Comment naissent les poèmes? On a souvent l’impression que la poésie, de tous les arts de l’écriture, est le lieu par excellence de la création pure. C’est là et nulle part ailleurs, pense-t-on, que la liberté est absolue et que l’imagination ne connaît pas de limites.
Pourtant, dans le recueil qui nous intéresse aujourd'hui, il est question de termes aussi cartésiens que "géométrie" et "méthode". Qu’est-ce que ces mots barbares et scientifiques ont à voir avec la poésie? Si on y réfléchit bien, c’est logique. La poésie, c’est aussi un nombre de pieds définis, des règles de versification; en bref, la poésie, c’est aussi des mathématiques. Souvenez-vous de vos cours de français, à l’école. Vous comptiez sur vos doigts pour analyser des sonnets, des quatrains, des alexandrins et des décasyllabes. Eh oui, ne vous en déplaise, en faisant de la poésie, vous faisiez aussi des maths.
Ajouter du lyrisme
Mais à la différence des mathématiques, dans la poésie, il faut aussi ajouter un supplément d’âme. Et de musique. Rien ne sert d’agencer les mots en suivant aveuglément les règles établies, il faut encore y ajouter le lyrisme, le talent, l’inspiration. Sylviane Dupuis parvient magistralement à marier des concepts en apparence paradoxaux: méthode et poésie, géométrie et illimité. Elle pousse même l’audace jusqu'à nous donner une définition poétique de ce qu’est un poème:
Poème : cela qui abstraitement
embrasse et voue à la métamorphose
le corps déchiré du
réel –
Ce réel que l’on se prend en pleine face en découvrant ce poème est sans aucun doute la base de toute écriture. Mais le mot-clé se trouve peut-être un peu plus bas. Le dernier vers conclut avec une grande habileté:
[comme] la musique immatérielle
qui est une forme de l’amour
Les ingrédients de la recette
La recette commence à devenir plus évidente: prenez quelques grammes de réel. Traitez-les avec de la méthode et de la géométrie, saupoudrez le tout d’amour, vous obtiendrez de la poésie.
Ce n’est pas un hasard si j’ai choisi ici de vous parler de cette poétesse souvent trop discrète. Car en plus de ses talents d’écrivaine, Sylviane Dupuis a eu la bonne idée d’enseigner le français à des générations de collégiens et d’étudiants à Genève. J’ai eu la chance d’en faire partie, il y a plusieurs années. Et c’est seulement aujourd’hui, en écrivant ce texte, que je réalise pourquoi cette excellente pédagogue m’a réellement appris à écrire.
Là où je n’avais que de l’amour pour les mots, elle a su y ajouter de la méthode. Là où au contraire je ne faisais qu’appliquer les règles géométriques du français sans y ajouter mon âme, Sylviane Dupuis m’a appris les mérites de l’amour du langage. Depuis ce jour, j’ai compris que tout ce que l’on écrit se joue autour de cette délicate alchimie entre méthode et poésie. Audiard disait: "Bienheureux les fêlés, car ils laissent passer la lumière". Les poèmes de Sylviane Dupuis sont ainsi. Fêlés, et lumineux. La preuve:
ainsi
du poème
ses mots, un volet clos
dans les interstices duquel passe
– invisiblement –
l’ouvert
Mélanie Croubalian
Sylviane Dupuis, "Géométrie de l’illimité" suivi de "Poème de la méthode" (Editions Empreinte)
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