Grand Prix du Jury à Cannes, Oscar du meilleur film étranger en 1989, "Cinéma Paradiso" de Giuseppe Tornatore se présente comme l'histoire d'une initiation au cinéma. Mais aussi comme une histoire d'amour entre un petit garçon et un vieux bourru ou sur l'enfance et l'adolescence.
Chapitre 1
Introduction
Le cinéma aime depuis ses débuts parler de lui-même, célébrer ses fastes, sa propre généalogie: on ne compte plus les films qui évoquent les comédiens, les tournages, les turpitudes privées, l'adulation ou la haine du public. Le cinéma ne laisse à personne le soin de fabriquer ses mythes.
"Cinéma Paradiso" de Giuseppe Tornatore, sorti en 1988, est un film qui convoque le mythe à l'écran. Dans une sorte de parenthèse, au moment où la télévision éloigne le public des salles, et celui où il n'y a même plus de cinéma dans les villages, Giuseppe Tornatore revisite, avec nostalgie, l'époque d'avant.
Chapitre 2
Synopsis
A Rome, dans les années 80, Salvatore Di Vita, cinéaste, reçoit un appel de sa mère. Elle lui dit: "Alfredo est mort". Ce nom suffit pour faire ressurgir l'enfance, le village, celui de Giancaldo en Sicile, la place poudreuse et blanche, la fontaine, l'église et surtout, la salle de cinéma paroissial où règne la figure d'Alfredo, le projectionniste.
Nous sommes à la fin des années 40. Salvatore est enfant dans une famille modeste. Il vit avec sa sœur et sa mère. Son père a été envoyé combattre en Russie. Surnommé Toto, il partage son temps libre entre l'office où il est enfant de chœur et la salle de cinéma; le cinéma Paradiso. Le cinéma règne tout puissant, au village. Tout le monde y va.
Mais plus que la salle, c'est la cabine de projection qui attire l'enfant. La cabine et son magicien: Alfredo. Toto ne le quitte pas, suit tous ses gestes. Alfredo, bourru mais tendre, essaie de chasser l'enfant, car la pellicule est dangereuse et peut s'enflammer, mais Toto ne renonce jamais: astuces, fraudes, et même chantage, tout est bon pour rejoindre la cabine.
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Le projectionniste se prend d'affection pour le petit garçon qui grandit auprès de lui. Il finit par lui apprendre les ficelles du métier.
Toto en profite pour recueillir dans une boîte, en cachette, tous les bouts de films coupés sur ordre du curé, Don Adelfio, censeur suprême. Ainsi dans sa boîte aux trésors, se retrouvent tous les baisers et toutes les étreintes interdites.
Mais un soir, une distraction d'Alfredo provoque un incendie. La cabine est détruite. Toto réussit à sauver Alfredo, mais ce dernier reste aveugle, les yeux brûlés.
Grâce à un habitant millionnaire, une nouvelle salle de cinéma est construite: le Nuovo Cinema Paradiso. Adolescent, Toto en devient le projectionniste. Alfredo toujours à ses côtés.
La vie et l'amour d'une jeune fille se chargent de les séparer. Devenu cinéaste reconnu, à Rome, Salvatore ne revient en Sicile que pour l'enterrement d'Alfredo qui lui aura laissé un magnifique cadeau. Un message posthume, le montage de toutes les séquences, de tous les baisers coupés par la censure du curé.
C'est donc l'évocation d'un certain cinéma, mais surtout la machinerie indispensable au visionnage qui est montrée dans ce film. Giuseppe Tornatore prend le parti de la salle de projection et dresse le portrait du gardien du temple: le projectionniste. Pour ce faire, il se met à hauteur d'enfant en glissant un gamin au cœur de son récit.
J’ai voulu souligner le côté pionnier du cinéma des débuts. Le projectionniste symbolise ce cinéma qui devient aveugle avant la naissance de la télévision. Et il meurt quelques jours avant la démolition de la salle
Tornatore joue à fond et sans fausse pudeur la carte de l'émotion. Mais, pour autant, il ne joue jamais la carte de la pure nostalgie. D'autre part, il assume pleinement cette perte du cinéma vécue comme la fin d'un lien essentiel pour une communauté. Car c'est la vie sociale qui se reflète dans "Cinéma Paradiso".
