Ecran blanc, cinéma noir

Grand Format

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Introduction

Après la polémique #OscarSoWhite qui accusait l'Académie de favoriser acteur, actrice et réalisateurs blancs, et après l'Oscar attribué à "Moonlight", surgit "Black Panther", premier superhéros africain de l'histoire du cinéma. Son succès est phénoménal. Pour comprendre comment on en est arrivé à ce point d'orgue, RTS Culture se penche sur l'évolution de la représentation des Noirs dans le cinéma américain.

Chapitre 1
Racisme et stéréotypes

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Des Blancs déguisés

Dès sa naissance, le cinéma américain a représenté des personnages noirs. Mais compte tenu des lois ségrégationnistes en vigueur, la plupart de ces rôles étaient joués par des Blancs grimés, les "blackfaces", à l'image de "La Case de l'Oncle Tom" (1903), d'Edwin S. Porter.

Cette première adaptation du roman de l'écrivaine Harriet Beeches Stowe popularisera la figure de l’esclave sympathique et totalement dévoué à son maître. Tom a son pendant féminin, la nounou, qui roule les "r" et qui est prête à se sacrifier pour ses patrons blancs.

>> A écouter, l'origine des stéréotypes sur les Noirs dans le cinéma :

"Naissance d'une nation", de D.W Griffith, chef-d'oeuvre du cinéma mais complètement raciste. [Collection Roger-Viollet/afp]Collection Roger-Viollet/afp
Vertigo - Publié le 26 février 2018

L'historien Donald Bogle a relevé trois autres stéréotypes récurrents dans le cinéma américain: le coon, bouffon pleutre et fainéant, figure du grand enfant un peu retardé; le buck, toujours associé à une sexualité brutale, voire animale, homme violent et craint de la population blanche. Enfin, plus rare la métisse tragique, prise entre deux cultures, mais aspirant à devenir blanche ou à être reconnue comme telle.

Naissance d'une nation, naissance d'un racisme ordinaire

L'image des Noirs est donc façonnée par les Blancs et sera durablement négative avec "Naissance d'une nation", de D. W. Griffith, en 1915. Premier blockbuster de l'histoire d'Hollywood, le film évoque la guerre de Sécession et la période de la Reconstruction qui débute avec l'émancipation des esclaves. Son héros est le créateur du Ku Klux Klan et le film affirme sans détour qu'il n'y a de bons Noirs qu'esclaves. Sitôt libérés, ils violent les Blanches et veulent le pouvoir.

L'affiche de "Naissance d'une nation" de D.W. Griffith, avec son héros créateur du Ku Klux Klan. [Archives du 7eme Art / Photo12/afp - David W. Griffith Corporation]
L'affiche de "Naissance d'une nation" de D.W. Griffith, avec son héros créateur du Ku Klux Klan. [Archives du 7eme Art / Photo12/afp - David W. Griffith Corporation]

Le film est un chef-d'oeuvre, il pose même la grammaire de ce qui deviendra le cinéma, mais son propos est totalement raciste. Au point de mobiliser la communauté noire et de provoquer une contre-attaque cinématographique.

Chapitre 2
La réaction

MoMA

En réaction au film de Gritffith, cinéastes, producteurs et acteurs noirs s'organisent pour créer leur propre cinéma, le race movies, des films à petits budgets qui pullulent entre 1915 et 1950. Oscar Micheaux en est l'emblème avec près d'une quarantaine de films. Son cinéma, surtout muet, est militant. Il met en scène le lynchage, le viol, le harcèlement ou l'amour mixte.

>> A écouter, le phénomène des race movies dans "Vertigo":

Un extrait de "Within Our Gates" (1919) d'Oscar Micheau, cinéaste de "race movies"x [San Francisco Bay View]San Francisco Bay View
Vertigo - Publié le 27 février 2018

On compte à peu près 500 productions de race movies. "L'idée était de donner une image valorisante des Noirs dans des films de genre, romance ou western. Pourtant, à l'image de la ségrégation toujours en vigueur, certains de ces films ne sont pas exempts de préjugés. Par exemple, les métis sont toujours plus positifs que les noirs d'ébène, dévolus aux rôles de méchants" , explique Régis Dubois, professeur de cinéma et auteur de plusieurs ouvrages sur le cinéma afro-américain.

