Un jeune Helvète fuit son pays pour échapper aux tracasseries administratives. Sur la route, il sympathise avec un cadre financier se rendant à un congrès professionnel dans la petite ville de Vesoul, en Franche-Comté. Après une immersion musclée dans la réalité provinciale, nos deux compères (le maître et le disciple) ne participeront pas au congrès. Celui-ci est annulé car nous sommes le 7 janvier 2015, jour où la rédaction de Charlie-Hebdo est décimée.
Pourquoi Vesoul, ce coin tranquille qui ne doit sa notoriété qu’à la célèbre chanson de Brel?
Vesoul est un prétexte, un lieu dont tout le monde connaît l’existence sans y avoir mis les pieds. En résumé: le monde entier est à Vesoul et Vesoul est le monde entier.
La tuerie de Charlie-Hebdo figure en point de fuite à ce récit mené sur le ton de la farce et de l’outrance. L’évoquer loin de la scène parisienne permet à Quentin Mouron de relativiser la belle unanimité condamnatoire qui a suivi le drame. "Nous ne doutions pas que, pour la plus grande partie des Européens, rien n’était odieux comme ce journal, rien n’était doux comme sa disparition. Nous honorâmes la fraternité sur le lit de la haine. Qu’importe ! Rien n’entama notre conviction de former une façon de majorité morale, unie, réconciliée."
Retour au roman picaresque
Pourtant, l’attentat contre Charlie-Hebdo s’est imposé par sa brutalité dans un récit commencé avant le drame. Car initialement, le projet littéraire de Quentin Mouron était autre: trouver un ton nouveau, en rupture avec le climat tragique des premiers romans, quitte à verser dans la farce.
Pour se faire, l’auteur a souhaité remettre au goût du jour l’ancienne tradition du roman picaresque. Né au 16e siècle, le héros picaresque est un déclassé, miséreux et futé, contraint à l’errance. Sous la plume du jeune auteur, celui-ci conserve la mobilité et la roublardise traditionnelles, mais il n’est plus un être en rupture. Au contraire, son aisance lui permet de glisser sur la surface du monde. "Le picaro est cadre, homme d’affaires, plasticien, écrivain. Il n’a ni attache ni patrie ; il ne reconnaît aucune frontière, aucune religion. Il est planétaire. Il saute les méridiens. Il glisse autour du globe".
Référence aux gilets jaunes
Cinq siècles plus tard, le picaro des temps modernes, selon Quentin Mouron, fait donc partie de l’élite internationale et des gagnants de la mondialisation. Quant aux déclassés, ils se trouvent essentiellement dans les zones périphériques (Vesoul, par exemple…) formant la grande communauté des "sédentaires". Cette opposition tournant parfois à la confrontation est précisément au cœur du mouvement des gilets jaunes qui s’exprime depuis des semaines avec insistance et parfois violence.
C’est dire que le jeune écrivain, lorsqu’il a commencé son récit il y a quatre ans, a perçu une réalité sociale dont on mesure l’ampleur aujourd’hui. Et celui-ci de tenter une hypothèse audacieuse:
Pour Emmanuel Macron, les choses ont dégénéré non pas parce qu’il fait partie de cette élite, mais parce qu’il ne s’est pas montré assez picaresque. Il a abusé des accents de l’ancien monde et a fait l’erreur de se raidir sur des positions d’ancien régime qui ne collent plus à l’idéal picaresque
Des similitudes avec Michel Houellebecq
Il y a donc dans ce roman du drame et de l’outrance, des références lointaines et de l’actualité brûlante. Olivier Morattel, l’éditeur qui a découvert le talent de Quentin Mouron il y a une dizaine d’années se réjouit que certains observateurs comparent l’univers de Mouron à celui de Michel Houellebecq. Laissons-lui le mot de la fin: "Quentin est moins noir que Houellebecq, il n’écrit pas des romans à thèse. On sort ébranlé de son dernier livre mais il ne faut pas oublier que c’est une farce. Il se moque de lui-même et des autres pour moins se voir mourir".
Pour mémoire, "Soumission" de Houellebecq est sorti le 7 janvier 2015. Aussi dans les librairies de Vesoul…
Jean-Marie Félix /mcm
Quentin Mouron, Vesoul, 7 janvier 2015, Olivier Morattel Editeur