Au "Masque et la Plume" sur France Inter, il est rarement d’accord avec les autres, et prend un plaisir gourmand à se moquer du cinéma français auquel il consacre tout de même un livre, "(très) Cher cinéma français" (Albin Michel).
Bien sûr, il s’agit d’un pamphlet où la mauvaise humeur côtoie le dépit amoureux. "Comme le veut le genre, c’est méchant, excessif et de mauvaise foi. Mais je pense qu’il y a un fond de vérité", dit Eric Neuhoff, critique littéraire et cinématographique, homme de droite dans la lignée des Hussards, ce mouvement littéraire des années 60-70 qui portait l’étendard du style, de la liberté et de l’impertinence.
Cet admirateur du "Mépris" de Godard (1963) - "tout est beau dans ce film" - n'en est pas à son premier coup d'essai. On lui doit déjà son très subjectif et épidermique "Dictionnaire chic du cinéma", publié il y a trois ans.
<< A regarder, la bande-annonce du "Mépris" de Godard:
Un César pour le courageux spectateur
Mais que lui reproche-t-il à ce cinéma que la profession s’accorde pourtant à trouver en bonne santé? Tout! Son manque de passion, de fantaisie et d’ambition. Son misérabilisme insupportable, son goût pour la laideur, ses scénarios mal écrits, ses mauvais éclairages, ses acteurs et actrices qui préfèrent penser que jouer, son esprit de sérieux et sa prétention qui le fait préférer une bonne critique dans Libé qu’un spectateur de plus dans la salle. Au point que Neuhoff propose un César du plus valeureux spectateur de films français.
Cinéaste ou gynécologue
Ses têtes de Turcs? Isabelle Huppert, qui à raison de cinq films par an symbolise ce cinéma que personne ne va voir, les frères Dardenne, "du rien multiplié par du creux" et aussi ces jeunes cinéastes qui auraient pu tout aussi bien être dentistes ou gynécologues. "Avant, les réalisateurs étrangers se revendiquaient de Godard ou Truffaut, qui aujourd’hui se revendiquent d’Assayas ou d’Ozon?"
Résultat:
Un cinéma qui ressemble à un vieux beau aux cheveux teints, les joues gonflées au collagène. Les chirurgiens esthétiques s’appellent CNC, chaînes de télévision et régions.
Mais comment le cinéma français peut-il être à l’agonie alors qu’il produit 250 films par an? "Il y a des films mais plus de cinéma. Parfois quelques films, comme des icebergs surgissent, mais le cinéma est un archipel de confettis disparates, inégaux et vraiment pas nécessaires".
Préférer un fumiste à un paresseux
Nécessaire, le mot est lâché et revient souvent dans la bouche d’Eric Neuhoff. Le cinéma, le vrai, est fait par ceux qui ne pourraient pas faire autrement, qui seraient prêt à hypothéquer leur maison pour réaliser leur rêve et même à y sacrifier leur vie comme le producteur Jean-Pierre Rassam. Il y a du romantisme dans cette posture absolutiste qui préfère un fou à un bon élève, un escroc à un fonctionnaire et un fumiste à un paresseux.
Ce qui fait le cinéma selon Neuhoff, c’est la prise de risque. "Sur un film aujourd’hui, personne ne risque rien. Les salaires tombent. Même le producteur est sûr de recevoir le sien". Et à quoi reconnaît-on un vrai cinéaste?
Un cinéaste, c’est un homme qui en sait plus que vous. Ce qu’il ignore, il l’invente. Le plaisir de filmer se confond alors avec le bonheur de regarder.
Sur un malentendu, un film peut être réussi
Bien sûr, il y a de la nostalgie dans son propos. Eric Neuhoff pleure la disparition du Pariscope, déplore la fermeture des salles et regrette le temps où le cinéma était plus grand que la vie, les actrices plus belles que ses voisines de palier et où les films faisaient partie de l’imaginaire collectif.
Mais tout est-il vraiment à jeter? Dans sa diatribe, il sauve Arnaud Desplechin, "dont le cinéma coule dans les veines", Pascal Thomas, le franc-tireur léger et ironique et Jean-François Stévenin, qui ne tourne plus. Mais Eric Neuhoff, adepte du cinéma coréen, se veut optimiste: "Le pire n’est jamais sûr. Peut-être qu’un jour, sur un malentendu comme dirait Michel Blanc dans "Les Bronzés", Ozon fera un bon film".
Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert
Adaptation web: Marie-Claude Martin
Eric Neuhoff, "(très) Cher cinéma français", éd. Albin Michel