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"Les rêves d'Anna", le roman de Silvia Ricci Lempen écrit en deux langues

Silvia Ricci Lempen [DR - DR]
Silvia Ricci Lempen: "Les Rêves dʹAnna" / Caractères / 60 min. / le 16 juin 2019
L'autrice italo-suissesse déroule le siècle à travers lʹhistoire de cinq jeunes femmes qui vivent des temps et des situations très différentes. Un siècle qu'elle déroule à l'envers, de 2012 à la veille de la Grande guerre.

C'est un épais roman avec, en couverture, un portrait au crayon de couleur d'Aloïse Corbaz, artiste vaudoise emblématique de l'Art brut. Ce portrait représente une femme aux épaules souveraines, à la robe rouge coquelicot flamboyante et aux yeux comme deux coquilles d'huîtres. Elle porte un gant noir de soirée. C'est sous l'égide de l'artiste Aloïse, cette Lausannoise qui s'est rêvée cantatrice avant de s'éprendre de son employeur, l'empereur Guillaume II, à la Cour duquel elle travaillait comme gouvernante, que se déroule "Les rêves d'"Anna", roman doublement ambitieux.

La couverture de "Les Rêves d'Anna", un livre de Silvia Ricci Lempen. [Editions d'en Bas.]
La couverture de "Les Rêves d'Anna", un livre de Silvia Ricci Lempen. [Editions d'en Bas.]

Une flèche qui s'enfonce dans le passé

Pourquoi ambitieux? D'abord parce qu'il raconte l'histoire de cinq femmes qui ont vécu des temps, des lieux et des situations très différentes sur un siècle, et que ce siècle, l'autrice le déroule à l'envers, de 2012 à 1911. Ces femmes n'ont pas de lien de parenté mais s'inscrivent dans une sorte de généalogie symbolique. Silvia Ricci Lempen fait le lien entre elles, via une femme plus âgée qui devient l'héroïne de l'histoire suivante.

Le temps en littérature est la grande affaire de Silvia Ricci Lempen. "Dans mon livre précédent, "Ne neige-t-il pas aussi blanc chaque hiver", la structure était en spirale. Ici, c'est comme une flèche qui va en arrière et s'enfonce dans le passé, comme une représentation littéraire de l'infini. Je raconte cinq histoires, mais il pourrait y en avoir 10, 50 ou 100; il n'y ni début ni fin."

Naître ou ne pas naître fille

La vie de Federica, Sabine, Gabrielle, Clara et Anna ressemble à une lutte pour rester vivantes et libres. Certaines y réussiront, d'autres pas. Roman féministe? Si la citoyenne Silvia Ricci Lempen est une féministe engagée depuis les années 70, la romancière, elle, ne fait pas de romans à thèses.

Depuis quelques années, le roman change de focale. Le point de vue, qui a presque toujours été masculin, devient féminin. A la manière d'une Annie Ernaux ou d'une Elena Ferrante, auxquelles je n'oserais me comparer, ce qui m'intéresse, c'est comment le fait d'être une fille, une femme, influence subtilement tous les instants de sa vie. J'aime les romans qui ne sont pas seulement des histoires de femmes mais l'histoire du monde racontée par des humains universels mais nés femmes.

Silvia Ricci Lempen.

Dualité linguistique et culturelle

Roman ambitieux également parce que l'autrice a écrit "Les rêves d'Anna" en italien et en français. Il ne s'agit pas d'une auto-traduction mais bien d'une double version originale, d'une création spécifique à chaque langue. Déjà sorti en français aux Editions d'en Bas, il paraîtra à la fin août en version italienne.

Comme elle l'écrit sur son site, Silvia Ricci Lempen n'a jamais vraiment su quel était sa langue maternelle, elle la petite Italienne élevée à l'école française de Rome. Elle pensait même qu'elle avait toujours écrit en français avant de découvrir, à la faveur d'un déménagement, que son premier cahier d'histoires était écrit en italien. Cette dualité linguistique et culturelle est au coeur de ses romans. Comment a-t-elle procédé pour "Les Rêves d'Anna"?

J'ai d'abord écrit en italien pour raconter l'histoire des deux protagonistes dont c'était la langue, puis en français pour les trois autres. Ensuite, j'ai tout repris à neuf dans l'autre langue. Il n'y a pas une phrase identique d'une version à l'autre. La traduction doit rester fidèle au texte, moi, j'ai pu tout réinventer.

Silvia Ricci Lempen, auteure, essayiste, journaliste et féministe engagée

La jouissance d'écrire

Cette exercice inédit l'a passionnée et occupée pendant cinq ans. Cinq ans pendant lesquels elle a voyagé, interrogé des gens, visité des lieux, pour se donner les moyens de reconstituer les différentes atmosphères propres à l'époque qu'elle décrit. Elle voulait l'exactitude, et ses six pages de remerciements témoignent de son souci. Mais c'est surtout le travail d'écriture lui-même qui lui a pris du temps, et auquel elle s'est adonnée avec joie. "Il ne s'agit pas d'un besoin impérieux d'écrire mais d'une jouissance suprême, intense et profonde. Et j'ai cette chance extraordinaire de pouvoir m'accomplir à travers cette jouissance."

Propos recueillis par Anik Schuin

Adaptation web: Marie-Claude Martin

Silvia Ricci Lempen, Les rêves d'Anna, éditions d'En Bas, mai 2019

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