle propose au réalisateur de lécher un cornet de glace à la place. A cinq heures du matin? lui répond-il.
Pour la suite du tournage, les séquences sur l'escalier extérieur de secours et celles finales sous la pluie sont filmées dans les studios de la Paramount. Tout comme la séquence de la fête dans l’appartement de Holly. Et si le scénario est vraiment d’Axelrod, cette séquence, elle, relève du pur génie de Blake Edwards. Ça s’entremêle, ça s’interpelle, ça boit, ça fume, ça rit.
Rien n’avait été écrit au préalable. "J’ai commandé du champagne et on a fait une fête. J’ai réuni toute l’équipe autour de moi et je leur ai dit: j’ai besoin de vous, voyez si vous avez des idées, des envies. Connaissant mes acteurs et tous les participants, je savais que j’aurai de la matière. J’ai sélectionné beaucoup de choses que je pensais créatives et rigolotes. Si on avait fait autrement, ça nous aurait pris en tous cas deux semaines." se souvient Blake Edwards.
La séquence de la fête nécessite une semaine de tournage. A l’écran, elle dure 13 minutes. Le rapport entre les deux interprètes principaux n’est pas au beau fixe. Peppard surnomme Audrey, la nonne joyeuse, mais leur entente suffit à rendre crédible la scène finale, quand il faut jeter le chat hors de la voiture sous une pluie battante, offrant au cinéma un de ses plus beaux baisers mouillés.
Musique
La musique du film compte parmi les plus célèbres du cinéma, notamment grâce à la chanson "Moon River". Elle a été composée et produite par Henry Mancini, un des tous bons amis de Blake Edwards, qui lui restera fidèle. C’est lui qui composera par exemple le thème de la panthère rose ainsi que toute la musique de "The Party".
A la post-production, un producteur de la Paramount, faisant référence à "Moon River" aurait dit: "Je pense que la première chose à faire est d’éliminer cette stupide chanson". Audrey Hepburn se serait levée et aurait répondu: il faudra me passer sur le corps.
La chanson est devenue un standard.
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Chapitre 6
Sortie
Breakfast at Tiffany’s sort en 1961. La première a lieu au Radio City Music Hall de New York. La deuxième au Chinese Grauman Theatre sur Hollywood Boulevard. En 1962, le film reçoit l’Oscar de la meilleure chanson originale pour "Moon River", ainsi que Oscar de la meilleure musique originale à Henry Mancini.
En 1961, "Diamants sur Canapé" aurait pu être un mélodrame à la française. Mais Blake Edwards a compris qu'il fallait axer son adaptation sur le côté satirique du roman de Truman Capote. Sous l’aspect élégant, joli, très vitrine de la 5 avenue, son film dénonce une société où l’on ne peut vivre sans devenir désaxé.
"Diamants sur canapé" va entrer très rapidement dans la légende du cinéma en proposant une nouvelle image de la femme. Frêle, classe, en talons plats, indépendante, elle préfigure la liberté.
Après ce film, Blake Edwards fera "La Panthère Rose" et tous ses dérivés. "The Party", "Darling Lili", "Victor-Victoria".
Audrey Hepburn fera "Charade", "My Fair Lady", et c’est elle qui chantera la dernière chanson d’anniversaire du président Kennedy, le 29 mai 1963, un an après Marilyn.
Petit à petit, la comédienne se retire du cinéma, se consacre à sa famille, s'installe à Tolochenaz en Suisse et s’engage en tant qu’ambassadrice de l’UNICEF.