Pour sa deuxième sélection, dévoilée le 1er octobre, le jury du prix Goncourt a retenu neuf titres de romans français [Lire l'encadré ci-dessous].
Exit l’unique titre d’Actes sud qui était présent dans la première sélection, "Un monde sans rivage" d’Hélène Gaudy, mais il faut rappeler que la maison arlésienne avait décroché le graal deux années de suite avec Eric Vuillard en 2017 et Nicolas Mathieu en 2018. Exit aussi deux titres très remarqués portés par de petits éditeurs exigeants, "Avant que j’oublie", d’Anne Pauly chez Verdier et "Mur Méditerranée" de Louis-Philippe Dalembert chez Sabine Wespieser. Le jury a préféré conserver Amélie Nothomb. Sans commentaires.
Une certaine diversité de l'édition française
Que dire d’autre sur cette nouvelle sélection? Qu’on y compte bien sûr de grands éditeurs historiques, Grasset et Gallimard mais sans le Seuil. Toutefois, elle reflète parfaitement une certaine diversité de l’édition française aujourd’hui, d’Albin Michel à Arléa en passant par Buchet-Chastel, L’Olivier et POL.
Aux côtés de romans grand public, comme "Tous les hommes n’habitent pas de la même façon" de Jean-Paul Dubois, qui comme Amélie Nothomb gambade en tête des ventes, le jury a su faire de la place à une littérature plus exigeante, celle de Santiago H. Amigorena, Nathacha Appanah, Hubert Mingarelli, Olivier Rolin. A ce titre, on ne peut que se réjouir de voir dans cette liste Léonora Miano et son "Rouge impératrice", très ambitieuse dystopie parue chez Grasset, où elle imagine les défis politiques qui se posent dans une Afrique unifiée et forte au sein de laquelle les Européens sont des migrants discriminés.
La Seconde Guerre mondiale toujours d'actualité
Enfin, la Seconde Guerre mondiale qui continue de hanter la mémoire de nombre de Français est présente dans plusieurs des textes retenus. Le très beau "La terre oubliée" d’Hubert Mingarelli chez Buchet Chastel évoque l’ouverture des camps d’extermination, et il est à noter que deux romanciers, affrontant de douloureux silences familiaux, ont choisi de reconstruire la vie de leur grand-père.
Celui de Jean-Luc Coatalem ("La part du fils"), membre de la Résistance en Bretagne, a été arrêté par la Gestapo et n’est jamais revenu. Celui de Santiago H. Amigorena ("Le ghetto intérieur"), exilé en Argentine, a vu depuis là-bas le ghetto de Varsovie se refermer sur sa mère restée au pays. Ce dernier texte, d’une grande sobriété, abordant toute sorte de questions très actuelles, sociales et intimes, est probablement un des plus réussis de la rentrée littéraire.
Les cumulards
Amigorena se retrouve d’ailleurs à l’heure actuelle dans quasiment toutes les listes de prix. Outre dans celle du Goncourt, il est toujours en lice pour le Renaudot, le Décembre et le Médicis.
D’autres auteurs sont également des cumulards, et pour de bonnes raisons compte tenu de la qualité de leurs textes: Jean-Luc Coatalem est dans le Renaudot et Nathacha Appanah dans le Renaudot et le Femina. "Le ciel est par-dessus le toit", roman très émouvant, dresse un magnifique personnage de femme, et c’est probablement le travail le plus abouti de cette autrice d’origine mauricienne. Elle était déjà dans la première sélection du Goncourt en 2016 avec "Tropique de la violence".
Une parité pas encore acquise
Il est à noter d’ailleurs que les membres du Jury Goncourt ont su réserver une place de choix à la littérature écrite par les femmes, puisque cette deuxième sélection compte cinq romanciers et quatre romancières, soit une parité presque parfaite.
Ce n’est pas vraiment le cas d’autres jurys, pas gênés aux entournures semble-t-il d’ignorer avec superbe les travaux des romancières. Jugez plutôt, la semaine dernière, l’Interallié a dévoilé sa première sélection, composée de onze hommes et deux femmes.
Peu avant, Le Renaudot affichait onze hommes pour cinq femmes à son compteur. Pour l’instant seul le Femina (dont le jury, faut-il le rappeler, est exclusivement composé de femmes) a réussi à obtenir la parité totale dans sa première sélection, avec huit hommes et huit femmes.
Le Goncourt sera décerné le 4 novembre à 13h, mais tout ne s’arrêtera pas là puisque le jury étudiant du Goncourt suisse dévoilera son lauréat à la mi-novembre, établi à partir des quinze romans de la première sélection du jury parisien. L’an dernier, les Suisses avaient récompensé Pauline Delabroy-Allard pour son très beau "Ça raconte Sarah", publié chez Minuit.
Sylvie Tanette/aq
Les neuf titres retenus pour la deuxième sélection du Goncourt
"Le ghetto intérieur" de Santiago H. Amigorena (P.O.L)
"Le ciel par-dessus le toit" de Nathacha Appanah (Gallimard)
"Un dimanche à Ville-d'Avray" de Dominique Barbéris (Arléa)
"La part du fils" de Jean-Luc Coatalem (Stock)
"Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon" de Jean-Paul Dubois (L'Olivier)
"Rouge impératrice" de Léonora Miano (Grasset)
"La terre invisible" d'Hubert Mingarelli (Buchet Chastel)
"Soif" d'Amélie Nothomb (Albin Michel)
"Extérieur monde" d'Olivier Rolin (Gallimard)