Interdit de tournage depuis 2010, privé de passeport, Jafar Panahi continue, coûte que coûte, de faire des films qui parviennent miraculeusement jusqu’à nos écrans. "Taxi Téhéran", en 2015, a même remporté l’Ours d’or à Berlin. "Trois Visages" a reçu le Prix du scénario à Cannes. Un petit prix pour un grand film sobre, drôle et subtil, qui, à travers trois femmes – trois actrices – raconte le poids du patriarcat et le fait d’être relégué à la marge.
Jafar Panahi n’a pas pu se rendre à Cannes, en mai dernier. Mais son équipe était bel et bien là. "L’interdiction de travailler le concerne lui, pas nous. Ils auraient pu nous confisquer nos passeports à l’aéroport, car ils savaient qu’on allait à Cannes défendre le film, mais nous n’avons pas été inquiétées", assurent la monteuse Mastaneh Mohajer et l’actrice Behnaz Jafari, qui, après le festival, retourneront "sans problème" l’une à son banc de montage, l’autre sur la scène d’un théâtre de Téhéran.
Tournage clandestin
Sur le tournage de "Trois Visages", tourné clandestinement dans les villages montagneux et turcophones du nord-ouest de l’Iran, la tension était grande. "Nous étions tous très anxieux, se souvient l’actrice Behnaz Jafari. Un jour, ils ont débarqué en plein tournage. Ils ont pris tout ce qui avait été tourné. Jafar n’a jamais remis la main dessus."
Mais Jafar Panahi a une solution à tout. "Depuis son interdiction de travailler, il a toujours deux scénarios, explique Mastaneh Mohajer. Le premier, le scénario du film, contient les détails de l’intrigue, les dialogues, les actions, etc. Le second explique comment faire en cas de problème.
Jafar pense à tout, il a une solution à tout. On se sent comme dans une bulle en travaillant avec lui. Malgré les pressions, on oublie tout le reste, on vit comme dans un monde parallèle".
Une personnalité bouillonnante et calme
Behnaz Jafari reprend: "Au début, au moindre bruit, j’avais peur qu’ils reviennent. Après quelques jours, j’ai commencé à l’observer, lui. C’est une personnalité bouillonnante et énergique, c’est un vrai leader, mais il reste toujours calme et ce calme est contagieux. Alors, au début, je faisais semblant d’être calme comme lui, puis c’est devenu ma seconde nature. Je vivais l’instant présent et n’écoutais que ses indications en jouant. C’était très sécurisant."
Raphaele Bouchet/aq