Nous voici dans l'écurie aux chèvres. Au milieu du village. On peut y lire cette correspondance rédigée dans une écriture fine et élégante. En 1817, Charles et Eugénie se sont aimés, brouillés, rabibochés, séparés, perdus de vue. Elle était vaudoise et protestante. Lui valaisan et catholique. Les voici réunis le temps d'une exposition conçue avec la complicité des Archives de l'Etat du Valais. Quelques mètres plus loin, dans la Maison de l'Ours (celle avec une patte d’ours clouée sur sa façade depuis des lustres), des auteurs de la Société des Ecrivains Valaisans tenteront de poursuivre cette correspondance à haute voix. Comme si Charles et Eugénie ne nous avaient jamais quittés.
"Bonjour Monsieur, vous avez du courrier. De la part d'une dame que vous venez de croiser il y a quelques minutes au Trappeur…". Uniforme désuet, verbe fleuri, voici le Service public facteur d'amour. Ces artistes de rue peuvent aussi chanter vos déclarations ou travailler sous pli discret, c'est selon.
Des échanges épistolaires
Si vous aimez les délires épistolaires, tentez un tour du côté du Raccard aux physalis. Ce n'est pas bien loin non plus. Dans un village de 300 habitants comme Mase, posé sur un balcon du Val d'Hérens face au soleil, rien n'est jamais bien loin. Au Raccard aux physalis, on expose l'échange épistolaire entre la comédienne Claude-Inga Barbey et l'écrivain Julien Burri.
Et si vous préférez connaître le contenu du courrier de vos voisins, rendez-vous à la salle communale, c'est à deux pas également. On y entend Manuella Maury et Pierre-Isaïe Duc lire leurs lettres mutuelles à haute voix. Pierre-Isaïe, il est de l'autre côté du Rhône, de Chermignon. Et Manuella, c'est une enfant d'ici, la dernière du Benoît et de la Germaine, élevée au Café du Vieux-Bourg, partie à la ville, revenue au village avec la notoriété d'une journaliste vedette de la télé.
Le festival d'une enfant de Mase
Si Mase fête son troisième festival de la correspondance, si tout le monde y parle lettres d'amour sans trop rougir, c'est de la faute à Manuella. Elle a créé cette manifestation en souvenir de son papa disparu en 2016. Et depuis, tout Mase trempe sa plume, noircit des cartes postales, plie des enveloppes et colle des timbres. Ici, il n'y a pourtant plus vraiment de poste. Il faut aller à l'épicerie et c'est une factrice de la lointaine Evolène qui apporte le courrier.
L'an dernier, trois mille visiteurs ont arpenté les ruelles du village hérensard. Et quatre-vingts bénévoles œuvraient en coulisses, des cuisines aux scènes en passant par les accrochages d'expositions. En la matière Manuella et Mase sont des récidivistes. Avant ces Lettres de soie, troisième édition d'un festival de la correspondance, il y a eu La Nuit du conte, débutée en 1991 et toujours sous les étoiles chaque été.
L'attachement aux proches
Mase est dynamique. On y rénove beaucoup ces jours-ci. Les chantiers fleurissent et pour les besoins du festival, leurs échafaudages servent provisoirement de dazibao amoureux: "Cette fois-ci, c'est clair, je bâche!"
Il y a aussi des lettres de l'au-delà. Ainsi sur une pierre tombale du cimetière de Mase, on peut lire cette inscription gravée dans le fer: "Si tu ne sais pas où tu vas dans la vie, rentre à la maison". L'attachement à la communauté, aux proches, c'est aussi un des secrets du succès de ce festival littéraire perché à 1365 mètres d'altitude. Ou les mots les plus doux comme les plus âpres coulent dans les oreilles aussi bien que le vin dans les gosiers.
Thierry Sartoretti/ld
Lettres de soie, festival de la correspondance, Mase (VS), du 11 au 13 octobre 2019.