Pendant une semaine, "Versus-Lire" s'intéresse à l'anatomie du paysage littéraire français. Qui mieux que Pierre Assouline pour ouvrir le bal et défendre la littérature de langue française (et non pas la littérature française)? L'homme est à la fois biographe, écrivain, critique littéraire, membre du jury du Prix Goncourt et son blog, "La République des livres", est une référence bien au-delà des frontières hexagonales.
Pour l’ancien directeur du "Magazine littéraire", l'évolution majeure de ce début de siècle en littérature est sans aucun doute le glissement d’un support papier au support numérique.
Les gens lisent déjà les journaux sur leurs portables, bientôt ils liront ainsi des livres. C’est pour moi une révolution plus importante que Gutenberg.
Lui-même avoue avoir été le premier, parmi les jurés du Prix Goncourt, à demander aux éditeurs de lui envoyer des fichiers numériques plutôt que des exemplaires physiques. Ce qui lui évite de se trimballer des valises de livres durant ses vacances. "Les avoir sur mon ordinateur me permet de prendre des notes, écrire en même temps que je lis".
L'exception parisienne
Ce qui n’a pas beaucoup changé, par contre, c’est la prédominance de l’édition parisienne, même s’il existe en province de petits éditeurs qui peuvent, sur un titre, acquérir une visibilité. Si Actes sud à Arles est devenu un empire, la maison n'est qu'une exception qui confirme la règle.
Cette concentration sur une capitale n’existe pas en Espagne ou en Italie, où Barcelone et Milan sont des villes d’édition au même titre que Rome ou Madrid. Pour un critique comme Pierre Assouline, c’est un problème, aussi tient-il à parler de littérature de langue française, pour n’exclure personne, plutôt que de littérature française.
La vraie patrie d’un écrivain est sa langue. Je me fiche de savoir si un écrivain vit à Lausanne ou Charleroi. Pour moi, il est autant un écrivain de langue française que quelqu’un qui vit à Paris. Les Anglais ont parfaitement intégré ça. Pour eux, Salman Rushdie n’est pas un écrivain d’origine indienne, c’est un écrivain de langue anglaise. Ils font partie d’un même ensemble
Ce souci de créer une circulation des livres et de sortir du microcosme a conduit Pierre Assouline à beaucoup œuvrer pour la création et le développement des Prix Goncourt étrangers. Parrainés par les Instituts français, ces prix sont décernés par des étudiants. Cette année l’académie suisse a voté pour Pauline Delabroy-Allard, l’auteure de "Ça raconte Sarah", chez Minuit.
Bernard Pivot, modèle d'indépendance
Reste à savoir pourquoi, avec déjà tant de casquettes, Pierre Assouline a accepté de faire partie de l’Académie Goncourt. «Parce que ça correspond à ce que je fais en permanence depuis quarante ans. Je lis des livres, j’en parle, j’essaie de faire passer mes enthousiasmes auprès du public».
L’auteur de "Sigmaringen" rappelle aussi la responsabilité que cela suppose quand on sait, notamment, que l'ouvrage primé sera acheté par plusieurs milliers de gens qui, parfois, ne lisent qu'un seul livre dans l'année:
Nous distinguons en général un jeune auteur, comme cette année Nicolas Mathieu, et surtout nous récompensons un texte, pas l’ensemble d’une œuvre ni un écrivain. Nous faisons un pari sur l’avenir. Il est évident que Leila Slimani, qui a eu le Goncourt pour "Chanson douce", a encore beaucoup de livres à écrire.
La question de l’indépendance du jury a été longtemps au centre de polémiques, et Pierre Assouline a toujours été considéré comme une personnalité indépendante. Comment le rester? Il répond que c'est une question de tempérament et de caractère.
Il ajoute que le fait d'avoir travaillé avec Bernard Pivot à "Lire" pendant dix ans, lui a servi d'exemple. "Bernard Pivot est pour moi un modèle d'indépendance à tous points de vue. Depuis qu'il est président du Jury, il a fait réformer le règlement intérieur. Il est désormais interdit aux membres de travailler pour une maison d'édition. Pendant longtemps, Gallimard puis Grasset ont eu la main sur le Goncourt, mais c'est du passé."
Sylvie Tanette/mcm