Jean-Louis Trintignant, le discret

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Leemage/AFP - Farabola

Introduction

Préposé aux rôles de jeune premier au début de sa carrière, Jean-Louis Trintignant s'est fait un plaisir, plus tard, de camper des personnages complexes, ambigus, parfois cruels. L'acteur aux 160 films, mort ce vendredi à 91 ans, était aussi un grand amoureux du théâtre, une de ses rares consolations après la mort de sa fille Marie, en 2003.

Chapitre 1
Droit, théâtre, course automobile

Collection Christophel/AFP

"Je suis monté à Paris en 1950. Je n'étais qu'un paysan"

Pourquoi quitter ses études de droit à Aix-en-Provence pour rejoindre la capitale? Parce que Jean-Louis Trintignant découvre sa vocation en 1949 avec "L'avare" mis en scène par Charles Dullin, dont il suivra les cours, tout en essayant de perdre son accent méridional si peu approprié à la tragédie. Il apprend le mime et l'improvisation, étudie les classiques et travaille avec Jean Vilar. Il suit en même temps, et en cachette, les cours de Tania Balachova:

Je faisais double journée mais je n'étais pas très doué. A force de travail, j'ai commencé à avoir du talent.

Jean-Louis Trintignant

Parallèlement à sa passion des planches, Jean-Louis est fou de vitesse et de course automobile. Il en a hérité de son oncle, Maurice Trintignant. En 1980, il frôlera d'ailleurs la mort au 24 Heures du Mans quand, en sixième position, un des pneus arrière de sa Porsche éclate.

La course automobile s'immiscera aussi dans sa vie privée puisqu'il vivra, après son divorce avec Nadine, avec Marianne Hoepfner, ancienne pilote de course.

Brigitte Bardot, entourée de Curt Jürgens et de Jean-Louis Trintignant, dans "Et Dieu créa la femme" de Roger Vadim, 1956.
Brigitte Bardot, entourée de Curt Jürgens et de Jean-Louis Trintignant, dans "Et Dieu créa la femme" de Roger Vadim, 1956.

Si son enfance est plutôt agréable dans le sud de la France, un événement va néanmoins le marquer: sa mère, issue d'une riche famille de Bollène, est tondue après la guerre. "C'était une grande amoureuse", dira-t-il. Tout Trintignant est dans cette pudique retenue, un peu sarcastique tout de même. "Je suis d'un sud plutôt austère, influencé par le protestantisme".

Un protestantisme qui se manifeste par sa discrétion, son peu de goût pour la futilité et son honnêteté. "Jeune, j'étais joli, et prédateur comme souvent à cet âge-là. On me l'a fait payer, c'est normal". En 1954, il épouse Stephane Audran, dont il divorcera en 1956. Il devient alors l'amant de Brigitte Bardot sur le tournage de "Et Dieu créa la femme" et la cause du divorce de la star avec Vadim. "Quand j'étais petit, je cassais mes jouets. Avec les gens aussi, quand je les aime, j'ai tendance à les détruire. Le confort me fait peur".

Jean-Louis Trintignant aux sports d'hiver avec sa fille Marie. [Leemage/AFP - Londi]
Jean-Louis Trintignant aux sports d'hiver avec sa fille Marie. [Leemage/AFP - Londi]

En 1963, il rencontre Nadine Trintignant avec qui il aura trois enfants: Marie, Pauline et Vincent.

Nadine Trintignant, réalisatrice, et Jean-Louis Trintignant. [Collection Christophel/AFP]
Nadine Trintignant, réalisatrice, et Jean-Louis Trintignant. [Collection Christophel/AFP]

Le couple vivra deux drames. Le premier en 1970 quand décède de la mort subite leur petite Pauline, disparition qui inspirera le film "Ca n'arrive qu'aux autres" de Nadine Trintignant; le second en 2003 quand Marie sera tuée sous les coups de Bertrand Cantat. "Je suis mort une première fois le 1 août 2003. Ca m'a complètement détruit. Depuis, je n'arrive pas à m'en remettre", confiait-il à Laurent Delahousse en mai 2018, épuisé par un cancer.

