On dit souvent que l'habitude tue la création. Dans le cas de Vincent Lindon et Stéphane Brizé, c'est le contraire: leur collaboration se renouvelle à chaque fois, comme si leur connaissance mutuelle autorisait toujours plus de liberté et d'audace. "Stéphane m'offre des rôles d'hommes qui lui ressemblent, de près ou de loin; des rôles comme il se fantasme, comme il se voit, comme il voudrait être, comme il voudrait faire. Il m'a choisi pour être lui et jouer eux", dit Vincent Lindon au micro de la RTS.
Pour Vincent, tout est tragique
De son côté, Stéphane Brizé compose avec ce qu'il connaît de son acteur: "Vincent a une capacité hallucinante à convaincre. Rien ne le fait plus triper que l'argumentation de bonne foi. Il sait aussi faire rire. J'adorerais une fois lui faire jouer un personnage à la dois tragique et drôle, car pour Vincent, tout est tragique".
Ce rôle n'est pas une composition
Après "Mademoiselle Chambon", "Quelques heures du printemps" et "La loi du marché", "En guerre", leur quatrième collaboration, offre une immersion dans une usine d'équipements automobile à Agen, dont les ouvriers sont en lutte pour garder leur usine. Les négociations sont âpres.
>>> A regarder la bande annonce de "En Guerre":
Vincent Lindon joue le rôle de Laurent Amedeo, un syndicaliste jusqu'au-boutiste. Il est le seul comédien professionnel du casting puisque ses partenaires à l’écran jouent leur propre rôle dans la vie.
Dans tous les autres films, je compose. Ici, je suis comme Amedeo. Mon caractère est proche du sien: j'aime être un leader, j'aime fédérer, rassembler, convaincre. Et comme lui, je suis en colère, furieux, révolté. Stéphane a pris toutes ces choses qui sont en moi et les a aiguillées ailleurs: c'était comme un défouloir pour moi.
En écho aux propos de son comédien, le réalisateur Stéphane Brizé dit qu'il partage avec Vincent Lindon le même carburant, la colère. Et c'est peut-être dans ce mot-là qu'il faut voir une sorte de fraternité entre le cinéaste et sa muse.
Entraînement intensif et immersif
Pour parvenir à une telle véracité, le metteur en scène a entraîné son acteur comme le gouvernement américain peut le faire avec un témoin important dans un procès: en le faisant répéter inlassablement pour qu'il puisse devenir ce syndicaliste, qu'il puisse croire à sa nouvelle identité, en le faisant jouer face à des avocats, des syndicalistes, des copains, des juristes, afin d'acquérir le bon langage technique et que tout devienne réflexe.
J'étais comme un infiltré, sauf que je ne devais pas être une taupe mais un leader.
En 2015, l'acteur remportait le prix d'interprétation à Cannes avec "La loi du marché". Le film traitait déjà du monde du travail, et le comédien était déjà le seul professionnel. "En Guerre" est pourtant très différent, dans sa tonalité comme dans son énergie. Le film est double: il donne à la fois l'impression d'être un documentaire, tant tout paraît vrai sur ce qu'il dit de la violence du capitalisme d'aujourd'hui, et en même temps, il est complètement romanesque, grâce notamment à la musique signée Bertrand Blessing, jeune musicien issu du jazz.
Du western au film de guerre
Si "La loi du marché" était un film social et un western, celui-ci est vraiment un film de guerre où chacun place ses pions sur le champ de bataille.
"Si je devais dire en une seule phrase pourquoi j'ai fait ce film, je dirais que c'est pour légitimer la colère des salariés", explique Stéphane Brizé qui a passé des semaines à se nourrir du réel, à écouter, à se renseigner auprès des ouvriers, bien sûr, mais aussi des RH, des avocats, des conseillers de l'Elysée ou des patrons pour que son film ne soit pas manichéen, que chaque niveau de langage s'exprime, que chaque partenaire joue sa partition et que l'on puisse comprendre la logique de chacun."
Je ne voulais pas faire un film manichéen, ce qui ne veut pas dire que tout se vaut. Par le placement de ma caméra, on comprend assez bien ma vision du monde.
Propos recueillis par Raphaële Bouchet
Réalisation web Marie-Claude Martin