"Les aventures de Rabbi Jacob", une comédie culte qui flirte avec les codes
Grand Format Cinéma
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Introduction
Qu'on aime ou pas le cinéma comique des années 1970; qu'on apprécie ou pas Louis de Funès ou Gérard Oury, personne ne peut nier que "Les aventures de Rabbi Jacob", sorti en 1973, est devenu est un film culte.
Chapitre 1
Une comédie sur le vivre ensemble
AFP - Les films Pomereu
Plaidoyer contre le racisme et la haine ordinaire, "Rabbi Jacob" sort en pleine explosion du conflit israélo-palestinien, la guerre de Kippour, et peu après les attentats pendant les JO de Munich. Par ses dialogues, ses situations absurdes, ses multiples rebondissements, l'objectif du film est de délivrer un message envers toutes les communautés qui vivent à ce moment-là en France. C'était le but avoué de Gérard Oury.
La figure de Victor Pivert, industriel franchouillard bourgeois raciste et antisémite, mais pas mauvais bougre pour autant, va marquer durablement le cinéma français. Car face à lui, tous les autres protagonistes le renvoient à ses affirmations de rejet primaire de l'autre, le confrontant à ses propres limites. Le film emprunte au vaudeville les comiques de situation, et multiplie les aventures rocambolesques. Le scénario est écrit à deux mains par Gérard Oury et sa fille Danièle Thompson. Un rabbin, Josy Eisenberg, devient conseiller technique sur le film.
"Les aventures de Rabbi Jacob" devient un classique du cinéma français. Il sera même adapté bien des années plus tard en comédie musicale.
Chapitre 2
Mise en scène de la communauté juive de France
AFP - Les films Pomereu
Gérard Oury imagine un film sur l'amitié entre Juifs et Arabes pour sortir les spectateurs de leur confort, pour les confronter à la xénophobie ambiante et pour permettre à tous de vivre ensemble malgré les différences.
Au cœur du récit: un bourgeois catholique antisémite, anti-tout en fait, qui se retrouve embourbé dans une révolution arabe, alors qu'il est déguisé en rabbin.
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Les producteurs crient à l'hérésie. Vu la situation internationale, personne ne veut produire ce film au sujet sensible. Pourtant, Gérard Oury se sent légitime pour parler d'une communauté juive. Car Gérard Oury est juif.
"Mon père n'a pas été élevé religieusement. Sa mère, ma grand-mère, était juive. Il était très conscient de son identité puisque, durant la guerre, il avait été obligé de fuir Paris. Toute l'histoire de Rabbi Jacob est partie de cette idée simple de sortir un personnage de cette communauté, de raconter ces gens au mode de vie très ascétique qui font la fête, boivent et dansent le jour de shabbat", raconte la fille de Gérard Oury, Danièle Thompson.
Car oui, la communauté dont veut faire écho Gérard Oury aime faire la fête, rire, chanter et danser. Il mettra comme déclencheur des réjouissances une Bar-Mitsvah et ses rituels codifiés.
Personne ne devrait être vexé ou choqué. Dans mon film il n'y a pas d'Israéliens, pas de Palestiniens, pas de guerre. Simplement des hommes et des femmes de milieux ethniques différents qui se carambolent les uns les autres. J'ai utilisé comme base de mon scénario un grand thème moderne et j'en fais un film d’aventures.
Avec ces arguments, Gérard Oury finit par convaincre un producteur. Bertrand Javal et sa société Film Pomereu marcheront main dans la main avec Gérard Oury, permettant la naissance d'un personnage clé du cinéma français.
Chapitre 3
L'histoire de Victor Pivert
AFP - Les films Pomereu
Victor Pivert, un industriel français, râleur, raciste, antisémite et xénophobe, fonce vers Paris depuis la Normandie où il était en vacances. Il se rend au mariage de sa fille qui aura lieu le lendemain. Au volant de sa voiture, il y a son chauffeur, Salomon, dont l'oncle doit arriver prochainement pour une visite.
Au même moment, le rabbin Jacob, l'oncle de Salomon, quitte New York pour aller visiter sa famille parisienne, les Schmoll, et assister à la Bar-Mitsva de son petit neveu David.
