Prenons un livre, par exemple, "Sérotonine" de Michel Houellebecq. En France, il coûte 22 euros. En Suisse romande, il est vendu 37,60 francs. Les journaux et magazines subissent la même hausse sitôt passés la frontière. De quoi donner l'impression aux consommateurs suisses d’être pris pour des vaches à lait, d'autant que le prix en euros reste visible.
Mais pour les libraires, les distributeurs et les diffuseurs, ces prix permettent à la fois au lecteur romand d’acheter rapidement tous les livres disponibles sur le marché et aux librairies de s’en sortir financièrement. Explications.
La loi française de 1981
Depuis 1981, le prix du livre est fixe en France et la loi Lang oblige que son coût soit imprimé sur la couverture de l'ouvrage. En Suisse, les choses sont plus compliquées. "Ce n'est pas le libraire qui fixe le prix de référence", explique Pascal Vandenberghe, patron de Payot qui dispose de douze librairies en Suisse romande.
Le même homme dit néanmoins assumer pleinement cette majoration:
Le pouvoir d'achat est différent en Suisse qu'en France et les frais d'exploitation aussi. Le client le comprend. De plus, l'opération jouit d'une certaine transparence puisque le prix en euros est clairement indiqué, ce qui n'est pas le cas dans tous les secteurs.
Ce qu'il faut comprendre c'est que si les 80% des livres vendus en Suisse romande viennent de France, ce ne sont pas les éditeurs qui les acheminent directement vers les librairies mais le distributeur. Le plus grand de Suisse romande est l'Office du livre de Fribourg (OLF) qui comprend 30 kilomètres de rayons et près de 3 millions d'ouvrages.
Livraison rapide et stock disponible
L'OLF est un maillon important de la chaîne du livre en raison de son stock disponible et de la rapidité de ses livraisons. "En 24 heures, nous pouvons honorer une commande tandis que si le libraire traitait directement avec la France, il faudrait compter au moins deux semaines. Mais si nous collons les étiquettes de prix, ce n'est pas nous qui en fixons le montant", explique Patrice Fehlmann, PDG de l'Office du Livre Fribourg. Ce même office est aussi chargé de gérer les invendus - environ un quart de la marchandise est retourné. Bien sûr, pour que le service soit efficace, il faut du personnel (150 personnes travaillent à l'OLF) et le payer correctement.
L'éditeur doit pouvoir vendre
Si la France édite environ 68'000 nouveautés par an, elle accueille également 4'500 éditeurs sur son sol. C'est beaucoup, et eux aussi tirent parfois le Diable par la queue.
Un éditeur commence à gagner de l'argent à partir de 2'000 ou 3'000 livres vendus. J'ai édité 400 titres en 20 ans, et 8 livres sur 10 se sont écoulés à moins de 2'000 exemplaires. Heureusement, trois d'entre eux ont fait plus de 100'000!
Pour un de ses ouvrages phares, "Le Banquier de Lucifer", de Bradley Birkenfeld, le lanceur d'alertes qui a coûté 780 millions de dollars à l'UBS, l'éditeur espère pouvoir monter à 4'000 exemplaires. C'est lui qui décide du prix pour la France, soit 24,90 euros, répartis comme suit: 10% pour l'auteur, 15% pour l'imprimeur, 20% pour l'éditeur, 15% pour le diffuseur et 40% pour le libraire.
En revanche, Jean-Charles Gérard ignore le prix auquel "Le Banquier de Lucifer" sera vendu en Suisse. Ce n'est pas lui qui décide. Mais alors qui?
Un prix en euros augmentés
Ce "qui" mystérieux, ce sont les diffuseurs. Une poignée d'entre eux se partage le marché, chacun représentant en exclusivité plusieurs maisons françaises. Interforum Suisse, par exemple, possède un catalogue de 150 éditeurs. "Oui, c'est le diffuseur qui fixe les prix en Suisse, déclare Josée Cattin, sa directrice. Comment? "On prend le prix en euros multiplié par le taux de change, auquel on applique un coefficient qui augmente le prix du livre. La valeur de l'euro vaut alors environ 1,63." Une majoration justifiée par les coûts de distribution (le fameux stock disponible en 24 heures) et de diffusion, ainsi que par les frais des libraires qui doivent se payer eux-mêmes.
Le juste prix serait donc celui qui permettrait à tous les métiers du livre de survivre, tout en affrontant la concurrence du e-commerce qui grignote le marché à hauteur de 20%.
Pour l'heure, les 579 librairies en Suisse, et 145 en Suisse romande, tiennent le coup même si la profession entend se mobiliser face à l'accord que la Poste vient de passer avec Amazon pour faciliter le processus d'importation, de dédouanement et d'acheminement du géant de l'e-commerce.
Sujet traité dans l'émission "A Bon Entendeur"
Adaptation web: Marie-Claude Martin