"West Side Story", du rythme et du swing éternel

Grand Format Cinéma

AFP - Mirisch Corporation

Introduction

Opéra filmé, satire sociale dansée, "West Side Story" raconte la guerre entre jeunes Portoricains et immigrants de l’Est dans le New York des années 60. Sur fond de "Roméo et Juliette", le film dénonce la haine, le mépris, le racisme, l'imbécillité des clans.

Poème coloré, hymne à la ville éternelle, "West Side Story" embarque le spectateur dans un tourbillon musical résolument moderne.

Chapitre 1
Leonard Bernstein

Quand on parle de "West Side Story", on pense à "Gloria", "Tonight", "America", "I feel pretty". Des titres signés Leonard Bernstein, aux paroles de Stephen Sondheim, passés à la postérité d'abord à Broadway, où ils firent un triomphe, puis dans le monde entier lorsque "West Side Story" est mis en scène au cinéma par Robert Wise et Jerome Robbins en 1961.

Leonard Bernstein est un pianiste, compositeur et chef d’orchestre juif américain né en 1918. Famille russe, immigrée, pauvre, sans dons particuliers pour la musique… mais le petit Leonard a du talent. Il est tellement doué qu'il décroche une bourse pour l'Université d'Harvard.

Il fait ses classes auprès de chefs d'orchestres talentueux, dirige un temps The Symphony of the Air Orchestra, un orchestre télévisuel, mais aussi l'Orchestre philharmonique de New York et d'autres orchestres.

Le chef d'orchestre Léonard Bernstein au cours d'une répétition avec l'Orchestre National de l'ORTF à la Maison de la Radio le 1er novembre 1966. [Ina/AFP - Bernard Pascucci]
[Ina/AFP - Bernard Pascucci]

Leonard Bernstein se révèle être un excellent pédagogue. Il donne des conférences et quelques enseignements à Harvard. Mais il ne fait pas que diriger des musiciens à la baguette. Il compose également. Il écrit trois symphonies, de la musique de chambre, une opérette, un opéra et une messe.

En 1949, le célèbre chorégraphe Jerome Robbins se tourne vers Bernstein pour créer un "Roméo et Juliette" contemporain, dansé, chanté.

Juif comme Bernstein, Robbins verrait bien un show mettant en scène un conflit opposant une famille italo-américaine catholique et une famille juive survivante de l'Holocauste. Leonard Bernstein s'enthousiasme pour ce projet, trouvant l'idée excellente, mais il veut se consacrer uniquement à la musique. Robbins et Bernstein proposent au scénariste Arthur Laurents d'écrire l'histoire. Ils veulent du théâtre lyrique, de l'émotion, du pathos.

L'inspiration viendra sous le soleil californien comme l'explique Arthur Laurents:

"Leonard et moi étions à Hollywood en même temps. Assis côte à côte, les jambes dans la piscine. Nous parlions des émeutes qui avaient eu lieu la veille entre des gangs de Chicanos. Et on s'est dit que ça pourrait être Roméo et Juliette. Et le fait qu'ils soient Chicanos a ajouté quelque chose. Leonard adore les rythmes latino.

On discutait. Il me dit: "il faudra placer l'action à Los Angeles". Je lui ai répondu que je ne connaissais rien de Los Angeles, mais que je connaissais New York."

On a appelé Jerome, on lui a expliqué pour New York. On lui aurait dit la Chine, il l’aurait fait quand même, tellement il voulait le faire. C’est ainsi que tout a commencé.

Arthur Laurents dans le making of de "West Side Story"
Une scène du film "West Side Story" , 1961. [AFP]
Une scène du film "West Side Story" , 1961. [AFP]
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Chapitre 2
Synopsis

Une scène du film "West Side Story" de Robert Wise et Jerome Robbins, 1961. [AFP - The Mirisch Corporation]
Une scène du film "West Side Story" de Robert Wise et Jerome Robbins, 1961. [AFP - The Mirisch Corporation]

Basée sur une trame shakespearienne, reprenant l'amour tragique de deux enfants de familles ennemies, Roméo et Juliette, "West Side Story" raconte l'histoire de Tony et de Maria.

