Cravate terne, chemise blanche et veston gris, Frank est un cadre supérieur taiseux et passe-partout. Un vrai "workhoolic" qui donne tout à son employeur – une entreprise de fret –, quitte à faire passer le rendement avant l’humain. Après avoir commis une faute grave, Frank se voit jeté par le système auquel il a tout donné. Il doit se reconvertir vite, sans que sa famille nombreuse, établie dans un quartier chic de Genève, n’en ressente les effets.
J’ai été étonné par la violence du scénario.
De passage au Festival de Locarno, où le film concourait dans la section Cinéastes du présent, Olivier Gourmet, habitué du cinéma social, confiait: "J’ai été étonné par la violence du scénario. D’habitude, à l’écriture, on essaie de créer de l’empathie pour le personnage. Ici, aucune issue. Juste un constat implacable sur notre société."
La pression sur les épaules du réalisateur
Avant de rencontrer Olivier Gourmet, Antoine Russbach a eu "le malheur" d’ouvrir sa page Wikipédia et de découvrir avec quels cinéastes il avait tourné: les Dardenne, dont "Le Fils" lui apportera un Prix d’interprétation à Cannes en 2002, Abdellatif Kechiche ("Vénus noire") ou Pierre Schoeller ("L’Exercice de l’Etat").
J’ai vu tout de suite que cette violence, il était prêt à l’explorer et à la comprendre.
"Je lui suis très reconnaissant de sa posture face à mon film. Il avait un respect profond pour le contenu. Malgré la différence d’âge et d’expérience, il m’a toujours laissé ma place de réalisateur. Il a pris ce personnage de l’intérieur. Il est allé beaucoup plus loin que moi dans l’analyse, grâce à cette perspective. J’ai vu tout de suite que cette violence, il était prêt à l’explorer et à la comprendre", explique le cinéaste né à Genève et formé en Belgique.
Les modèles de l’acteur sont américains. "Gamin, j’ai été marqué par les westerns, par Steve McQueen, Marlon Brando ou le jeune Robert De Niro, celui de "Raging Bull". J’admirais sa manière de s’approprier un personnage à travers le corps, le langage et la gestuelle. Quand on essaie de raconter la réalité au quotidien, on essaie de ressentir ce qu’un personnage peut ressentir dans son corps. Sinon, on raconte une histoire, mais vide, vide de l’intérieur."
Olivier Gourmet ému par son personnage
Olivier Gourmet se dit ému par Frank, même s’il y a quelque chose de monstrueux en lui. "Je ne me suis pas particulièrement documenté sur le milieu des cargos, contrairement à Antoine, car le sujet dépasse de loin ce milieu-là. Mon frère est agriculteur et il est confronté tous les matins à cette violence. Il doit très souvent prendre des décisions à l’encontre de sa propre conscience. Parce que s’il sort du système, il ne survit pas."
Pour lui, se renseigner sur le monde fait partie du quotidien d’un acteur. "J’ai beaucoup plus de plaisir à travailler un personnage qui m’émeut parce que je comprends sa problématique sociale d’aujourd’hui. En tant que spectateur, je peux pleurer face à des choses légères, mais en tant qu’acteur, mon plaisir, c’est d’aller vers ce travail-là."
CEUX QUI TRAVAILLENT, un film d'Antoine Russbach from Outside the Box on Vimeo.
Raphaële Bouchet/hof