Parallèlement, Mohamed Larbi Slimane, leader révolutionnaire d'un pays arabe, est enlevé à Saint-Germain-des-Prés par le colonel Farès et deux de ses barbouzes.
Accidenté après avoir vu une mariée noire épouser un blanc et appris que son chauffeur était juif, Victor Pivert se réfugie dans une usine de chewing-gum pour chercher du secours. Il surprend un tribunal révolutionnaire présidé par le colonel Farès en train de condamner à mort le leader d'un pays non-nommé, Mohamed Larbi Slimane.
Pour échapper aussi bien aux tueurs de Farès qu'à la police, Slimane et Pivert empruntent à Orly costumes, barbes et perruques à deux rabbins. La famille Schmoll croyant reconnaître Rabbi Jacob se précipite alors sur Pivert. Pivert et Slimane sont embarqués jusqu'à la rue des Rosiers en liesse pour assister à la Bar-Mitsva du petit David.
Pendant ce temps, la femme de Victor Pivert est enlevée par Farès, la noce trépigne devant l'église aux Invalides, et Pivert, déguisé en rabbin, pénètre pour la première fois de sa vie dans une synagogue pour y officier.
Les situations rocambolesques se succèdent, portées par la musique de Vladimir Cosma et le jeu de Louis de Funès.
L'écriture du film démarre en décembre 1971. Juste après "La Folie des Grandeurs". L'affaire Ben Barka inspire un point de départ au film. El Medhi Ben Barka, opposant socialiste au roi Hassan II, homme politique marocain, enlevé devant la brasserie Lipp à Paris en 1965 et dont le corps n'a jamais été retrouvé.
Gérard Oury prend comme point de départ cet événement dramatique et le transforme en enlèvement à Paris de Slimane, leader d'une révolution dans un pays arabe non-nommé. Il y ajoutera toutes les mésaventures d'un antisémite et d'une famille juive hassidique qui veut accueillir avec les honneurs un oncle rabbin qu'ils n'ont pas vu depuis de nombreuses années.
Afin de pouvoir travailler en toute quiétude et surtout ne pas raconter n'importe quoi sur les communautés juives, le réalisateur s'entoure de conseillers et engage notamment Josy Eisenberg, un rabbin juif hassidique, également auteur et réalisateur de télévision.
Le réalisateur va travailler sur ce scénario avec sa fille Danièle Thompson, comme il l'a déjà fait sur ses films précédents.
Chapitre 5
Le casting du film
AFP - Les films Pomereu
Evidemment, il y a Louis de Funès, spécialiste des rôles de râleurs compulsifs, d'une mauvaise foi crasse. Il fait partie des comédiens français les plus aimés du cinéma. Louis de Funès était un ami précieux de Gérard Oury. Les deux hommes s'entendent à merveille. Louis de Funès, grand angoissé, apporte au réalisateur son imagination comique créatrice.
En dehors de Louis de Funès, on trouve Henry Guybet qui campe le chauffeur Salomon, Claude Giraud pour jouer Mohamed Ali Slimane, un acteur italien Renzo Montagnani pour le colonel Farès, Gérard Darmon dans un de ses premiers rôles pour un des barbouzes, Claude Piéplu dans le rôle du commissaire. Il y a aussi Popeck, un humoriste qui promène son accent yiddish et son costume trois-pièces sur les scènes des cafés-théâtres.
Pour les femmes, le rôle de Madame Pivert est confié à Suzy Delair, comédienne et chanteuse, sa fille Antoinette est campée par Miou-Miou, un petit rôle avant sa révélation par Blier dans "Les Valseuses". Quant à Madame Schmoll, la petite dame yiddish qui attend Rabbi Jacob son beau-frère à l'aéroport, c'est une actrice new-yorkaise: Janet Brandt.
Chapitre 6
Le tournage entre Paris et New York
AFP - Les films Pomereu
Les tournages de Gérard Oury mobilisent des décorateurs patentés, efficaces et mobiles. Les tournages des comédies sont chers et Gérard Oury ne refuse jamais un gag sous prétexte qu'il pourrait coûter à être produit. "Les aventures de Rabbi Jacob" coûtera 18 millions de francs (anciens).
Le tournage commence en mars 1973. Il est sympathique, efficace et heureux, mais aussi onéreux puisqu'il se fait à travers la France, à Paris et New York où les heures techniques sont chères.