Dans un quartier populeux et pauvre de New York, dans le Lower West Side, deux bandes d'adolescents s'opposent.

Les Jets, des blousons noirs américains, révoltés contre la société, mais imbus de leur supériorité raciale et les Sharks, un gang de jeunes Portoricains fraîchement immigrés aux Etats-Unis. La lutte est implacable entre ces adolescents que hante le mal de vivre, et prêts à la bagarre pour défendre leur suprématie sur un coin de bitume.

Tony, d'origine polonaise, est américain. Il fait partie de la bande des Jets commandée par Riff, son ami. Maria est une immigrée portoricaine, sœur du chef de la bande des Sharks, Bernardo.

Nathalie Wood et Richard Beymer dans "West Side Story" de Robert Wise et Jerome Robbins, 1961. [AFP - The Mirisch Corporation]
Nathalie Wood et Richard Beymer dans "West Side Story" de Robert Wise et Jerome Robbins, 1961. [AFP - The Mirisch Corporation]

Au cours d'un bal, alors que les bandes rivales s'opposent en démonstrations de danse, une force irrésistible pousse l'un vers l'autre Maria et Tony. Ils tombent immédiatement amoureux.

Mais l'amour entre ces deux jeunes gens est rigoureusement impossible à cause du conflit larvé qui oppose les Jets aux Sharks. En dépit des efforts faits par Tony et Maria pour réconcilier les bandes ennemies, les événements s'enchaînent d'une façon implacable.

Au cours d'une rixe, Bernardo tue Riff et Tony, pour venger son ami, poignarde le frère de Maria. Désormais, les deux amants ne peuvent échapper au cycle infernal des vengeance et des malentendus tragiques… et la comédie vire au drame.

Une scène du film "West Side Story" de Robert Wise et Jerome Robbins, 1961. [AFP - The Mirisch Corporation]
[AFP - The Mirisch Corporation]

Chapitre 3
La comédie musicale

En 1949, Leonard Bernstein, Jerome Robbins et Arthur Laurents sont tous finalement pris par d'autres obligations et laissent tomber leur histoire d'amour impossible en mode musical et shakespearien. Ce n'est qu'en 1957 que les trois auteurs reprennent le projet.

Jerome Robbins, chorégraphe inventif et moderne, a envie de montrer la vraie vie sur scène, des jeunes gens en jeans et robes flottantes. Leonard Bernstein amène des rythmiques latino, du jazz, du rythm and blues. Arthur Laurents écrit le livret en suivant scrupuleusement la trace de Shakespeare.

Broadway, New York, dans les années 1950. [AFP - Eric Schwab]
Broadway, New York, dans les années 1950. [AFP - Eric Schwab]

Mais ce projet de "West Side Story" rencontre quelques réticences de la part des producteurs contactés. Personne ne veut financer cette comédie musicale qui n'en est pas une. Une comédie musicale qui introduit la mort en dansant, ça ne s'est jamais vu!

Le salut vient de Harold Prince, producteur de théâtre, qui sentant l'époque ouverte aux nouvelles propositions, se dit que ce projet pourrait peut-être bien être un succès.

On caste des danseurs à qui on apprend à chanter, des chanteurs à qui on apprend à danser, et on monte sur scène proposer un spectacle, devant un public et une critique au début déconcertés par l'intrusion de la mort dans l'univers tout sucre tout miel de la comédie musicale et avec la danse comme moteur de l’action.

"West Side Story" démarre en septembre 1957 et tient l'affiche pendant plus de quatre ans à Broadway avant que le monde du cinéma ne commence à s'y intéresser d'un peu plus près.

