Isabelle Eberhardt née en 1877 dans le quartier des Grottes à Genève, a vécu une vie de poétesse rebelle, de reporter et d'écrivaine voyageuse à une époque où les femmes pouvaient à peine arpenter l'espace public. Or, en Suisse romande, on ne sait quasiment rien d'elle alors que tout le monde ou presque a entendu parler des écrivains voyageurs comme Ella Maillart (1903-1997) ou Nicolas Bouvier (1929-1998) dont elle fut une précurseure.
Une figure importante et méconnue
Karelle Ménine, commissaire de l'exposition qui se tient actuellement à la Maison Tavel à Genève (dans le cadre de la saison nomade de la Maison de Rousseau et de la littérature) a bataillé ferme pour ramener ces documents dans la ville natale d'Isabelle Eberhardt. Elle précise au micro de la RTS que "montrer les documents, c'est réparer un oubli, celui d'une figure extrêmement importante de l'histoire de la littérature féminine, qui est véritablement tombée dans un puits de méconnaissance. Cela permet aussi de rencontrer cette oeuvre et cette écrivaine, directement par le biais des manuscrits."
L'écriture est mon seul véritable réconfort. La littérature me permet de donner libre cours à ma volonté.
L'exposition, intitulée "Isabelle Eberhardt, de l'une à l'autre" présente une série de documents jamais encore montrés. Manuscrits, extraits de carnets intimes, mais aussi photographies et dessins composent une traversée intime et sensible de l'oeuvre et de la personnalité brillante (elle parle couramment plusieurs langues, dont l'arabe) de cette rebelle éprise d'absolu. "Sa soif de liberté va être son moteur et son problème, car une femme de cette époque s'expose à de nombreuses difficultés, à commencer par celle de circuler", précise Karelle Ménine.
Changement d'identité
Mais rien n'arrête la détermination de la jeune femme à rejoindre le désert dont elle rêve. Elle va utiliser les moyens les plus audacieux pour aller dans cet Orient alors très en vogue, mais qu'elle rencontrera de manière bien plus profonde que la plupart des artistes de son époque.
Je voudrais fuir la vulgarité dans la précieuse retraite des grandes pistes du désert. Afrique, ma chère patrie, je ne voudrais plus jamais te quitter.
Avec une audace incroyable, Isabelle Eberhardt prendra tous les risques, y compris celui de changer d'identité (cf. encadré). Durant les sept années qui s'écoulent entre son départ pour le désert et le moment où elle y meurt, elle écrira des romans et une vaste correspondance qu'elle utilise à la manière d'un journal intime.
Par ailleurs, elle est aussi l'auteure d'écrits très politiques et engagés. Dans le contexte sensible de la colonisation, elle n'hésite pas à dénoncer l'usage de la torture par l'armée française, ou à soutenir Zola lorsqu'il est attaqué au moment de l'affaire Dreyfus.
Des documents retrouvés dans la boue
Les documents présentés à la Maison Tavel ont tous partagé les voyages de la jeune écrivaine. Certains ont été récupérés dans la boue de l'inondation d'Aïn Safra (où Isabelle Eberhard a péri). Ces témoins tangibles et fragiles qui ont traversé le temps ouvrent une porte d'accès inédite et émouvante sur l'oeuvre et la vie de cette pionnière remarquable.
Sujet: Linn Lévy
Adaptation web: Manon Pulver
L'exposition "Isabelle Eberhardt, de lʹune à lʹautre" est à voir à la Maison Tavel jusquʹau 7 avril 2019.
Isabelle Eberhardt en quelques dates
Le 17 février 1877, Isabelle Eberhardt voit le jour à Genève. Elle est la fille illégitime de réfugiés russes Natalia de Moerder (née Eberhardt) et d'Alexandre Trofimovsky, dit Vava. La famille s'installe par la suite à Meyrin, avec les quatre autres enfants de Natalia.
En 1897, elle fait un premier voyage en Algérie avec sa mère. Les deux femmes s'y convertissent à l'Islam. C'est là qu'Isabelle adopte pour la première fois le pseudonyme masculin de Mahmoud Saadi. Elle publie ses premières nouvelles et débute un premier roman.
En 1899, elle voyage en Algérie déguisée en homme. La confusion entre son identité masculine et son passeport russe au nom d'Isabelle de Moerder sème le trouble, mais elle réussit néanmoins à poursuivre son périple. Au cours de ce voyage elle rencontre l'amour de sa vie, Slimène Ehni, un jeune soldat des corps de cavalerie indigène de l'armée française en Afrique du Nord.
En 1901, elle est victime d'une tentative d'assassinat à Béhina. Elle doit rentrer à Marseille. En 1902, après avoir épousé Slimène à Marseille, elle peut retourner en Algérie qui l'avait bannie en raison de son mode de vie.
En 1903, comme reporter de guerre, elle se rend à Aïn Sefra, à la frontière entre le Maroc et l'Algérie. Elle s'y lie d'amitié avec le général Lyautey. C'est là qu'en 1904, une crue d'une rare violence emporte Isabelle Eberhardt. Son corps ne sera retrouvé que deux jours plus tard. Elle repose à Aïn Sefra sous sa double identité : Isabelle Eberhard et Si Mahmoud Saadi.