Après la chute du Mur de Berlin en 1989, plus d’un million huit cent mille Ossis se sont élancés vers l’Allemagne de l’Ouest. Laissant derrière eux un paysage fantôme.
L’abandon est un terreau fertile pour l’historien. Sidéré par les champs de ruines qui s’offraient à ses yeux, Nicolas Offenstadt a arpenté les moindres recoins de l’ex-Allemagne de l’Est (RDA), rencontré ceux qui sont restés, recherché quelques-uns de ceux qui sont partis et s’est installé pendant deux ans à Francfort sur l’Oder. Bâtiments administratifs sans âmes, barres d’immeubles, écoles, abattoirs, mais aussi quelques très belles usines datant du 19 siècle ou encore des villas de maître converties en entreprises socialistes rappellent à la mémoire un pays effacé.
Réunification, vraiment?
Car comment parler de réunification, souligne Nicolas Offenstadt, alors que l’Ouest n’a fait qu’une bouchée de l’Est? Et comment expliquer cet abandon longue durée sinon par le mépris avec lequel les Wessis considèrent trop souvent encore les Ossis. Et puis détruire et nettoyer coûte cher. Bizarre tout de même ce désintérêt de la part d’une puissance économique très attachée de surcroît à sa culture. Les commémorations seront peut-être l’occasion d’un regain d’attention.
Hors la loi, mais pas sans normes
Historien pur jus bardé de diplômes, Nicolas Offenstadt est aussi urbexeur. Entendez qu’il met un casque et de grosses chaussures de chantier pour se risquer – illégalement – à l’intérieur des ruines et collecter les plus petits indices, du papier d’esquimau vanille-noisette aux fleurs artificielles en passant par des milliers d’objets divers et autres archives éparpillées à même le sol, comme des bribes de vies traînées dans la boue.
L’urbex est un mouvement né dans les pays anglo-saxons (Urban exploration) qui a désormais ses fidèles de par le monde. Simples curieux, promeneurs avertis, photographes et quelques historiens qui font figure encore, dans leur branche, de pionniers. Attention, l’urbex n’est pas une simple randonnée, c’est une méthode. Qui a ses règles, ses réseaux sur la toile et ses débats: faut-il, par exemple, donner les adresses des lieux découverts et que l’on est supposé laisser en l’état? Il faut aussi être culotté, car tout cela se fait dans la transgression. Frisson garanti, avoue le baroudeur qui n’hésite cependant pas à reprendre ses habits académiques pour analyser ses sources.
Des fantômes et des hommes
Nicolas Offenstadt a pénétré et photographié plus de deux cent trente lieux fermés, interdits, ou abandonnés. Le résultat de ses enquêtes figure dans un essai "Le Pays disparu" (Editions Stock) et dans un livre illustré, "Urbex RDA" (Albin Michel). Au moment des commémorations autour des 30 ans de la chute du Mur de Berlin, l’historien urbexeur nous donne ainsi à voir un autre monde, figé, mais parfois réinvesti. Par des bandes de jeunes qui y font la fête, par des SDF qui y trouvent un abri, par des néonazis qui s’y cachent.
Anik Schuin/aq
"Le Pays disparu", Nicolas Offenstadt, Editions Stock
"Urbex RDA", Nicolas Offenstadt, Albin Michel
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"De l’autre côté du mur" de Wolf Biermann
La vie de Wolf Biermann raconte une histoire allemande. Le chansonnier et poète nait en 1936 à Hambourg. Son père, juif et communiste, est déporté et assassiné à Auschwitz. Après la guerre, le jeune Biermann adhère aux "Junge Pioniere" et décide de s’installer en RDA en 1953. Il travaille au Berliner Ensemble de Brecht avant de fonder son propre théâtre qui doit fermer quelques années plus tard suite à la représentation d’une pièce sur la construction du mur de Berlin.
Les autorités socialistes n’auront de cesse d’espionner et de brimer le poète jugé dissident, jusqu’à lui interdire définitivement toute publication. Pourtant, Wolf Biermann ne rêvait pas de l’Ouest. Fidèle à ses convictions, c’est le régime totalitaire qu’il épinglait dans ses textes. C’est l’ouest pourtant qui le rendra célèbre et diffusera son œuvre. La RFA deviendra à son corps défendant son nouveau pays, après que l’Etat socialiste l’aura déchu de sa nationalité à la faveur d’un concert qu’il donnait à Cologne. Cette déchéance provoquera des protestations et manifestations qui marqueront, selon les historiens, le début de la fin de la RDA. Dans une autobiographie tonique et éclairante qui vient de paraître en français, Wolf Biermann revient sur son parcours, ses idées, ses amis, ses amours.
asch
"De l’autre côté du mur", Wolf Biermann, trad. Olivier Mannoni, Calmann Lévy