A New York, le tournage a lieu dans le Lower East Side où vit la communauté juive de New York. Comme il est impossible d'engager des figurants dans cette même communauté, Gérard Oury fait jouer des figurants grimés.
Barbus, la nuque rasée, avec de longues papillotes encadrant leur visage, les Juifs orthodoxes sont assez agressifs. Et comme si c'était une offense à dieu, ils ont horreur d'être photographiés. A peine avais-je mis les pieds avec mon équipe sur leur territoire que l'un d’eux m'interpella méchamment. On m'a traité de pornographe
Gérard Oury revient néanmoins satisfait des images de New York. Le tournage se termine le 13 août 1973.
Chapitre 7
Une sortie endeuillée
AFP - Les films Pomereu
La sortie du film de Gérard Oury est endeuillée par l'histoire. "Imprévue, parce qu'imprévisible, la guerre du Kippour éclate le samedi 6 octobre 1973. Profitant du Shabbat et du jour du grand Jeûne, 1'500 chars, 5 divisions égyptiennes franchissent le canal de Suez, appuyés par 222 bombardiers. Aussitôt, la Syrie prend Israël à revers. Le 16 octobre, les Israéliens contre-attaquent, passent le canal et entrent en Egypte. Dix pays arabes annoncent qu'ils cesseront leurs livraisons de pétrole aux amis d'Israël. Le monde occidental s'affole. C'est dans ce climat que Rabbi Jacob pointe le bout de sa barbe sur les murs de Paris. 18 mois auparavant, producteurs et distributeurs en accord avec moi, ont fixé la date de sortie du film au 13 octobre", voilà ce que Gérard Oury raconte dans ses mémoires, "Ma Grande Vadrouille".
Après discussion, décision est prise par Gérard Oury, le producteur Bertrand Javal et le distributeur Georges Cravenne en charge de la promotion du film, de maintenir la sortie du film à la date prévue.
Le 13 octobre 1973, la première projection publique a enfin lieu à Paris. Toute l'équipe a le trac. Et là, c'est l'explosion. Le délire. La salle hurle de rire. On n'entend plus les dialogues. Quand les lumières se rallument, le public ovationne l'équipe du film. Gérard Oury, Danièle Thompson et Louis de Funès sont au bord des larmes.
Très vite le film devient un succès populaire, alors que beaucoup avaient peur que le film ne rencontre des oppositions et ne fasse des mécontents.
Le film va aussi provoquer une réaction inattendue. Un drame, que l'histoire a oublié. Cinq jours après la première du film, le 18 octobre 1973, Gérard Oury raconte:
"Danielle Cravenne, l'épouse de Georges Cravenne, le célèbre publiciste en charge de la promotion de notre film, était propalestinienne. Elle s'imagina que j'avais réalisé un film politique aux orientations bien tranchées et naturellement pro sémites et anti arabes. Le jour de la sortie du film, quelle ne fut pas ma stupéfaction en apprenant qu'elle avait perpétré un détournement d'avion. Sous la menace d'un fusil à canon, scié, et son teckel dans un cabas, elle avait détourné un avion et mis comme condition à la libération des passagers et de l'équipage l'interdiction de diffusion du film "Rabbi Jacob". Faute de quoi, elle ferait sauter l'appareil. L'avion atterrit à Marignane, les passagers furent évacués. L'équipage était demeuré à bord. La police fit irruption dans l'appareil et sans autre forme de procès logea une balle en pleine tête de l'infortunée. Quelques minutes plus tard, une dépêche tomba sur les téléscripteurs annonçant le meurtre de Danielle comme un coup de publicité imaginé par Georges Cravenne: le meurtre de sa femme au profit du lancement d'un film. C'est dans ce climat que "Les aventures de Rabbi Jacob" sortirent sur les écrans."
Tout cela n'empêche pas le film de vivre sa vie. Il se classe en tête du box-office français en 1973. Il devient un classique du cinéma, grâce aux nombreuses diffusions télé.
J'ai l'intention de distraire, pas de donner des leçons de morale aux gens, mais derrière les rires, il y a toujours quelques thèses dans mes films. Ici on ridiculise le racisme sans grands mots, sans méchanceté. Et en fait, c'est un film sur l'aspect vain de certaines idées.