Jusqu'en 1945, il n'y a pas de rôle positif dans l'industrie hollywoodienne, sauf "Alleluja" de King Vidor (1929) à la distribution entièrement afro-américaine. Mais le film reste très marginal.

Après la guerre, les choses changent. Les Etats-Unis se sont battus contre les fascismes et les Noirs y ont participé. Il est plus difficile d'être raciste. Apparaît alors "le film noir à problèmes" comme "Pinky" d'Elia Kazan (1949) qui raconte l'histoire d'une jeune femme noire à la peau très claire qui se fait passer pour une blanche. Mais confrontée au racisme et à la ségrégation, elle finira par revendiquer haut et fort ce qu'elle est.

Chapitre 3
Et vint le premier héros positif

Archives du 7eme Art / Photo12

Les années 50 marquent une étape importante dans l'évolution de l'image de l'Afro-Américain à l'écran avec l'avènement de Sydney Poitier, première star noire hollywoodienne, aux côtés de Harry Belafonte et Dorothy Dandrigge, la "Carmen Jones" d'Otto Preminger.

Le public veut l'intégration et Sydney Poitier incarne le Noir parfait, immaculé, neutralisé sexuellement, socialement et racialement. Il incarne l'esprit Martin Luther King

Régis Dubois, historien du cinéma

Sydney Poitier débute en 1950 avec "La Porte s'ouvre" de Joseph Mankiewicz. C'est la première fois que l'on voit un Afro-Américain dans un rôle positif, celui d'un médecin confronté à un patient raciste. En 1964, il devient le premier acteur noir à remporter l'Oscar pour "Le lys des champs".

>>> A voir la remise de l'Oscar du meilleur acteur à Sydney Poitier, et son discours très sobre:

Soucieux de choisir des rôles en correspondance à ses engagements en faveur du mouvement pour les droits civiques, Sydney Poitier interprète un homme accusé injustement d'un crime en raison de sa couleur dans "La Chaleur de la nuit". Tandis que dans "Devine qui vient dîner?", il doit faire face aux préjugés racistes de la famille aisée de sa fiancée.

A la fin des années 60, ses compositions de Noir intégré, irréprochable et "blanchi", agacent ceux qui veulent aller plus loin dans le combat pour la fierté.

L'époque n'est plus à l'intégration mais à la revendication.

Chapitre 4
La blaxploitation ou le black power

Photo12.com - Collection Cinema / Photo12

En 1971, on constate que le public noir est conséquent, environ 11% de la population et qu'il représente entre 20 et 25% du public. Les grands studios hollywoodiens ont été rachetés, la TV supplante le cinéma et la contre-culture attire les jeunes. Il faut aller chercher un nouveau public. La "blaxploitation" va connaître un âge d'or entre 1970 et 1976.

C'est une révolution des mentalités, un mouvement salutaire qui permet aux afro-américains de s'émanciper de la honte d'être noirs, honte inculquée depuis l'esclavage. Les modèles positifs sont essentiels pour s'émanciper de la domination.

Régis Dubois, professeur de cinéma et auteur de plusieurs ouvrages consacrés au cinéma afro-américain

>> A écouter, un sujet sur la "blaxploitation" dans "Vertigo" :

Une photo du film "Black Dynamite" issu du mouvement de la Blaxploitation. [AFP - Prashant Gupta]AFP - Prashant Gupta
Vertigo - Publié le 1 mars 2018

S'affranchir du regard des Blancs

Après les stars reconnues des Blancs, le tour est venu de s'affranchir entièrement de leur regard. Ce sera la "blaxploitation", une période où des cinéastes noirs, comme Melvin Van Peebles ou Gordon Parks, mettent en scène des héros black et fiers de l’être, incarnés à l’écran par des vedettes comme Pam Grier, Richard Roundtree, Fred Williamson.

Pam Grier, icône de la blackexploitation, dans "Foxy Brown" de Jack Hill [Collection ChristopheL - American International Pictures]
Pam Grier, icône de la blackexploitation, dans "Foxy Brown" de Jack Hill [Collection ChristopheL - American International Pictures]

Nous sommes au début des années 1970. Et des films inspirés des mouvements de contestation des années 60 inondent les cinémas américains. Ces films s'emparent des codes les plus populaires de différents genre, polar, horreur, thriller. Des films comme "Shaft", "Cleopatra Jones", "Foxy Brown" cartonnent, et des mythes comme Dracula et Frankenstein on même droit à leur version noire, "Blacula" et "Blackenstein".

