Pour être féconde, André Comte-Sponville estime que la philosophie ne doit pas rester dans sa tour d'ivoire mais se confronter au quotidien, à l'actualité et, surtout, être accessible au plus grand nombre. C'est pourquoi il écrit volontiers dans les médias. Son dernier ouvrage "Contre la peur et cent autres propos" réunit des textes parus dans "Challenges", "Le Monde des religions" ou "Philosophie magazine" sur des sujets aussi divers que les attentats de 2015, la postvérité, la dépénalisation du cannabis, les vacances ou l'euthanasie.
La peur a toujours existé puisque la vie est dangereuse
Dans un monde complexe, en mutation permanente, globalisé, virtuel et connecté, l'inquiétude semble être une réponse légitime. "La peur a toujours existé puisque la vie est dangereuse, et qu'elle l'était encore plus dans les siècles précédents. Nous vivons dans une société bien plus confortable et pourtant l'inquiétude augmente, parfois pour de bonnes raisons, comme le réchauffement climatique, parfois pour des raisons plus mystérieuses."
Penser et lire les grands écrivains
La peur en tout cas est devenue, selon le philosophe, un sentiment de plus en plus répandu et qui tend à dominer le discours politique, notamment celui des populismes qui en jouent beaucoup. Comment alors combattre ce sentiment qui nous mine?
Dans son recueil, le philosophe nous invite à penser au lieu de se lamenter et d'agir plutôt que de trembler. Il ajoute son remède personnel: lire, les philosophes, mais surtout des écrivains comme Montaigne, Flaubert, George Sand ou Stefan Zweig. Car si Comte-Sponville se voit progressiste politiquement, il se décrit comme conservateur culturellement.
La culture, c'est ce que nous avons reçu en héritage et que nous avons à charge de transmettre. Un livre vient toujours du passé; on n'a encore jamais lu un livre d'avenir.
Athée revendiqué, matérialiste, rationaliste et humaniste, André Comte-Sponville s'énerve devant une tendance contemporaine à vouloir à tout prix "donner du sens à la vie".
Aucun grand philosophe du passé n'a utilisé l'expression "sens de la vie". Pourquoi voudriez-vous que la vie ait une signification? Elle n'est ni un discours, ni un symptôme.
Dès lors la question n'est pas de savoir si la vie a un sens mais si nous l'aimons assez pour être vécue. Le sens n'est pas un principe mais un résultat. Et le philosophe de citer Spinoza: "Ce n'est pas parce qu'une chose est bonne que nous l'aimons mais c'est parce que nous l'aimons qu'elle nous paraît bonne. C'est l'amour qui crée de la valeur et non pas la valeur qui crée l'amour."
Propos recueillis par Linn Levy
Adaptation web: Marie-Claude Martin