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Dans "Neptune Avenue", Bernard Comment remet les compteurs à zéro

Bernard Comment [DR - Léo Aupetit]
Bernard Comment: "Neptune Avenue" / Caractères / 60 min. / le 24 mars 2019
Coincé par une panne d'électricité au 21e étage d'un immeuble de Brooklyn, un homme médite sur son passé et regarde le monde s'effondrer autour de lui. Un livre sombre mais qui fait surgir du chaos une figure lumineuse.

Face à l'Océan, Little Odessa, à la pointe de Brooklyn. Les activités humaines sont paralysées et la crise fait écho, hasard de l'actualité, à la panique qui s'est emparée du Venezuela récemment. Bien loin de la science-fiction, citoyens et lecteurs découvrent un univers sans lumière.

Temps d'arrêt, ambiance étrange et anxiogène. C'est l'occasion pour le narrateur, un homme de 60 ans victime d'une maladie dégénérative, de laisser remonter les souvenirs. Il pense à sa ville d'origine, Genève, qu'il a quittée pour une quête très personnelle, à un amour impossible jamais oublié et à des temps où le lait avait le goût des pâturages.

Ce que le narrateur est venu chercher aux Etats-Unis? Fortune faite, en Suisse et dans la finance, sans doute un sens à sa vie. Il le trouvera à travers Bijou, jeune et belle métisse pleine de vie qui refuse que l'argent et la consommation dictent sa vie.

Roman de la filiation

La famille, c'est bien connu, n'est pas forcément celle que la généalogie nous dessine. Le narrateur verra en Bijou un prolongement et la possibilité d'un avenir. Mais si la jeune femme accepte l'affection et la nature un peu ambiguë de leur relation, elle refusera l'héritage, une fortune considérable qu'elle enverra joyeusement balader.

"C'est un roman d'apprentissage à l'envers", explique l'auteur à la RTS. "Cette jeune femme, petit à petit, sans qu'il s'en rende bien compte, l'éveille à une autre forme de vie et lui permet de dialectiser l'hypothèse et l'horizon de sa propre mort".

Quand j'ai vu ma mère pour la dernière fois, il y a bientôt un an de cela, j'ai lu dans son regard le regret de n'avoir pas eu de petits-enfants, et sa peur de me voir ainsi, sans progéniture, en fin de ligne. [...] Et c'est pour ce regret de l'absence de petits-enfants, pour souligner mon statut d'impasse, ou d'improductif, qu'elle avait préparé une enveloppe avec les documents qui me relieraient à la dernière ramification possible à ses yeux, celle d'une famille aussi éloignée qu'une rivière ayant perdu sa source d'origine pour en trouver une nouvelle, "Là-bas, en Amérique".

Extrait de "Neptune Avenue", Bernard Comment, Grasset, 2019

Bernard Comment le souligne, le roman fait écho à ses inquiétudes face à une société occidentale qui repose sur des valeurs matérielles, face aussi à la montée des populismes en Europe et au règne du "président bouffon" américain.

Mais il fait aussi le lien avec sa propre histoire familiale. Côté maternel, l'expérience est troublante, contrairement à celle du narrateur: "Ma mère, quoique très âgée est toujours vivante. Je sais qu'il n'y a pas d'âge pour mourir et que ce sera pour moi une épreuve extrêmement difficile et dure. J'ai en quelque sorte anticipé dans ce roman une forme de travail du deuil. J'étais un peu réticent à donner le manuscrit à ma mère. Elle l'a lu avec enthousiasme et ne m'a jamais fait la moindre remarque sur le fait que le roman était porteur de sa propre mort et je trouve cela extrêmement élégant de sa part".

Anik Schuin/ld

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