Paris, quartier populaire et bigarré de Belleville, dans les années 70. Le protagoniste de cette histoire, c’est Mohamed, dit Momo. C’est sa voix que l'on va entendre tout au long des pages nous raconter sa vie, du haut de ses 14 ans – plus ou moins.
"La première chose que je peux vous dire c’est qu’on habitait au sixième à pied et que pour Madame Rosa, avec tous ses kilos qu’elle portait sur elle et seulement deux jambes, c’était une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines.
Elle nous le rappelait chaque fois qu’elle ne se plaignait pas d’autre part, car elle était également juive. Sa santé n’était pas bonne non plus et je peux vous dire aussi dès le début que c’était une femme qui aurait mérité un ascenseur."
Rien n’est vraiment sûr dans sa vie, à Momo. Qui est sa mère, qui est son père, quel âge a-t-il au juste, et pourquoi vit-il, lui, le petit Arabe, chez cette vieille Juive trop grosse qui peine tellement à monter ses escaliers?
"Au début je ne savais pas que Madame Rosa s’occupait de moi seulement pour toucher un mandat à la fin du mois. Quand je l’ai appris, j’avais déjà six ou sept ans et ça m’a fait un coup de savoir que j’étais payé. Je croyais que Madame Rosa m’aimait pour rien et qu’on était quelqu’un l’un pour l’autre. J’en ai pleuré toute une nuit et c’était mon premier grand chagrin".
Momo est donc "payé" et habite chez Madame Rosa, au 6e étage d’un minuscule appartement de Belleville avec une demi-douzaine d’autres enfants "payés" comme lui, des Noirs, des Juifs, des Arabes. Comme il le résume un brin brutalement:
"Tout ça, c’est des histoires de mômes qui n’avaient pas pu se faire avorter à temps, et qui n’étaient pas nécessaires".
Momo va nous faire découvrir son quartier, ses habitants, ses amis: le vieux marchand de tapis, Hamil ("il était déjà très vieux quand je l’ai connu, et depuis, il n’a fait que vieillir" note Momo), Madame Lola ( "une travestie du 4e étage qui travaillait au bois de Boulogne et qui avait été champion de boxe au Sénégal avant de traverser"), ou encore le Mahoute.
Mais la santé de Madame Rosa se dégrade et le petit garçon l'aidera à se cacher dans son "trou juif", elle n'ira pas mourir à l'hôpital et pourra ainsi bénéficier du droit sacré "des peuples à disposer d'eux-mêmes" qui n'est pas respecté par l'Ordre des médecins. Il lui tiendra compagnie jusqu'à ce qu'elle meure et même au-delà.
Dans "La vie devant soi", on rit et on pleure sans arrêt - si on ne riait pas, le récit serait trop dur. Il y a le grotesque (le corps de madame Rosa, celui de Madame Lola la travestie), la mélancolie profonde des enfants abandonnés, en quête de miettes d’amour, l’angoisse qui remonte sans cesse d’un passé terrible pour Madame Rosa, celle d’un présent marqué par le manque et la peur... et la vieillesse, la décrépitude, la mort en toile de fond.