>> Ecouter "Travelling", émission consacrée à West Side Story :

West Side Story, 1961, de Robert Wise et Jerome Robbins. [AFP - Archives du 7eme Art / Photo12]AFP - Archives du 7eme Art / Photo12
Travelling - Publié le 27 mai 2018

Chapitre 4
Le film

Pour adapter "West Side Story" à l'écran, on engage Robert Wise, alors cinéaste de prestige. Il est chargé de la mise en scène générale et Jerome Robbins des parties chorégraphiées. Robbins est tellement exigeant qu'il fait refaire des dizaines de fois les prises. Il finit par coûter trop cher à la production et se fait virer du film.

Mais c'est à lui toutefois que l'on doit la scène d'ouverture, sans parole, une chorégraphie d'opéra, les bagarres, et les roulements des hanches des Portoricaines sur "America".

Le film va impressionner par les moyens engagés et va révéler au grand public une cohorte de jeunes comédiens. Pour les besoins du film, les producteurs vont louer pendant cinq semaines plusieurs rues du West Side new-yorkais. Rues et places évacuées par leurs habitants expropriés et promises à la démolition pour laisser la place au Lincoln Center.

On redonne une vie apparente à ces maisons, on installe les éclairages, les grues, et on peut commencer à tourner.

Contrairement à tous les autres acteurs du film, Natalie Wood est la seule à être déjà célèbre. C'est donc un visage connu qui apparaît à l'écran, associé à la fureur de vivre, à la jeunesse en révolte, prêt à incarner toute la douceur de Maria.

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Chapitre 5
Tournage et succès

Même si Natalie Wood chante juste et bien, on va la faire chanter en playback. Sa voix d'or que beaucoup admirent dans le film est en fait celle Marni Nixon, soprano américaine, connue pour ses doublages dans des comédies musicales. Marni Dixon doublera également Audrey Hepburn dans "My Fair Lady".

Son partenaire à l'écran, Richard Beymer, Tony, est également un rôle chanté par quelqu'un d’autre.

Une scène du film "West Side Story" de Robert Wise et Jerome Robbins, 1961. [AFP - Mirisch Corporation]
Une scène du film "West Side Story" de Robert Wise et Jerome Robbins, 1961. [AFP - Mirisch Corporation]

Seuls George Chakiris qui joue Bernardo, Russ Tamblyn pour Riff et Rita Moreno pour Anita jouent, dansent et chantent. Le tournage se passe bien.

En postproduction, on demande au génial Saul Bass de créer le générique du film. Saul Bass utilise des lignes graphiques, des codes couleurs repris ensuite dans le film. Cet homme dessine l'île de Manhattan et crée un des génériques les plus originaux de l'histoire du cinéma, véritable entrée dans la fiction, ouverture de rideau uniquement musicale et sans écrits comme dans un opéra, jusqu'à ce que la caméra prenne le pas sur le graphisme et les couleurs brutes pour survoler dans un long plan séquence l'île de Manhattan.

Le film est un succès. Le choc vient également de la vitalité cinglante du swing, du jazz, des compositions de Leonard Bernstein, d'une folle complexité jamais rencontrée auparavant dans une comédie musicale.Tout dans ce film est un coup de force stylistique: la mise en scène de Robert Wise, les chorégraphies de Jerome Robbins, la photographie, et tout l'univers coloré. La jeunesse de 1961 se reconnaît et la critique s'emballe.

Affiche du film "West Side Story", sorti en 1961. [AFP - The Mirisch Corporation]
Affiche du film "West Side Story", sorti en 1961. [AFP - The Mirisch Corporation]

A la cérémonie des Oscars en 1962, "West Side Story" rafle 10 statuettes: meilleur film, meilleur second rôle masculin et féminin, meilleure direction artistique, meilleure photographie, meilleurs costumes, meilleur réalisateur, meilleur montage, meilleure musique de film et meilleur son. Seule Natalie Wood sera la grande perdante de cette cérémonie. Elle se sentira trahie, désavouée par la profession.

60 ans plus tard, la musique de "West Side Story" continue de faire swinguer et la comédie musicale se joue toujours à Broadway et dans le monde.