Gertrud (Monica Gubser), vieille dame bien de sa personne, est déterminée à mourir, car, croit-elle, elle est près de sombrer dans la démence. Sans prévenir personne, elle contacte une association d’aide au suicide. Voici la trame d’"Une dernière touche", le nouveau film de Rolf Lyssy, sorti en salle la semaine dernière, précédé d’un grand succès en Suisse alémanique (100 000 entrées).
La mort, la vieillesse, la démence. Et pourtant, "Une dernière touche" n’a rien de glauque. C’est une comédie familiale légère qui aborde des questions graves sans regard moralisateur.
Rolf Lyssy travaille sur le scénario depuis douze ans et l’admet sans détour: "je pense à la démence tous les jours. Chaque fois que j’oublie un nom, je me dis, ça y est! C’est cette peur que j’ai voulu raconter dans mon film. Gertrud ne peut pas rater le moment où elle perd la faculté de jugement, car à ce moment-là, l’aide au suicide devient impossible."
Membre d’Exit depuis plus de vingt ans, le réalisateur n’a jamais eu l’intention de faire un film militant.
J’y ai mis de l’humour et de l’ironie, car j’ai toujours aimé offrir au public des films qui produisent des sentiments positifs.
Cet humour particulier, Rolf Lyssy dit le devoir à ses origines. "J’étais le seul garçon juif de mon petit village du canton de Zurich. Nous n’étions pas religieux, mais j’ai toujours senti que j’avais une manière de penser différente. Quand j’ai fait "Les Faiseurs de Suisses", on m’a dit que mon humour n’était pas vraiment suisse. Il faut dire que j’ai été influencé par Harold Loyd, Buster Keaton ou Woody Allen."
Penser à la mort
La mort, Rolf Lyssy y a lui-même pensé mille fois lorsqu’il est tombé dans la dépression. "Les Faiseurs de Suisses", avec ses 941000 spectateurs, est resté pendant dix-neuf ans le plus grand succès du box-office suisse, et le film occupe aujourd’hui la 10e place du palmarès, après "Titanic", "Intouchables" et "Skyfall".
Rolf Lyssy, lui, dans les années 1990, connaît des heures sombres et des échecs en salle. Une traversée du désert qu’il raconte dans un livre très émouvant, "Swiss Paradise", paru en 2010 aux Editions d’En bas.
Quarante ans après son film culte, le succès alémanique d’"Une dernière touche" constitue donc une belle revanche. "Aujourd’hui, ça ne me dérange plus que mon nom reste associé aux "Faiseurs de Suisses". Je suis en paix avec moi-même. Pas toujours avec le milieu du cinéma, mais avec mon travail et avec les miens. Je suis optimiste et j’ai confiance dans l’avenir. "
Monica Gubser, jeune première de 87 ans
Actrice de théâtre soleuroise, Monica Gubser a joué beaucoup de petits rôles au cinéma. Alors quand Rolf Lyssy lui a proposé son premier rôle principal, elle n’a pas hésité une seconde, "parce qu’à mon âge, un si beau et si grand rôle, ça ne se refuse pas!" dit-elle.
Pendant des mois, elle a cohabité mentalement avec Gertrud, cette arrière-grand-mère énergique qui veut mettre fin à ses jours. J’ai lu ce scénario trois ou quatre fois à haute voix, seule chez moi, comme je le fais d’habitude. Quand on prépare un rôle, on plonge en soi-même et on fait le tour du monde avec son personnage.
J’ai donc beaucoup réfléchi à Gertrud: qui elle est, ce qu’elle fait, son apparence physique, et durant le travail, je l’avais tout le temps en tête. Elle était avec moi quand je me promenais, elle était avec moi à table quand je mangeais et ça a duré des jours.
Et sur le tournage, elle n’a pas eu le trac. "J’ai ressenti une certaine tension, oui. Mais le trac, non. Un plateau de cinéma, ce n’est pas une scène de théâtre. On peut refaire si le texte ne vient pas. Je n’ai jamais eu peur de la caméra."
Monica Gubser avoue qu’elle a beaucoup de son personnage. Sa volonté, sa détermination. Mais pas son envie de mourir. "Je n’ai pas l’intention de me suicider", rit-elle. Pour elle, le film de Rolf Lyssy soulève de grandes questions taboues sur la mort et laisse le public libre d’y apporter ses propres réponses.
Raphaële Bouchet/mcc