Son vrai nom est Laurent Küng. A son entrée sur la scène littéraire, il a adopté un nom de plume pensant que la démarche était courante chez les écrivains. Auguste Cheval en hommage au Facteur Cheval, ce préposé des PTT qui, trente ans durant, a amassé des cailloux pendant ses tournées pour construire son "palais idéal".
"J'ai été touché par l'opiniâtreté du Facteur Cheval. Sa persévérance. Et j'ai voulu que ma littérature devienne mon palais idéal" annonce d'emblée le jeune homme d'un ton décidé. Facteur, il l'est à sa manière puisqu'il travaille pour une société lausannoise de livraison à vélo.
C'est pour ça qu'il aimait Lausanne, qu'il aimait le vélo, pour cette part de danger qui le tenait en alerte, parce que les chiens redevenaient des animaux sauvages, les voitures se transformaient en prédateurs et que, liés aux vents et aux tempêtes, on se sentait à nouveau assujetti à la nature, non plus extérieur à elle.
Récit d'un voyage initiatique
Les protagonistes du roman "Les Corps glorieux" sont, comme l'auteur, trois coursiers lausannois. Ils se nomment Cervoisier, Edmond et Pierre. Au cours d'une soirée festive très arrosée, ils lancent l'idée de se rendre en train à Istanbul, d'y acheter sur le marché une trentaine de kilos de tabac à un prix imbattable, puis de faire le voyage inverse, à bicyclette, en traversant les petites routes des Balkans, la Bosnie, la Bulgarie, la Serbie et la Slovénie.
Ils sentaient que, depuis que cette idée avait été formulée, ils ne pourraient plus revenir en arrière, comme si ce voyage existait en eux depuis toujours et que leur ami l'avait révélé, semblable à un sculpteur qui dévoile les formes cachées d'une pierre.
Ce voyage initiatique, porté par une langue tonique, sera jalonné de rencontres et de moments de grâce pendant lesquels l'effort est capable de restituer aux corps leur majesté première. A chaque contour de phrase (parfois pris à la corde), le lecteur se sent emporté par un élan poétique d'une formidable vitalité. Une prose habitée par une foi indéfectible en la condition humaine, pour autant que les corps et les cœurs demeurent en mouvement.
Eloge de l'effort physique
"Je prends l'exemple du vélo pour l'étendre à une dimension métaphysique", précise l'auteur, "en mettant en évidence la relation de l'homme à la nature et à l'effort. C'est ça le sujet qui traverse tout le roman". Un sujet très inspiré par la pensée vitaliste de Nietzsche qu'Auguste Cheval connaît bien pour avoir étudié la philosophie à l'Université de Lausanne. C'est sans doute pour cela qu'il a placé en exergue à chaque chapitre de son livre une citation de philosophe. Celle de Nietzsche ne souffre pas la contradiction: "Comment escaladerais-je le mieux? Continue de monter et n'y pense pas". Autrement dit, ramené à la situation de nos trois coursiers cyclistes, "Pédale et tais-toi!".
"Nietzsche marchait, Auguste Cheval fait du vélo…", conclut avec bonhommie le jeune homme. Sa conviction: c'est par la répétition du mouvement que s'instaure un état méditatif favorable à l'émergence des idées, voire de l'inspiration.
Un roman qui fait son chemin
Ce roman, publié par une toute petite maison d'édition de la place, fait son chemin depuis sa parution au printemps dernier. Il figure sur la sélection du Prix des lecteurs de la Ville de Lausanne 2019.
Auguste Cheval pourra rencontrer ses lecteurs samedi 1er décembre au Lausanne Palace où un brunch est proposé autour de son roman "Les Corps glorieux". Cette rencontre conviviale satisfera autant les âmes exigeantes que les palais délicats. Un principe essentiel du vitalisme…
Jean-Marie Félix/ld