Avec "Une autre fin du monde est possible", les auteurs Pablo Servigne (ingénieur agronome) et Raphaël Stevens (écoconseiller), accompagnés de Gauthier Chapelle (ingénieur agronome), livrent le troisième opus d'une vaste réflexion entamée dans le très explicite "Comment tout peut s'effondrer. Petit manuel de collapsologie à l'usage des générations présentes" (Seuil, 2015), et poursuivie dans "L'entraide, l'autre loi de la jungle" (éditions Les Liens qui Libèrent, 2017).
Après les prises de conscience et les constats - souvent accablants - se pose la question de savoir comment faire face. Les auteurs proposent de commencer par changer notre moi intérieur. Une piste saluée par Dominique Bourg, philosophe de l'environnement, auteur de "Une nouvelle Terre" (Desclée de Brouwer), au micro de la RTS.
Un processus de deuil
Et s'il s'agissait d'aborder l'effondrement des sociétés thermo-industrielles et capitalistes sous l'angle du deuil? Travailler à se préparer à une sortie brutale hors de la civilisation du pétrole ne se fait pas que de façon volontariste, bien au contraire. Quitter un monde connu pour l'inconnu, suscite les émotions dites lourdes comme colère, peur, impuissance.
Commencer par les accueillir, par écouter ce que cela nous fait à l'intérieur, nous incite à nous ouvrir à d'autres façons de penser. Les auteurs insistent sur cette étape, indispensable pour appréhender cette fin de civilisation de façon moins dramatique que ce que l'on peut projeter si l'on y plonge de façon rapide. Surtout, cela évite de tomber tout de suite dans la recherche effrénée de solutions, cette pulsion de déni et d'évitement de ce qui nous arrive. Au niveau personnel un deuil est à la fois une tristesse, mais aussi une opportunité de retrouver l'amour de ses proches, à l'échelle collective, c'est l'occasion de se reconnecter aux autres, à l'ensemble du vivant.
L'importance de l'intelligence émotionnelle
A l'heure où on ne cesse de parler de l'intelligence artificielle, il est nécessaire de rappeler que ce qui fonde l'intelligence humaine et animale est pour une grande part de nature émotionnelle et relationnelle. Cette intelligence s'exprime dans l'interaction solidaire entre nous, mais aussi avec tout le reste du vivant. Car ce que nous devons affronter aujourd'hui n'est pas uniquement l'effondrement d'une civilisation, mais du vivant tout entier.
En effet comme le précise Dominique Bourg, nous entrons dans une espèce de transition par rapport au système terre lui-même. Ce sont les conditions même d'habitabtibilité de la terre qui sont en train de changer. Et cela va porter à conséquences sur des millions d'années. Il serait donc sage d'arrêter de penser que la technologie va sauver le monde (le fameux solutionnisme).
Commencer par soi
Alors, comment agir? Car force est de constater que même si les discours évoquent une possibilité d'effondrement, les actes ne suivent pas. Après avoir longtemps minimisé l'ampleur de ce qui nous attend, le risque est maintenant de s'accommoder de la gravité. Attendre des mesures contraignantes est vain. L'écologie est une affaire intime, qui commence par changer ses propres comportements. Or, on voit que c'est encore assez utopique. Le lendemain des manifestations pour le climat, on reprend sa voiture. Une mobilisation puissante d'abord en soi, puis à l'extérieur de soi est nécessaire.
On n'est pas encore dans l'attitude de mobilisation générale, alors que tous les matins on ne devrait être soucieux que de ça.
Gauthier Chapelle le rappelle, les inégalités contribuent largement à la catastrophe. Toutes les études historiques s'entendent pour dire que les écroulements de civilisations ont en commun le problème de la surexploitation des ressources croisé avec celui de la hauteur de la pyramide sociale. Plus elle est élevée, plus le haut (les élites) fait peser le problème de la surexploitation sur le bas (le peuple).
Davantage d'écologie passe par moins d'inégalités
On voit actuellement apparaître deux profils de société: les modèles populistes façon Trump (ou carrément d'extrême droite comme récemment au Brésil) dans lesquels on va dénier les problèmes d'environnement et orienter l'attention sur des questions migratoires, et en fait pousser la société vers des inégalités de plus en plus fortes. Et puis les modèles qui visent à l'écologisation de la société. Plus difficiles à mettre en place, ils passent par un resserrement très fort des inégalités.
L'entraide, moteur du futur
Un avenir vivable se doit donc d'être solidaire. Et c'est là où le postulat des auteurs ouvre les plus belles perspectives. En effet, contrairement à ce qu'on laisse entendre, historiquement on sait que l'humain est doué pour gérer la pénurie. Cela parce qu'il y développe cette compétence partagée par l'ensemble du vivant: l'entraide. Ce phénomène, collaboratif et empathique, qui se révèle dans les crises graves pourrait bien être la ressource-clé pour l'avenir.
Propos recueillis par Sarah Dirren
Réalisation web: Manon Pulver
"Une autre fin du monde est possible", Pablo Servigne, Raphael Stevens, et Gauthier Chapelle, Seuil, 2018.