Il fut le premier Africain primé en compétition internationale à Cannes. C’était en 1987 avec "Yeelen", ce splendide conte épique et poétique. Souleymane Cissé, quarante ans de carrière et sept longs-métrages à son actif, préside, jusqu’au 10 novembre, le jury international du GIFF. Trois de ses films sont également projetés durant le festival: "Finyé", "Yeelen" et "Baara".
Prédisent du jury, un privilège ou une charge? "C’est un métier difficile, parce que c’est délicat de juger les autres. Comme vous le savez, chaque cinéaste donne tout ce qu’il a dans un film. Et nous sommes quatre ou cinq à le juger. Mais je suis un homme de surprises et j’espère beaucoup de découvertes."
Cinéphile grâce à un de ses frères aînés
Né en 1940 à Bamako dans une famille musulmane modeste, formé à la réalisation à Moscou, Souleymane Cissé est d’abord devenu cinéphile grâce à l’un de ses grands frères. Une chance, dans une famille stricte, où toute sortie après 19h était interdite. La découverte du cinéma, en plein air, a été un choc pour lui, dans les années 45-46.
J’ai vu des hommes crier et filer de tous côtés. C'était sans doute un western. Après cela, tous les soirs, je suppliais mon frère de m’emmener au cinéma. Je ressentais un plaisir immense, ça m’a beaucoup appris sur le monde.
Plusieurs fois censuré au Mali
Caméraman et reporter pour le Ministère malien de l'information, Souleymane Cissé signe un premier film de fiction, "Den Muso" ("La Fille"), en 1975. L’histoire d’une fille muette, violée, enceinte, qui se retrouve rejetée par sa famille. "J’ai vécu cette histoire dans ma propre famille. Mais quand on voit que ces problèmes reviennent aujourd’hui, on se dit qu’on avait raison d’en parler à l’époque."
Le film est censuré plusieurs années au Mali. Il s’en est fallu de peu pour que les négatifs soient détruits. C’est grâce à l’intervention du président de la République de l'époque, Moussa Traoré, qu’il sera finalement autorisé.
C’était une affaire de règlement de comptes. Des gens voulaient m’empêcher de faire du cinéma. Mais ce film m’a appris à être tenace, à me convaincre moi-même que ce que je fais, je dois le faire, c’est un devoir.
Souleymane Cissé a tourné des courts métrages, des documentaires, mais seulement sept longs-métrages de fiction ("Baara", "Finye", "Waati", "Yeelen", etc.). Pourquoi une si grande rareté? "Au Mali, les difficultés sont liées au financement, parce qu’on bricole, on engage un technicien à droite à gauche et on tourne. Après, ça devient plus sérieux. On se retrouve entre des gens qui ne pensent pas à l’avenir. Et les projets sont entravés."
L'enthousiasme du public occidental
Quelle est la situation des cinéastes en 2018? "Aujourd'hui, c’est pire. Mon dernier film, "Oka", a également été censuré au Mali. Il a fallu que des chaînes étrangères le programment, mais le public malien ne l’a pas vu. On peut se demander pourquoi le Mali, qui vit la démocratie, censure des films."
Le public occidental, lui, s’est enthousiasmé pour "Yeelen", Prix du jury à Cannes en 1987. Une terrible confrontation entre un père et un fils, qui détient le savoir divin.
J’ai voulu, à partir des traditions ancestrales, parler de notre avenir. Car il faut avoir peur et il faut protéger l’humanité. En tant que cinéaste, c’était mon destin de parler aux gens. Le cinéma est mon destin. Ce n’est pas grave si certains ne le comprennent pas.
En toute modestie, Souleymane Cissé reconnaît avoir apporté une autre vision du cinéma africain.
Raphaële Bouchet/mcm
GIFF, mercredi 7 novembre: 20:00 Projection de "Baara" / Salle Kramer (HEAD) - présentée par Bertrand Bacqué
GIFF, jeudi 8 novembre: 20:00 Projection de "Finye" / Salle Kramer (HEAD) - suivie d'une discusssion avec Souleymane Cissé (modérée par Olivier Zuchuat, cinéaste et Responsable Cinéma à la HEAD – Genève)