C'est un livre qui fait rêver. D'abord parce qu'il est écrit par une chercheuse qui est aussi une fabuleuse conteuse, Emmanuelle Pouydebat, éthologue, directrice de recherche au CNRS et au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris. Il faut l'écouter parler du "diable cuirassé", de "l'ange démoniaque" ou du "monstre d'eau" qui fait repousser son corps.
Avec elle, le caméléon panthère devient, grâce à sa langue catapulte et ses yeux désynchronisés, un super héros Marvel, et le jardinier satiné, cet oiseau au sens esthétique hors du commun, un architecte de l'amour. C'est sans compter sur la méduse qui est potentiellement immortelle ou le lézard Jésus-Christ, dont la vitesse (100km/h) lui permet de courir sur l'eau pour échapper à ses prédateurs. Il n'y a pourtant pas l'ombre d'une tentation anthropomorphique chez cette spécialiste de l'évolution des comportements animaliers.
Ensuite parce que l'ouvrage, découpé en six chapitres, est magnifiquement illustré par Julie Terrazzoni qui a réussi à donner du tempérament à ces créatures merveilleuses. Enfin, parce que "L'Atlas zoologique poétique" (éd. Artaud) recense des espèces rares, souvent menacées, qui possèdent des facultés, des dons, parfois même des prodiges, dont nous serions bien avisés de nous inspirer.
35 espèces sur plus d'un million
Dans l'arche de Noé d'Emmanuelle et Julie, il y a 35 espèces animales extraordinaires. "C'était un vrai défi que de n'en retenir que 35 alors que la planète en compte plus d'un million. Dans un premier temps, j'ai visé des animaux aux comportements très spécifiques, attractifs et capables de faire des choses étonnantes. Puis, petit à petit, quelque chose de plus subjectif s'est immiscé dans ma sélection. La vision esthétique de Julie Terrazzoni m'a aussi influencée. Elle m'a amenée à choisir des espèces auxquelles je n'avais pas pensé a priori. Cet Atlas est vraiment le fruit d'une collaboration", explique Emmanuelle Pouydebat qui a surtout voulu transmettre son émerveillement, ses admirations et parfois ses craintes face à un monde animal, hélas en voie de disparition.
Du pangolin...
Dans ce bestiaire fantastique, mais bien réel, on retient d'abord le pangolin, ce mammifère à écailles qui ressemble à un artichaut comme le disait Pierre Desproges, et qui se met en boule pour se protéger. L'animal a mauvaise vue, mais bon appétit; il peut manger jusqu'à 70 millions d'insectes par an.
S'il n'a pas de dents dans la bouche, il en a dans l'estomac, ce qui facilite sa digestion. Sa capacité de préhension est très élevée, grâce à ses pattes puissantes et ses grandes griffes. Malheureusement, le plantigrade est gravement menacé. C'est le mammifère le plus braconné dans le monde. On en tue trois millions par an pour sa chair et ses écailles.
...au tardigrade
Le tardigrade, aussi appelé ourson de mer, n'est pas aussi convoité pour sa beauté, mais il fascine les scientifiques par sa résistance quasi surnaturelle. Mi-chenille, mi-taupe, une vague ressemblance avec un hippopotame nain, il en existe un millier d'espèces. Quasiment invisible - il mesure moins de 1,5 mm - il survit à tout, aux températures extrêmes (de - 270 degrés à + 175), aux radiations, au vide de l'espace et même à la déshydratation. Ses facultés de défense sont extraordinaires. Il peut se mettre en cryptobiose - l'équivalent de la mort clinique - puis ressusciter.
Par quel prodige? Pour baisser drastiquement son métabolisme, il remplace l'eau par le sucre qui lui sert d'antigel et s'entoure d'une cire microscopique qui le protège. Des chercheurs japonais planchent actuellement sur le tardigrade qui pourrait ouvrir la voie pour améliorer la résistance des cellules humaines.
Notre espèce sauvée par les autres espèces?
Tous ces animaux pourraient-ils sauver notre espèce? "Si on leur laissait le temps peut-être, mais on assiste à une telle vague de disparition et à une telle vitesse! Il est certain que les comportements de plusieurs espèces pourraient éclairer de nombreux champs de savoir, la médecine - les chimpanzés par exemple sont des as de l'automédication - l'écologie, les transports, l'industrie, mais nous sommes aussi arrêtés par nos propres limites" dit Emmanuelle Pouydebat.
Propos recueillis par Nancy Ypsilantis
Adaptation web: Marie-Claude Martin