A plus de 50 ans, Bénédicte Belpois est entrée en écriture d’une manière peu commune. Un ami lui a demandé de lire le roman qu’il comptait publier à compte d’auteur. "Le récit était bien, dit-elle avec un léger sourire, mais les scènes d’amour étaient complètement ratées. J’ai proposé à mon ami de les lui réécrire, il a bien sûr refusé. Alors je les ai réécrites pour moi, selon ce que j’avais envie de lire…".
Ainsi, ce qui était une sorte d’exercice d’écriture est devenu l’amorce d’un premier roman où les scènes de sexe les plus torrides alternent avec de magnifiques moments de tendresse.
Suiza et Tomas
Au cœur de cette histoire se trouvent deux personnages à forte épaisseur humaine. Il y a d’abord une jeune femme fragile qui a fui le foyer protégé de Besançon où elle a été placée. Par un petit matin frileux, elle s’en va sans prévenir avec une idée chevillée au cœur, voir la mer. Après un long périple, elle débarque dans un village de Galice au nord-ouest de l’Espagne. Là, tout le monde la considère comme une Suissesse, peut-être parce qu’elle a la peau très blanche et des manières un peu simplettes. Alors on la surnomme Suiza.
"L’histoire, je crois, a commencé parce que je voulais voir la mer. Quand j’ai décidé de partir, je m’appelais encore Sylviane. La mer, c’était pour effacer la neige, que je ne supportais plus, surtout le matin".
Citation tirée de "Suiza" de Bénédicte Belpois
L’autre protagoniste se nomme Tomas. Cet agriculteur galicien à la carrure de taureau ressent une attirance irrépressible pour la jeune femme lorsqu’il la voit pour la première fois au bar du village. Au point qu’il en fera d’abord sa chose, ensuite sa femme, malgré le cancer qui ronge ses poumons.
"Il y avait en elle quelque chose d’exagérément féminin, de trop doux, de trop pâle, qui me donnait envie de l’empoigner, de la secouer, de lui coller des baffes, et finalement, de la posséder."
Citation tirée de "Suiza" de Bénédicte Belpois
Des personnages inspirés de la réalité
Pour dessiner ses personnages, Bénédicte Belpois s’est inspirée des femmes et d’hommes qu’elle croise dans le cadre de sa profession de sage-femme entre Besançon et Pontarlier. Elle ne fait plus d’accouchements, mais des consultations prénatales où elle rencontre des femmes démunies. "J’ai souvent affaire à des sans, confie-t-elle. Des sans-papiers, sans sécurité sociale, sans mari, sans toit, sans argent. Des avec aussi. Avec des abus sexuels, de la violence conjugale, des pères absents, des mères perverses, des troubles psychiatriques. Je les accompagne et les admire de rester debout, malgré tout".
Son personnage Suiza doit beaucoup à ces modèles inscrits dans la réalité. Tout comme Tomas qui est en partie inspiré par des hommes que l’auteure a rencontrés dans ses consultations conjugales. Tomas s’en veut de ne pas maîtriser son désir envers la jeune femme. Au point qu’il détourne sa colère vers celle qui lui inspire une telle pulsion. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce personnage n’est pas un prédateur compulsif. La suite de l’histoire le confirmera, lorsque cette relation née dans la violence se transformera en relation amoureuse bouleversante.
"C’est pas souvent, mais des fois, quand tu mélanges bien deux malheurs, ça monte en crème de bonheur".
Citation tirée de "Suiza" de Bénédicte Belpois
La Galice, terre promise
Bénédicte Belpois a situé cette histoire en Galice, car c’est une région qu’elle fréquente depuis plusieurs années avec le sentiment d’y avoir trouvé une terre promise. "Les gens là-bas sont comme moi. Ils parlent fort, leurs sentiments sont exacerbés. Tout y est plus intense, j’ai l’impression d’être à ma place". Une manière de vivre très éloignée de la retenue que les Suisses ont établie en règle cardinale.
Reste à élucider une question: pourquoi tous les habitants du village galicien prennent-ils la jeune femme pour une Suissesse? "Quand je suis en Galice, on me demande d’où je viens. Je dis de France. On me répond Paris? Je dis non, près de la Suisse. Alors on me prend pour une Suissesse et on m’appelle Suiza".
Et pour la bonne bouche, il faut citer cette réplique prêtée à la nourrice de Tomas, bien dans la manière de la romancière: "Les Suisses, ils connaissent pas l’huile d’olive ni l’ail. C’est pour ça qu’ils sont blancs comme des culs et toujours malades". On appréciera.
Jean-Marie Félix/aq
Bénédicte Belpois, "Suiza", Editions Gallimard.