"Car jusqu'ici, le monde était blanc: Dieu est blanc, le père Noël est blanc, le président est blanc. Comme disait Malcolm X; tout ce qui est blanc est bon; tout ce qui est noir est sale et impur, comme le marché noir, les caisses noires ou les chats noirs", précise Régis Dubois.

Le black power n'est pas tant la volonté d'assujettir les blancs que de reconquérir le pouvoir d'être soi et fier de ses racines.

A écouter, James Brown et sa fierté d'être noir:

Une grande majorité des films de blaxploitation sont des séries B, qui véhiculent la culture afro: cheveux crépus, style vestimentaire et bandes son exceptionnelles. Tous grands musiciens noirs des années 1970 y ont exercé leurs talents, de James Brown à Jimmy Clift, de Isaac Hayes à Barry White, d'Herbie Hancock à Edwin Starr.

Chapitre 5
Vers l'universalité?

Archives du 7eme Art / Photo12

A l'aube des années 80, la Blaxpoitation s'épuise et les blockbusters débarquent. Avec "Les dents de la mer" ou "Star Wars", Hollywood trouve la formule pour asseoir sa suprématie. L'usine à rêves a même réussi à faire élire un des siens: Ronald Reagan, libéral en économie mais conservateur sur les valeurs.

"Le new jack"

Le réalisateur américain Spike Lee. [Good Universe / Archives du 7eme Art / Photo12 - Good Universe]
Le réalisateur américain Spike Lee. [Good Universe / Archives du 7eme Art / Photo12 - Good Universe]

Le cinéma se tourne davantage vers le pur divertissement et oublie les mouvements contestataires. Les frontières bougent pourtant. Un cinéaste majeur, Spike Lee, devient unes des figures du cinéma indépendant new-yorkais, et incarne la troisième vague du cinéma afro-américain après les race movies et la "blaxploitation": le "new Jack". Mais dès 1996, ce cinéma du ghetto n'est plus bankable et même Spike Lee s'adresse désormais à un public élargi.

Le bouffon

Pendant les années 90, des acteurs noirs connaissent une grande popularité auprès du public blanc. Woopi Goldberg, par exemple, mais surtout Eddy Murphy qui, selon Régis Dubois rejoue un des rôles types du Noir, celui du bouffon qui amuse la galerie, renforçant ainsi un des stéréotypes sur les Noirs, comme Omar Sy en France.

La normalisation

Pour le spécialiste du cinéma afro-américain, le vrai tournant arrive en 1995 quand des rôles de Blancs sont tenus par des Noirs, voyant émerger des acteurs à la popularité internationale, à l'image de Denzel Washington, Samuel L. Jackson et surtout Will Smith qui se classe parmi les acteurs les plus rentables de l’histoire du cinéma américain.

Les acteurs André Holland et Trevante Rhodes dans "Moonlight". [COLLECTION CHRISTOPHEL - DAVID BORNFRIEND]
Les acteurs André Holland et Trevante Rhodes dans "Moonlight". [COLLECTION CHRISTOPHEL - DAVID BORNFRIEND]

En 2017, "Moonlight" de Barry Jenkins, premier film réalisé par un Noir à recevoir l'Oscar, confirme cette tendance. Cette hymne à l'indifférenciation des genres (cinématographique, sexuel et racial) a touché tous les publics et a valeur universelle.

Dans cette conquête du tout public, "Black Panther", un des meilleurs scores de l'histoire du cinéma, marque encore une étape: désormais, plus aucune franchise n'est interdite aux Noirs.

>> A écouter, le sujet "Vertigo" sur l'émergence de stars comme Eddie Murphy :

L'acteur Eddie Murphy dans "Le flic de Beverly Hills 3". [AFP - Paramount Pictures (presents) / Collection ChristopheL]AFP - Paramount Pictures (presents) / Collection ChristopheL
Vertigo - Publié le 2 mars 2018