En 90 ans, une seule femme a remporté l’Oscar du meilleur réalisateur, Kathryn Bigelow. Une seule a raflé la Palme d'or depuis la naissance du Festival de Cannes, Jane Campion, et encore ex-aequo! Et une seule a été lauréate d’un César du meilleur réalisateur en 43 ans: Tonie Marshall.
Charte pour l'égalité
Les chiffres sont accablants. Il ne le seront pas éternellement. Le Festival de Cannes et ses sections parallèles ont été les premiers signataires, lundi, d'une charte en faveur de la parité femmes-hommes dans les festivals de cinéma.
Cannes s’engage, entre autres, à "genrer" les statistiques pour les films soumis à la sélection et à mettre en place des comités paritaires. Une initiative née de l'association 5050 pour 2020, un collectif constitué de 300 personnalités du cinéma.
Le monde change
"Après l'affaire Weinstein, on espère que Cannes permettra de renforcer l'idée que le monde n'est plus le même", a souligné Thierry Frémaux, délégué général, qui, il y a encore cinq ans, bottait en touche sur cette question.
Si Cannes, plutôt frileux jusqu'à présent, rejoint cette bataille, les autres festivals vont suivre.
Moment émouvant que cette signature sous la tente, en face de la mer, qui a permis à des femmes du monde entier et de toute l'industrie du cinéma de se parler et de s'écouter.
"On a l'habitude de dire qu'une page d'histoire se ferme. Mais elle s'ouvre aussi", dit la journaliste et réalisatrice nigériane Rahmatou Keïta qui rappelle que le mouvement #metoo a été initié par une Afro-Américaine, Tarana Burke.
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Dans la foulée, elle explique que dans les cultures africaines, les femmes ont connu le matriarcat, qu'elles ont été des reines, des Amazones, et que tous les mouvements de lutte contre l'esclavage ont été dirigés par des femmes.
Avec une certaine ironie, elle constate que les femmes blanches ont pris du retard et que les noires sont prêtes aujourd'hui à les aider:
L'Occident ne regarde jamais le reste du monde, c'est pourquoi il va droit dans le mur
Cette signature survient deux jours après la montée des marches, samedi, de 82 femmes, réalisatrices, productrices, distributrices ou actrices. Marche conduite par Cate Blanchett, présidente du jury, et la cinéaste Agnès Varda, Palme d'or d'honneur en 2015. Pourquoi 82? C'est le nombre de femmes sélectionnées à Cannes depuis la création du festival en 1946, contre 1688 hommes!
Film le plus hué...
Le soir même était programmé le premier film de femmes (il y a en trois en tout) de la compétition. Il s’intitule "Les Filles du soleil", de la française Eva Husson. Hélas, ce film de guerre qui met en scène des combattantes du Kurdistan a été hué en projection de presse et collectionne les mauvaises critiques. D'après la journaliste RTS Raphaële Bouchet, "il est d'un féminisme tellement bourrin qu'il desservirait presque la cause".
...et le plus applaudi
Mais les jours se suivent sans se ressembler. Le lendemain était projeté "Heureux comme Lazzaro", de l'Italienne Alice Rohrwacher, déjà lauréate d’un Grand Prix avec "Les Merveilles" en 2014.
Il s'agit d'un conte fantastique sur les inégalités sociales. Dans le rôle de Lazarro, un comédien exceptionnel et non professionnel, pressenti comme prix d'interprétation: Adriano Tardiolo. Le film, dont la mise en scène est brillante, selon la journaliste de la RTS, a été salué par une standing ovation de près de quinze minutes tant le public a été sensible à cette fable sur la bonté.
Tant qu'on n'attribuera pas la même valeur aux femmes qu'aux hommes dans notre industrie, notre communauté restera un terreau fertile pour les prédateurs.
Salma Hayek, qui a incarné Frida Khalo à l'écran, était invitée dimanche à Cannes, par le groupe de luxe mondial Kering qui promeut la place des femmes dans le 7e art. Depuis quatre ans, le groupe organise rencontres et discussions entre des femmes de l’industrie du cinéma. Depuis 2016, ses "Talks Women in motion" se déploient dans le monde entier.
L'actrice, interrogée sur la question du travail égal/salaire égal, a déclaré:
Les hommes sont parfois tellement payés que si les femmes l'étaient de la même manière, les films ne pourraient pas se faire. Les acteurs doivent comprendre que cette période, dont ils ont profité, est finie. Et s'ils baissaient leur salaire?
Propos recueillis par Raphaële Bouchet
Réalisation web Marie-Claude Martin