L'histoire de cette salle épouse aussi celle d'une communauté qui s'y retrouve pour célébrer ce rite irremplaçable du spectacle partagé.
Le vent qui balaie la place du village, les femmes qui vaquent à leurs occupations, les enfants qui passent leur certificat d'études dans la salle de paroisse. Mais aussi les ouvriers communistes qu'on refuse d'embaucher, les hommes qui ne reviennent pas de la guerre et ceux qui vont chercher du travail à l'étranger. Chaque détail, ici fait sens.
C'est bien la mélancolie d'un cinéma qui rassemble, qui ouvre les yeux sur le monde extérieur, qui passionne. Dans la droite ligne du cinéma populaire dont il est l'héritier, le réalisateur dresse le portrait d'un Paradis perdu.
Chapitre 3
Giuseppe Tornatore
Giuseppe Tornatore est né en Sicile, à côté de Palerme, en 1956. C'est un enfant marqué par le cinéma. Entre 4 et 10 ans il estime avoir vu en moyenne un demi-film par jour. Il fait l'école buissonnière pour aller au cinéma et comme c'est un malin, il paie tout seul ses séances.
Plus tard, il achète une première caméra et débute sa carrière de réalisateur par un court métrage qui le fait remarquer.
Mais c'est l'expérience en 1984 avec Giuseppe Ferrara, pour "Cent Jours à Palerme", qui est décisive pour la suite de sa carrière. Il est alors co-scénariste et assistant-réalisateur. Il s'immerge dans le métier et apprend de tout son soûl.
Deux ans plus tard, il réalise son premier long-métrage de fiction, "Le Maître de la Camorra". Un film qui parle de Naples, du Milieu, d'un Parrain. Le public lui fait un bon accueil, il reçoit un prix et le voilà lancé officiellement.
Il va pouvoir faire "Cinéma Paradiso" en convoquant sur grand écran tout ce qui l'a transporté étant enfant et surtout en réécrivant une autre histoire de la Sicile. Une région qu'il veut montrer volontairement hors standards. Il veut prouver qu'elle peut être une terre de mythe et de poésie et pas forcément une terre de violence et le berceau de la mafia.
Ainsi, en août 1988, Giuseppe Tornatore tourne "Cinéma Paradiso" dans son village natal en Sicile.
Mon intention n’était pas d’évoquer des films célèbres. Mais de montrer comment on les voyait autrefois (...) C’est la fin d’une époque. Mais le cinéma ne peut pas mourir. C’est le mode de fréquentation des salles qui a changé. Dans les petites villes, la salle de cinéma était autrefois la seule fenêtre ouverte sur le monde.
Après "Cinéma Paradiso", Giuseppe Tornatore continuera sa carrière de réalisateur. "La légende du pianiste sur l'océan", tout comme "Ils vont tous bien" ou "Malèna" contribuent à lui donner une aura de réalisateur international même s’il reste profondément italien.
Chapitre 4
Philippe Noiret et Salvatore Cascio
AFP
C'est Alexandre Mnouchkine, grand producteur français, qui, un jour de 1988, fait passer à Philippe Noiret, le scénario de "Cinéma Paradiso" qu'il s'apprête à coproduire.
Philippe Noiret se plonge dans la lecture. Il s'emballe, au point d'avoir, dès les dernières pages, les larmes aux yeux. Le producteur lui avoue que ça lui a fait le même effet. Le réalisateur les rejoint à Paris. Le processus est lancé et Philippe Noiret fera un très bon projectionniste.
"Cinéma Paradiso fut important par son succès, mais aussi par l’écho qu’il a rencontré au sein de mon propre parcours". Alfredo m’attirait (...). J’étais anxieux de ne pas le rater, d’arriver à donner ce que je reniflais de sa richesse. J’étais à peu près sûr de l’impact qu’aurait ce beau personnage, populaire et universel."
Si l'acteur français parvient sans trop de peine à montrer cette nostalgie à l'écran, c'est qu'il est aidé par un enfant. Parmi les acteurs du film, se trouve le petit Salvatore Cascio qui joue Toto enfant.
Pour Noiret, Salvatore Cascio est un personnage fascinant. Il vient du village voisin. Il n'a jamais joué la comédie. Très vif, doté d'une grande intelligence, il est le roi du plateau.
