Alice est une maman célibataire qui se retrouve sans emploi à 48 ans. La descente dans la misère est aussi inéluctable que rapide. Que faire dès lors pour permettre à son fils Achille de manger tous les jours? Prostitution? Vol à l'étalage? Désespérée, Alice tente le tout pour le tout en enlevant, devant une école cossue, une petite fille.
Malheureusement pour elle, personne ne réclame lʹenfant. Sa tentative de kidnapping et de rançon tombant à lʹeau, elle fait néanmoins la connaissance de Tom, écrivain dépité, productif, mais quasi inconnu. Ces deux êtres qui nʹont plus rien à perdre décident dʹécrire un roman parlant du bonheur et qui les rendra riche, un "feel good book". Tel est le scénario du dernier ouvrage de Thomas Gunzig, auteur belge né en 1970 à Bruxelles.
"Pour écrire un 'feel good book'", explique l'auteur à la RTS, "on prend tous les lieux communs possibles et imaginables, on invente une petite intrigue autour de cela et cela fait un roman populaire. Comme le disait Nabokov, les lecteurs aiment retrouver leurs propres idées sous d'élégants déguisements".
Le "feel good book", c'est un genre littéraire qui ne fait pas avancer les choses mais qui rencontre bizarrement beaucoup de succès. Moi, je ne me l'explique pas car je trouve le genre très ennuyeux.
Littérature et précarité
Deux thèmes se détachent de l'ouvrage de Thomas Gunzig: la précarité et le métier d'écrivain. Sont-ils liés? "Chez moi, comme chez beaucoup, il y a en permanence l'angoisse du manque d'argent", révèle l'auteur. "Et je me suis demandé ce que devenait la morale quand l'argent manque, quand on a essayé tout ce que la légalité nous permet de faire."
A travers le personnage de Tom, cet écrivain prolifique et bizarre mais sans succès, Thomas Gunzig aborde également son propre parcours et les raisons qui l'ont poussé à devenir auteur. Scolarisé dans une école pour handicapés en raison d'une dysorthographie, issu d'une famille très modeste, Thomas Gunzig a toujours aimé écrire des livres "un peu imaginaires", dans des zones "qui vous disqualifient aux yeux de la critique". "Et cela donne l'impression que tout le système littéraire essaie de vous normaliser, de vous plier à écrire de la littérature que l'on appelle "blanche", qui ne soit ni des thrillers, ni de la littérature fantastique, ni noire, ni science-fiction, ni imaginaire, ni fantastique. Il ne reste pas grand chose et ce 'pas grand chose', c'est ce qui intéresse souvent les grands jurys et la grande presse", dénonce avec clairvoyance mais sans une once d'amertume Thomas Gunzig.
Rester réaliste
Cette réalité nuancée nécessite de rester réaliste pour pallier la violence faite aux auteurs. Un exemple? La rentrée littéraire.
Vous avez mis deux ans à sortir votre livre et en 10 jours, vous savez s'il va donner quelque chose ou s'il va passer au pilon. Beaucoup d'auteurs mentent sur le tirage de leurs livres, car la réalité est tellement violente et douloureuse.
Pas d'aigreur, donc, mais un constat affûté de ce système un peu biaisé du marché littéraire. Aujourd'hui, Thomas Gunzig est un auteur reconnu, plusieurs fois récompensé, scénariste de cinéma et de bande dessinée. Le scénario du "Dernier Pharaon", nouvelle aventure de Blake et Mortimer, c'est lui. Il mène actuellement plusieurs chantiers d'écriture, trois scénarios de film et un spectacle, "tout en rêvant toujours de ce grand succès qui met à l'abri du besoin". L'argent, toujours, ce nerf de la guerre.
Propos recueillis par Catherine Fattebert
Adaptation web: Melissa Härtel
Thomas Gunzig, "Feel good" (Editions Au Diable Vauvert).