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Avraham Yehoshua, le romancier israélien qui croit à la paix

Avraham B. Yehoshua [grasset.fr - Yannick Coupannec-Leemage]
Avraham B. Yehoshua: "Le Tunnel", / Caractères / 60 min. / le 17 février 2019
Parce qu’il faut se débarrasser de la mémoire qui enferme. Dans "Le Tunnel", Avraham Yehoshua invente un personnage qui souffre d’une maladie qui le met en mouvement et lui permet de poser un autre regard sur Israël.

Nous voilà propulsés dans la vie de Zvi Louria, ingénieur des ponts et chaussées à la retraite après une carrière dans l’entreprise "Les Voies d’Israël". Une épouse pédiatre et tendrement aimée, des enfants et des petits-enfants, un appartement à Tel-Aviv, tout pourrait aller plutôt bien dans le meilleurs des mondes possibles. Mais la maladie s’en mêle, Louria perd peu à peu la mémoire.

Un obstacle qui en cache un autre

Poussé à réagir par son neurologue et son épouse, le retraité reprend une activité et s’embarque aux côtés d’un jeune ingénieur qui a pour mission de construire une route militaire secrète dans le désert du Néguev. L’obstacle au projet prend la forme d’une colline qu’il faudrait raser pour laisser passer la route. Problème: la colline est habitée par une famille palestinienne et pour ne pas avoir à déloger ces RSI (résidents sans identité), les deux hommes imaginent alors de creuser un tunnel.

"- Pardonnez-moi, qui êtes-vous? Juifs ou non?

- Des Juifs? s’étonne la jeune fille. Pour quoi faire?

- Dans ce cas, vous êtes Palestiniens? Décrète Louria, faute de mieux.

- Nous l’étions, répond-elle tristement. Dans le passé, nous l’étions, mais nous ne le sommes plus.

- Alors maintenant, qui êtes-vous? Juste Israéliens?

- Pas encore, mais peut-être nous le serons un jour, peut-être..."

Extrait de "Le Tunnel", Avraham Yehoshua, Grasset, 2019

Engagé par l'écriture

Issu d’une famille installée dans la région depuis cinq générations, Avraham Yehoshua milite pour la paix depuis toujours, à travers l’écriture et un engagement citoyen. La voix porte et l’auteur, Prix de littérature d’Israël pour l’ensemble de son œuvre et Prix Médicis étranger en 2012 pour "Rétrospective", n’hésite pas à prendre part aux débats qui déchirent Israël.

Et lorsqu’il abandonne, c’était il y a quelques mois, la solution à deux États entre Israël et la Palestine en faveur d’un État binational, une onde de choc parcourt le pays et les colonnes des journaux internationaux. À l’un des protagonistes du roman qui lui demande s’il est juif, Louria répond machinalement: "Pas Juif, Israélien". À quelques semaines des législatives israéliennes, la réplique résonne avec vigueur.

Perdre la mémoire

Avraham Yehoshuva est un raconteur d’histoires. "Le Tunnel" parle d’amour conjugal, de vieillissement et de maladie. Impossible cependant de ne pas faire une lecture politique du récit. L’auteur le concède volontiers qui précise dans un français parfait, au micro de la RTS,  que le tunnel est à ses yeux une métaphore qui parle de communication entre des identités de plus en plus fermées.

Son héros, Zvi Louria, a le même âge qu’Israël. Faut-il faire le rapprochement? "Certainement, car je pense que nous sommes trop plongés dans la mémoire. S’il y a un message dans mon roman c’est qu’il faut réduire l’intensité de la mémoire, la nôtre et celle des Palestiniens. Il faut regarder non pas le passé mais la réalité et l’avenir". La démence libère Louria. Elle lui permet d’autres questions et d’autres horizons. Ce léger décalage, qui accompagne le lecteur au fil des pages donne une saveur particulière à ce roman très réussi, entre larmes et rires.

Anik Schuin/la

"Le Tunnel", Avraham Yehoshua, ed. Grasset

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