A écouter, l'entretien avec Patrick Ferla:

Jean-Louis Trintignant chez lui en compagnie de Patrick Ferla. [Patrick Ferla]Patrick Ferla
Presque rien sur presque tout - Publié le 17 août 2012

Six ans auparavant, devant le micro de Patrick Ferla, l'acteur apparaissait plus serein, exprimant son désir d'être heureux malgré tout.

Chapitre 2
Ses débuts de jeune premier

Societe Generale de Cinematographie /AFP - Collection Christophel © Titanus

Il fait ses débuts au théâtre dans la compagnie de Raymond Hermantier en 1951, puis s'attaque à "Hamlet" en 1960, tout en suivant les cours de réalisateur à l'IDHEC. Il parle déjà d'abandonner sa carrière - il l'annoncera souvent - comme s'il culpabilisait de n'exercer qu'un "métier d'applaudissements".

Jean-Louis Trintignant dans "Hamlet" (1960) [Roger-Viollet/AFP - Lipnitzki]
Jean-Louis Trintignant dans "Hamlet" (1960) [Roger-Viollet/AFP - Lipnitzki]

Eloigné de Paris pour cause de service militaire en Allemagne puis en Algérie - "l'armée m'a anéanti" - il rate le virage de la Nouvelle Vague. C'est donc en Italie qu'il tournera ses premiers films importants, dont "Eté violent" (1959), de Valerio Zurlini, "Le fanfaron" (1962) de Dino Risi ou "La terrasse" de Scola.

Il a le regard mélancolique, la voix chaude et le sourire "des dents d'en haut" qui le hissent jeune premier. En France, il tourne même un improbable "Angélique" où, frangé comme un troubadour, il taquine la poésie.

Jean-Louis Trintignant, jeune premier, dans "Merveilleuse Angelique" (1965) [Collection ChristopheL/AFP - © Compagnie Industrielle et Commerciale Cinematographique]
Jean-Louis Trintignant, jeune premier, dans "Merveilleuse Angelique" (1965) [Collection ChristopheL/AFP - © Compagnie Industrielle et Commerciale Cinematographique]

Mais ce fameux sourire, "fabriqué au début parce que mes dents d'en bas étaient laides", n'est pas que charmeur. Il est aussi mystérieux et inquiétant. Il lui permettra, par la suite, de jouer des personnages beaucoup plus complexes, parfois cruels, voire sadiques comme dans "L'homme aux yeux d'argent" de Granier-Deferre ou "Ceux qui m'aiment prendront le train" de Chéreau.

Chapitre 3
Ses films emblématiques

Films 13 / The Kobal Collection/ AFP

Un homme et une femme

Ce qui a toujours décidé Trintignant à choisir un film plutôt qu'un autre, c'est le metteur en scène. Pourtant, en 1966, quand il dit oui à Claude Lelouch, il ne sait pas grand chose de ce jeune cinéaste fougueux qui a surtout tourné des scopitones pour Sheila, Claude François, Dalida et Johnny Hallyday. Mais son enthousiasme l'enthousiasme. Trintignant se lance dans l'aventure de "Un homme et une femme" (1966) qui lui permettra de démarrer véritablement sa carrière française. "C'est la première fois où je me suis trouvé bon, inventif, réactif. Et le film est plein d'énergie, de trouvailles, avec un goût sincère pour le cinéma. A partir de là, j'ai pu choisir mes films".

>> A écouter, le travelling consacré au film de Lelouch :

Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée dans "Un homme et une femme" de Claude Lelouch (1966). [Films 13 / The Kobal Collection/ AFP]Films 13 / The Kobal Collection/ AFP
Travelling - Publié le 1 mars 2015

Réalisé avec un budget minimum et de façon très artisanale, "Un homme et une femme" obtient la palme d'or au festival de Cannes et deux Oscars la même année. Trintignant tournera encore cinq films avec Lelouch, dont une première suite d'"Un homme et une femme" en 1986 puis, en 2019, "Les plus belles années d'une vie", la suite de la suite, toujours avec Anouk Aimée. D'une certaine manière, Lelouch aura documenté la carrière de Trintignant comme personne.

