Une conférence de presse? Non, pardon, une messe. Ce matin à 11h, une foule de journalistes se presse au 3 étage du Palais des festivals. Dans la salle pleine – pas bondée, mais pleine - l’ambiance est solennelle.
Un maître de cérémonie annonce le déroulé du rituel. "Vous pourrez parler avec Jean-Luc Godard au téléphone, comme avec un ami. Avancez-vous et faites la queue, s’il vous plaît." Les plus courageux se lèvent, ils attendent dans un silence quasi religieux que le visage du maître apparaisse.
Fiat Lux
Et la lumière fut. "Bonjour Jean-Luc Godard, ose un journaliste du 'Point'. Ça fait tout drôle de vous voir comme ça. Je vois que vous avez un cigare, donc vous allez bien."
Cela faisait longtemps que Cannes n’avait pas conversé avec Godard. Pour "Film Socialisme" en 2010, il avait prétexté un problème de type grec, pour "Adieu au langage", en 2014, il s’était contenté d’une vidéo.
Godard répond aux questions, donc. Poliment. Parfois magnifiquement.
J’ai fait une équation. Un film, c’est x+3=1. Donc x = -2. Si on fait une image, qu’elle soit du passé, du présent ou du futur, pour en trouver une troisième qui soit une vraie image, il faut en supprimer deux. Donc, x+3, c’est la clé du cinéma. Mais ce n’est pas parce qu’on a la clé qu’il faut oublier la serrure.
Parfois violemment. "Les acteurs contribuent au totalitarisme de l’image filmée contre l’image pensée." Il botte en touche, souvent, sur les questions politiques. "Je ne connais ni monsieur Macron, ni monsieur Poutine, ni madame Merkel."
Sauvé par une association
A propos de son film, "Le Livre d’image", somptueux essai cinématographique, Jean-Luc Godard raconte qu’il a été abandonné par des producteurs français et que le projet n’a pu aboutir que grâce à la petite association suisse de Fabrice Aragno, son chef opérateur et complice depuis "Film socialisme".
"Si le film a accepté la gentille invitation de Thierry Frémaux de venir à Cannes, c’était surtout dans un but publicitaire, dit Godard. Pour que cette petite association puisse trouver ce que j’appelle des noisettes ou qu’on appelait autrefois de l’oseille pour terminer le film."
Sa vieille voix, douce et chevrotante, émeut. On se croirait encore plongé dans "Le Livre d’image". Et si cette conférence de presse Face Time était le bonus expérimental du film? Une fois de plus, c’est vrai. Ce vénérable monsieur de 87 ans crée comme un très jeune homme. Amen.
Raphaële Bouchet/mcc
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