On la connaissait comme journaliste littéraire à la RTS et aux "Inrockuptibles", on savait moins que Sylvie Tanette s’adonne elle-même à l’écriture de fictions. Avec la discrétion qui lui appartient, la journaliste a publié en 2011 un premier roman au Mercure de France intitulé "Amalia Albanesi". Quand on lui demande pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour proposer le deuxième, elle répond avec humilité: "Je ne suis pas rapide, j'ai besoin de temps pour qu'un texte soit abouti. La mémoire de mon ordinateur regorge de livres en chantier, dont un roman sur lequel je travaille depuis quinze ans, sans succès."
Deux voix en alternance
"Un jardin en Australie" est donc l’un des multiples textes gardés en mémoire qui, lui, a trouvé une conclusion heureuse. Deux voix de femmes s’y font entendre en alternance.
On avait décidé de vivre le plus loin possible de notre pays natal. Alors s’exiler à Salinasburg c’était trop tentant.
La première voix appartient à une jeune femme prénommée Valérie. Après avoir grandi dans les quartiers nord de Marseille, Valérie a fui sa famille encombrante pour s'installer avec son compagnon dans le Territoire du Nord australien, plus précisément à Salinasburg, petite bourgade à la lisière du désert. C’est dans cette contrée aride que la jeune femme, vive et entreprenante, s’est mis en tête de créer un festival d’art contemporain tout en réservant du temps à sa petite fille de trois ans.
Sans me retourner j’avais marché dans le petit matin en traînant ma valise jusqu’à la gare, pressée de rentrer à Salinasburg. Chez moi. Et jamais je n’ai revu Sydney et mes parents.
Rompre avec ses origines
L
a seconde voix est celle d’une femme décédée qui, des décennies plus tôt, a habité dans la ferme qu’occupe Valérie. Issue d’une bonne famille de Sydney, Ann a elle aussi rompu avec sa famille pour épouser le bel Irlandais Justin avec lequel elle s’est installée au cours des années 1930. Dans le grand jardin attenant à la ferme, Ann s’est passionnée pour l’arboriculture et est parvenue à faire pousser des arbres fruitiers à l’orée du désert. Réduite à l’état de fantôme, la vieille dame observe avec bienveillance celle qui a pris possession de son jardin autrefois luxuriant, aujourd'hui encombré par les ronces.
Valérie et Ann, deux femmes de caractère qui se sont émancipées de leurs origines sociales et familiales afin de mener leur vie comme elles l’entendaient, loin de leur lieu d’enfance. A Salinasburg.
Créer un non-lieu
Inutile de chercher où se trouve exactement Salinasburg. Cette ville, que l’auteure a située sur le Territoire du Nord australien, n’existe pas. "Dans mon premier roman, j’avais déjà inventé un village dans les Pouilles, rappelle Sylvie Tanette. Cette manière de créer des non-lieux est sans doute liée à la littérature d’immigration. Quand on naît dans une famille comme la mienne issue de l’immigration italienne, quand on ne sait pas vraiment d’où on vient, on a tendance à créer des lieux fictifs."
Mes origines un peu italiennes un peu on ne savait pas trop et ma vie à Marseille. Mes yeux noirs et mes manières de camionneur.
L’auteure le reconnaît volontiers, en évoquant cette région désertique du Nord australien où se sont installés des émigrés en quête de nouveaux territoires, elle parle en sous-texte des quartiers nord de Marseille où elle a passé les vingt-quatre premières années des sa vie. C’est dans ces quartiers que, dès la fin du 19e siècle, se sont réunies des populations très diverses venues chercher du travail dans les carrières et les usines ouvertes en front de mer.
"Je n’arrive pas à raconter ce paysage et cette ambiance particulière où j’ai grandi, confie-t-elle. J’ai donc écrit un roman complètement farfelu situé en Australie avec des Irlandais qui s’installent là, pour finalement toujours retourner à ce lieu qui a été celui de mon enfance."
Un passé "de dingue"
A propos d’enfance. La petite Elena, la fille de Valérie, n’a jamais prononcé un seul mot alors qu’elle a déjà trois ans. Impuissante, sa mère se résout à aller voir un psychologue. Avec lui, elle tentera de trouver une raison à ce mutisme en brassant ses origines familiales et "le passé de dingue" dont elle est héritière.
Deux romans publiés et une demi-douzaine d’autres en chantier. Sylvie Tanette en est consciente, elle écrit toujours le même roman, avec ce qu’elle-même a reçu de ceux qui l’ont précédée.
Jean-Marie Félix/mh
Sylvie Tanette, "Un jardin en Australie", Grasset, 2019