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La douleur d'un naufrage hante le nouveau roman de Fatou Diome

Fatou Diome. [Albin Michel - Astrid di Crollalanza]
L'invitée: Fatou Diome, "Les veilleurs de Sangomar" / Vertigo / 40 min. / le 20 septembre 2019
A travers son héroïne Coumba, l'auteure franco-sénégalaise Fatou Diome mêle chagrin, êtres surnaturels et amour fou. Dans son nouveau roman, "Les veilleurs de Sangomar", elle dénonce aussi l'indifférence de l'Occident face à cette catastrophe.

Il y a dix-sept ans le Joola, ferry qui relie Dakar et la région de Casamance, fait naufrage au large des côtes du Saloum. Plus de 2000 passagers meurent lors du drame. Fatou Diome était présente au moment de la catastrophe qui a eu lieu près de son village natal. De cette expérience naît son roman, "Les veilleurs de Sangomar", qui raconte l’histoire de Coumba, une jeune veuve qui a perdu son époux lors du naufrage. Face à son chagrin, Coumba se réfugie dans la religion animiste et commence à parler avec les morts.

L’île de Sangomar, sanctuaire animiste

Située en face du village natal de l’auteure, Sangomar est considérée comme les Champs Elysées sérères: c’est là où se retrouvent les ancêtres et l'âme des morts. "La tradition dit que si on a perdu un être cher, il suffit de le demander au Djinn de Sangomar pour pouvoir lui parler", raconte l'auteure. "A travers le livre, on retrouve cette phrase: 'Sangomar, accorde-moi la vue qui traverse la nuit'. La nuit, c’est ici la métaphore de la mort, mais c’est aussi la métaphore de l’obscurantisme. Tout ce qui est ténébreux, c’est la nuit. Donc la vue qui traverse la nuit, c’est aussi la vue qui va au-delà de la réalité pour imaginer d’autres possibles".

Coumba se réfugie dans l’animisme parce que les grandes religions monothéistes ne lui proposent rien d’autre à part le fatalisme et la résignation.

Fatou Diome

Ecrire pour reprendre son destin en main

Lorsque Coumba entend des voix nocturnes, les autres la croient folle. Face à la douleur et la solitude, elle commence à écrire. "Même si elle n'allège pas les souffrances, l’écriture permet au moins de ne pas déposer son fardeau sur les épaules de quelqu’un d’autre", explique Fatou Diome. "Les pages vous acceptent telle que vous êtes. Les pages ne se lassent pas des confidences. […] Elles sont complices et patientes."

Est-ce que Coumba entend trop et perçoit trop, ou est-ce que ce sont les autres qui sont limités dans leur regard, dans leur imagination et dans leur audition nocturne?

Fatou Diome

L’héroïne comprend alors que son malheur de veuve doit s’assumer seul. "On aime bien consoler les veuves et les orphelins, mais on n’aime pas les entendre geindre. Coumba le comprend parce que sa belle-mère ne veut pas l’écouter et fuit ses confidences."

Une histoire à la mémoire des naufragés

Bien que le naufrage du Joola soit d’une envergure de celle du Titanic, il est rarement mentionné dans la presse de nos jours. "Lorsqu’il y a des catastrophes dans le Tiers monde, j’ai l’impression que l’opinion publique est beaucoup plus silencieuse, voire indifférente. Cela me choque, parce qu’en Afrique nous sommes tournés vers l’Occident. Quand il y a eu des attentats en Europe, tout le monde à Dakar en parlait. Mais lorsque 2000 personnes disparaissent au Sénégal, je n’ai pas vu une seule marche blanche en Europe", explique l’auteure.

Pour les puissants, la mort des pauvres est aussi insignifiante que leur vie.

Fatou Diome

Face à l’impuissance, la liberté d’expression et la force du nombre

Dans l’un de ses poèmes, Fatou Diome dit: "Avec cette plume lourde de toutes mes impuissances, j’écris. Et même si c’est dérisoire, j’écris et je trace donc le sillage de mes rêves."

"Je n’ai pas le pouvoir d’un chef d’Etat ou d’un législateur, je n’ai que de l’encre et ma liberté d’expression. Je suis très consciente de ce manque de pouvoir, et il me reste donc l’arme des faibles: ma parole. Je peux au moins partager ma révolte et mes rêves." Elle s’adresse aussi aux journalistes: "Ma force vient de vous qui donnez voix, mais aussi voie à mon livre: vous lui permettez de progresser jusqu’aux lecteurs, qui donnent un sens à ce que je fais. Lorsque nous sommes nombreux à nous indigner, cela peut en effet changer les choses. Je crois à la force du nombre."

Propos recueillis par Linn Levy/ms

Fatou Diome, "Les veilleurs de Sangomar", éditions Albin Michel, 2019

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