Nul besoin de lui mâcher les gestes ou les intonations. "Il était très conscient de la dramaturgie, de ce que les scènes voulaient dire. Donner la réplique à des enfants peut être amusant, mais également dangereux, car quand ils sont bons, leur vérité est très difficile à rejoindre."
L'enfant s'amuse beaucoup. Même beaucoup plus que les adultes présents, car le tournage n'est pas une sinécure.
Puis, le petit Salvatore Cascio s'en va, remplacé par Marco Leonardi qui joue Toto adolescent et par Jacques Perrin qui l'incarnera adulte. Mais c'est l'image de Toto enfant et du vieil Alfredo qui ancreront le film dans les rétines des spectateurs au moment de la sortie du film.
Chapitre 5
Tournage
AFP
En 1988, Giuseppe Tornatore tourne "Cinéma Paradiso" en Sicile. C'est sa sœur qui se charge des costumes. Avec Philippe Noiret, ils travaillent beaucoup la question de son allure. Ce n'est pas forcément évident de transformer un acteur bourgeois français en artisan paysan sicilien.
Noiret travaille moins sur le physique que sur la psychologie du personnage. Ils tournent à Palazzo Adriano, pas loin de Corleone, au cœur de la Sicile.
Le tournage est éprouvant. Le réalisateur se montre entêté. Dès le commencement, les choses se goupillent mal. Le budget est mal ficelé. Le réalisateur, sans se soucier de la production, sans tenir compte du plan de travail, commence le film.
Ils débutent avec des scènes prévues pour le premier jour. Le soir venu, ils n'en sont qu'à la moitié. Le lendemain, au lieu d'enchaîner sur la fin de la première séquence, Tornatore embraye la seconde journée telle qu'elle a été planifiée. Ils entament ainsi toute une série de séquence sans les terminer.
Avec la production, Giuseppe Tornatore s'est engagé dans un véritable bras de fer. Son idée est de les mettre devant le fait accompli, de les acculer à financer coûte que coûte ce que lui avait prévu.
Côté producteur, il y une certaine confusion. Les chefs ne sont pas présents. Tout est délégué à des sous-fifres. Les relations s'enlisent. Le tournage souffre beaucoup de ces tensions.
Beaucoup de scènes sont tournées dans la petite cabine du projectionniste. Celle-ci est construite dans un hangar en plein champ, juste couverte de tôles ondulées. Seul le petit comédien, tout à la fraîcheur de son jeu, faire rigoler tout le monde.
Chapitre 6
Sortie
AFP
En septembre 1988, une première version de "Cinéma Paradiso" sort en Italie. Le film est un peu trop long. Il est affublé d'une dernière séquence romantique qui semble le plomber.
Malgré l'insistance des producteurs, Giuseppe Tornatore s'est refusé à couper la longue séquence de la fin du film qui est mal accueilli. Tornatore est désespéré. Il ne veut plus entendre parler de "Cinéma Paradiso". Il finit par se laisser convaincre et par couper les séquences finales.
Ettore Scola, qui lui, a vu le film à Milan et qui est sélectionné pour Cannes avec son film "Splendor", parle de "Cinéma Paradiso" au directeur du festival. Quand Tornatore est appelé, il n'y croit pas. Et puis, il se dit que Cannes, ça ne se refuse pas.
Le film est présenté en compétition. Dès les premières images, le jury, présidé par Wim Wenders, est scotché. A la fin de la projection, personne de bouge. Et puis, comme un seul homme, tout le monde se lève.
Quand l'équipe du film veut sortir de la salle, ils se retrouvent sous un feu roulant d'applaudissements. En descendant les marches du palais, la foule leur fait une ovation ininterrompue de plus de 20 minutes. Sur toute la Croisette, jusqu’à leur hôtel, les gens les acclament. Les gens pleurent.
Tout le monde a aimé le film. "Cinéma Paradiso" va recevoir le Grand Prix du Jury 1989. Le film recevra ensuite le David di Donatello de la meilleure musique pour Ennio Morricone, le Prix du cinéma européen du meilleur acteur pour Philippe Noiret et l'Oscar du meilleur film étranger en 1990.
Au final, on peut faire la fine bouche en regardant "Cinéma Paradiso" et reprocher à Tornatore de jouer au maximum sur la corde sentimentale, mais même si on larmoie, on rit beaucoup, on se laisse submerger par la nostalgie. "Cinéma Paradiso" est assurément un film qui a su toucher au cœur et à l'âme des spectateurs.