Ma Nuit chez Maud

"Ma nuit chez Maude", d'Eric Rohmer en 1969. [Les Films de la Pleiade /AFP - Collection Christophel © FFD]
"Ma nuit chez Maude", d'Eric Rohmer en 1969. [Les Films de la Pleiade /AFP - Collection Christophel © FFD]

En 1966 encore, il tourne un film qu'il aime aussi beaucoup mais pour des raisons totalement différentes: "Ma nuit chez Maud", d'Eric Rohmer, au scénario écrit jusqu'à la plus petite didascalie.

Rohmer était un homme charmant, intelligent, courtois mais très bavard. Il parlait tout le temps. Avec Francoise (Fabian), on avait acheté des boules Quiès pour être un peu tranquilles sur le plateau. C'était terriblement prétentieux de notre part. Mais les comédiens sont prétentieux, souvent.

Jean-Louis Trintignant

"Ma Nuit chez Maud" l'amène vers des rôles plus cérébraux mais toujours fortement érotisés. Alain Robbe-Grillet en fera son héros dans "Trans-Europ- Express", "L'homme qui ment" et "Le Jeu avec le feu", où il est harcelé par une caméra très intrusive.

Le Conformiste

Archives du 7eme Art / Photo12/AFP [PHOTO12]
Le Conformiste [PHOTO12]

Retour en Italie en 1970. Son jeu en creux, sa silhouette de séminariste et sa voix de velours frappé vont faire le bonheur de Bernardo Bertolucci dans "Le Conformiste". Sauf que le tournage est une épreuve pour l'acteur qui vient de perdre Pauline, sa petite fille d'un an. "Les assurances prennent en charge les accidents ou la maladie mais pas la mort d'un enfant. J'ai tourné le film dans la douleur, et Bernardo s'en est servi".

Repérages

Un jour, Jean-Louis Trintignant découvre "Les arpenteurs" du cinéaste suisse Michel Soutter. Emu par la délicatesse de ce film, il écrit au réalisateur pour lui dire son admiration, ce qu'il n'avait jamais fait auparavant. Alors qu'il a refusé de tourner avec Coppola, Spielberg et William Frieklin, Jean-Louis Trintignant tournera en 1977 avec Michel Soutter "Repérages", un film qui raconte le tournage d'un film.

En Suisse, on croit qu'il n'y a que du chocolat et des montres, il y a aussi un des meilleur cinéma au monde.

Jean-Louis Trintignant à propos du groupe des 5.

Evoquant Michel Soutter, Jean-Louis Trinitgnant dira: "Il est un chat, et moi aussi. Ensemble, nous parlons chat et on se comprend très bien".

Vivement dimanche

Avec ses trois films-phares, Trintignant montre qu'il peut tout jouer. Il boucle la boucle de cette première période en tournant "Vivement dimanche!" avec un des plus cinéastes les plus emblématiques de cette Nouvelle Vague qui l'a oublié: François Truffaut qu'il trouvait très sympathique.

Rien n'était grave avec lui. Truffaut était arrivé à un certain confort matériel et il avait le souci de rendre la vie des autres plus légère. Il arrêtait les tournages avant l'heure pour que l'équipe puisse profiter alors même qu'il était producteur et qu'il engageait son propre argent

Jean-Louis Trintignant à propos de François Truffaut

Chapitre 4
Trintignant réalisateur et vigneron

Euro International Fil / Collection ChristopheL/AFP - Collection Christophel © Cinetel

Engagé à gauche, d'où son choix de travailler avec Costa-Gavras, notamment sur "Z" (1969) qui lui a valu un Ours d'argent à Berlin, Jean-Louis Trintignant a réalisé deux films, dont un qui est une fable contre la peine de mort. "Une journée bien remplie" (1972) raconte l'histoire d'un boulanger (Jacques Dufilho) et de sa mère qui voyagent en side-car et tuent neuf personnes dans leur périple, les neuf jurés responsables de la mort de leur fils et petit-fils. Marie enfant joue déjà devant la caméra de son père.

