Après l’immense succès de "More Than Honey", Markus Imhoof aurait pu en rester là et "vivre en grand-père heureux". Mais face aux tragédies qui se déroulent chaque joue en mer, il ne pouvait pas rester indifférent. "En tant que Suisses riches et heureux, nous avons une responsabilités face au malheur des autres."
Markus Imhoof avait déjà abordé la thématique des réfugiés dans "La Barque est pleine", en 1981, une fiction nommée aux Oscars. Le film racontait l’arrivée en Suisse de réfugiés juifs au moment où notre pays décidait de leur fermer ses frontières.
Trente-sept ans plus tard, "Eldorado", lui permet donc de revenir à ce sujet qui le préoccupe depuis toujours, mais par le biais du documentaire. D’autres s’y sont déjà frottés avant lui, comme Gianfranco Rosi dans "Fuocoammare", Ours d’or de la Berlinale en 2016. Mais "Eldorado" évite la redite, car Markus Imhoof y imbrique son histoire intime et la grande histoire contemporaine des migrations.
"A la fin de la Seconde Guerre mondiale, ma famille a recueilli quelque temps Giovanna, une enfant italienne en mauvaise santé. Elle m’a profondément marqué. Et quand j’ai parlé d’elle à mes producteurs, j’ai commencé à pleurer. Ils m’ont dit qu’il fallait parler de cette histoire d’amour enfantine restée si longtemps secrète. Elle est devenue le fil conducteur du film", explique Markus Imhoof. Le destin de Giovanna dialogue constamment avec celui de millions de gens qui traversent la mer.
Une production au long cours
Cinq ans de travail ont été nécessaires à Markus Imhoof pour préparer, tourner et monter "Eldorado". Il s’est engagé sur un bateau de Mare Nostrum, qui effectuait alors l’un de ses derniers sauvetages.
L’idée de base était de tracer ce chemin de l’espoir qui part de l’enfer, passe par le purgatoire et arrive au paradis, en Suisse. Je voulais montrer comment les obstacles sont savamment mis en place pour que quasiment personne n’arrive au paradis.
"Eldorado" a été sélectionné à la Berlinale. Markus Imhoof s’étonne de la réception du film: "Je suis stupéfait de ne pas avoir eu beaucoup de réactions négatives à propos du film. Pour 'La Barque est pleine', c’était assez violent, des gens ont peint une croix gammée sur la porte de mon père et il y a eu des menaces de bombes dans les cinémas! Certaines personnes ne pouvaient pas accepter que la Suisse, où a été fondée la Croix-Rouge, avait elle aussi conduit les juifs vers la mort."
Le cinéaste aimerait attirer dans les salles des gens qui ont une vision négative des étrangers. "Toutes les élections européennes se fondent sur un discours négatifs lié à la migration. On parle des chiffres, jamais des êtres humains. Souvent, ceux qui détestent les réfugiés ne les ont jamais vus. Mon film montre la réalité des migrants. J’aimerais qu’il rende l’amour de l’autre contagieux."
Raphaële Bouchet/mcc