La rentrée littéraire est ouverte! Elle précède la saison des prix - le jury du Goncourt doit faire connaître sa première sélection le 3 septembre déjà - et dope certaines manifestations, comme Le Livre sur les quais qui se déroulera les 6-7-8 septembre, à Morges.
Surtout que cette édition est co-présidée par Amélie Nothomb qui sort en même temps son 28e roman, "Soif", dont le narrateur n'est autre que Jésus racontant sa Passion. Son éditeur, Albin Michel, a prévu un tirage de 160'000 exemplaires, confirmant le rôle de locomotive de la romancière belge.
>> A lire, le bilan de la 9e édition de Livre sur les quais : La 9ème édition de Livre sur les quais s'est achevée dimanche à Morges (VD) sur un bilan "réjouissant"
Des années de surchauffe
Pourtant, selon le magazine Livres hebdo, 524 romans sont publiés en France: 336 français et 188 étrangers, dont 82 primo-romanciers. C'est le taux le plus bas depuis vingt ans. Faut-il s'en inquiéter? Oui, si on en juge par la baisse du chiffre d'affaires des éditeurs français (- 4,38%) par rapport à l'année dernière.
En revanche, pour toute la branche du livre en Suisse romande, c'est plutôt une bonne nouvelle après tant d'années de surchauffe. Et même si l'ASDEL, l'association suisse des diffuseurs, éditeurs et libraires ne dispose pas de chiffres précis, le secteur reste stable dans notre région, avec une moyenne de 45 livres.
Plus grande visibilité médiatique
Pour l'éditrice de Zoé, qui publie 6 nouveaux romans, cette baisse ne signifie pas que le livre se porte mal, mais que les éditeurs choisissent mieux. Du côté de Slatkine, malgré des propositions toujours aussi nombreuses, on s'efforce d'offrir moins mais mieux.
Pour les libraires, ce répit est aussi bienvenu: moins de nouveautés permet une meilleure mise en valeur des sorties et plus de visibilité dans les médias.
Les femmes à l'honneur
Cette rentrée 2019 est placée sous le signe des femmes. Parmi les livres les plus attendus de cette rentrée, il y a "Les choses humaines" (Gallimard) de Karine Tuil, une histoire autour d'une affaire de viol qui parle aussi de domination, de faux-semblants et du culte de la performance. S'inspirant très librement de "l'affaire de Stanford", un viol sur un campus américain, Karine Tuil déroule son récit du point de vue de l'agresseur (un étudiant brillant) et de sa famille (un journaliste très en vue et une essayiste féministe).
Le viol est également l'objet de "Se taire" (Julliard) de Mazarine Pingeot, qui s'intéresse à la sidération et au silence de la victime après le crime.
Des héroïnes glorieuses
Autre roman précédé des meilleurs commentaires, "Une joie féroce" (Grasset) de Sorj Chalandon, un livre paradoxalement vif et joyeux sur sujet anxiogène: le cancer du sein. Avec sa merveilleuse narratrice, le romancier a l'élégance de faire sourire là où d'autres auraient convoqué les larmes.
Pudeur également dans "La mer à l'envers" (P.O.L), de Marie Darrieussecq qui raconte comment une femme très ordinaire, Rose, va se révéler extraordinaire après avoir été témoin en Méditerranée d'un sauvetage de migrants parmi lesquels se trouve le jeune Younès, pas beaucoup plus âgé que son fils.
De son côté, Nathacha Appanah dresse le portrait lumineux de Phénix, mère célibataire à l'enfance saccagée dont le fils est en prison et la fille loin d'elle, dans "Le ciel par-dessus le toit" (Gallimard). Pour retrouver ses enfants, l'héroïne devra vaincre sa colère et le sentiment de culpabilité qui l'accable.
On retrouvera encore des femmes remarquables dans "Cora dans la spirale" (Seuil) de Vincent Message, histoire d'une femme broyée par son entreprise.
L'histoire sens dessus dessous
Autre tendance, l'uchronie. Avec "Civilization" (Grasset) Laurent Binet a choisi de renverser le cours de l'Histoire en imaginant l'Europe envahie par les Incas au début du XVIe siècle. Son livre, à la fois érudit et espiègle, laisse entrevoir qu'un autre monde est toujours possible.
De son côté, Léonora Miano nous transporte dans le futur dans "Rouge impératrice" (Grasset), un des gros pavés (600 pages) de la rentrée. Baptisée Katiopa, l'Afrique est devenue un continent unifié et prospère où résident quelques descendants d'Européens vivant repliés sur leur identité. Dans une langue à la fois charnelle et sensuelle, la romancière née au Cameroun s'amuse à renverser les codes des systèmes de domination.
mcm avec afp
Eclairage sur trois premiers romans
Cette rentrée offre à découvrire 82 primo-romanciers, dont Joffrine Donnadieu, 29 ans, qui n'a pas choisi la facilité avec "Une histoire de France", dont le sujet est la pédophilie au féminin. A Toul, une enfant de neuf ans, Romy, est confiée à France, une voisine qui va abuser d'elle. Le roman est glaçant, parfois insoutenable, mais la plume incisive de la jeune romancière accroche durablement le lecteur.
"Sale gosse" de Mathieu Palain, 31 ans, nous raconte l'histoire de Wilfried, gamin né du mauvais côté de la vie. Comme Nina, éducatrice de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), on aimerait tant que Wilfried et tous les gamins perdus s'en sortent. Le livre est bouleversant d'humanité sans jamais être mièvre.
Fille de la chanteuse Jeanne Mas, Victoria Mas, 31 ans, s'intéresse aux femmes internées à La Salpêtrière au XIXe siècle dans "Le bal des folles". Son livre, puissant, redonne vie et dignité à ces femmes condamnées car différentes.