"Une journée bien remplie", comédie macabre réalisée par Jean-Louis Trintignant. [CINÉTEL / EIA / PRÉSIDENT FILMS / ARCHIVES DU 7EME ART / PHOTO12 - Jean Kerby.]
"Une journée bien remplie", comédie macabre réalisée par Jean-Louis Trintignant. [CINÉTEL / EIA / PRÉSIDENT FILMS / ARCHIVES DU 7EME ART / PHOTO12 - Jean Kerby.]

"Le maître-nageur" (1978), son second film, a manqué sa cible. D'abord le titre originel, "Les poissons détestent le vendredi", convenait mieux à cette comédie loufoque, à tout petit budget, ensuite le tournage a été modifié en cours de route. La caméra, une louma, lui avait été prêtée parce que personne n'en voulait jusqu'à ce que Spielberg la réclame pour "Rencontres du troisième type". En compensation, Spielberg propose à Trintignant de jouer Claude Lacombe, le scientifique français de son film. Trintignant déclinera et c'est Truffaut qui obtiendra le rôle.

Ce n'est pas le seul rendez-vous manqué de Trintignant avec le cinéma américain même s'il est la voix française de Jack Nicholson dans "Shining" de Kubrick.

Il a aussi refusé celui du planteur français dans "Apocalypse Now" et beaucoup d'autres, dont il ne se souvient même pas. "Je n'ai jamais eu d'ambition, disait-il en 1985.

Je vis dans un village, je n'ai pas besoin d'argent ou de célébrité. Ma seule ambition est de faire des films intéressants, et d'en faire plus encore que mon ami Piccoli.

Jean-Louis Trintignant, en 1985, face au critique Michel Ciment

"Paysan resté paysan", Trintignant se lance en 1996 dans la production de vin. Il achète le domaine Rouge Garance près de Nîmes et produit chaque année 20.000 bouteilles de Côtes-du-Rhône, élevé dans de vieilles barriques de la romanée-conti. L'étiquette de sa première cuvée en 1997 a été dessinée par Enki Bilal, avec qui il a tourné "Bunker Palace Hôtel".

Chapitre 5
Le théâtre, planches de salut

AFP - ANNE-CHRISTINE POUJOULAT

Je ne crache pas sur le cinéma, mais c'est de la conserve. Le théâtre, c'est l'improvisation, le direct, la vie.

Jean-Louis Trintignant.

A partir des années 1990, Trintignant délaisse le cinéma pour le théâtre. Il n'aime rien tant que de lire les auteurs qu'il chérit et rester en famille. En 1999, avec sa fille Marie, et dans une mise en scène de son beau-fils Samuel Benchetrit, il monte "Poèmes à Lou" de Guillaume Apollinaire. Toujours avec Marie, il joue "Comédie sur un quai de gare" tandis que "Moins deux", de Samuel Benchetrit et mise en scène par l'auteur lui vaut une nomination aux Molière en 2006.

En juin 2018, il était toujours sur scène avec son spectacle musical et poétique "Trintignant/Mille/Piazzolla" et sa lecture de Prévert, Desnos et Vian.

Celui qui a incarné le mari aimant d'Emmanuelle Riva dans "Amour!" de Michael Haneke, palme d'or à Cannes, disait à Claire Chazal, à la fin d'une interview télévisée en juin 2018: "Je sens que je suis en bout de course, que je vais disparaître bientôt".

Le comédien qui a gardé presque intacte sa voix, le dit calmement, sans pathos, avec ce même détachement qui a fait son jeu si singulier dans le cinéma français.