"Mur Méditerranée", déjà récompensé par le Prix de la langue française 2019 a convaincu le jury étudiant par son souffle romanesque et sa puissance évocatrice. Inspiré du drame des clandestins sauvés par un pétrolier danois pendant l’été 2014, le roman brosse trois beaux portraits de femmes parmi d’innombrables silhouettes de migrants. Le Haïtien Louis-Philippe Dalembert a publié une dizaine de romans largement primés. "Mur Méditerranée", édité chez Sabine Wespieser, est aussi le choix Goncourt de la Pologne.
Le plus vendeur des prix littéraires francophones (après le Goncourt des lycéens) est décerné pour la cinquième année consécutive en Suisse, en collaboration avec l'Académie Goncourt et différents partenaires parmi lesquels l'Agence universitaire de la Francophonie et Payot.
Francophones mais pas que…
Cette "internationalisation" du Goncourt remis par des jurys d'étudiant.e.s se pratique dans une vingtaine de pays – dont la Chine et le Royaume-Uni – ou régions du monde (l'Orient, soit onze pays dont Djibouti et le Liban); la Pologne est la première à s'être lancée dans l'aventure en 1998 déjà.
Les étudiant.e.s des Départements de français qui s'inscrivent comme jurés proviennent de toutes les régions linguistiques de Suisse: outre les Universités de Fribourg et Neuchâtel, celles de Berne, Bâle, de la Suisse italienne, de Zurich, et l'École Polytechnique fédérale de Zurich se prêtent à cet exercice exigeant.
Il s'agit en effet de lire en moins de deux mois la quinzaine de livres figurant sur la première sélection de l'Académie Goncourt établie début septembre puis d'opérer le "choix Goncourt de la Suisse" avant celui de la France! Antériorité qui marque l'indépendance du jury étudiant par rapport à l'Académie. Preuve en est qu'en cinq ans, le Goncourt suisse n'a correspondu qu'une seule fois au choix du jury français: pour Mathias Enard en 2015 avec son roman "Boussole".
Fonctionnement démocratique
Ivy Fernandez et Maïtena Rais, toutes deux en master de lettres, ne regrettent pas de s'être inscrites. "Se plonger dans des livres choisis par d'autres, des romans souvent très éloignés de notre cursus, nous fait sortir de notre zone de confort, précise Ivy, de l'Université de Neuchâtel". D'autant que, selon Maïtena, Jurassienne étudiant à Bâle, l'objectivité exigée durant leurs études n'est plus de mise pour le Goncourt suisse!
Nulle consigne, règle de délibération, instruction de vote n'est donnée aux étudiant.e.s qui s'organisent librement au sein de leurs universités respectives pour sélectionner leurs favoris et participer, mi-octobre, à une première délibération nationale suivie d'une seconde et du vote final quinze jours plus tard. Une liberté qu'apprécie Carine Delplanque, conseillère de Coopération et d'Action culturelle à l'Ambassade de France en Suisse. Chaque haute école établit son tiercé gagnant avant la rencontre nationale à laquelle participent deux délégués par école.
Réviser son jugement
Le choix final ne correspond pas toujours à sa propre préférence. Pour Ivy, dont c'est la quatrième édition du Goncourt de la Suisse et Maïtena, qui était déléguée pour Bâle l'an dernier, cela fait partie du jeu, mais l'essentiel est ailleurs. Dans la découverte de plumes parfois inconnues, de visions du monde particulières, d'univers singuliers et d'échanges passionnés. Souvent, les étudiant.e.s prolongent ces rencontres Goncourt et se revoient pour parler de leurs coups de cœur. Qui a dit que la lecture était un plaisir solitaire?
Geneviève Bridel/aq
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Les cinq finalistes
Louis-Philippe Dalembert, "Mur Méditerranée" (Ed Sabine Wespieser)
Anne Pauly, "Avant que j'oublie" (Ed Verdier)
Natasha Appanah "Le ciel par-dessus le toit" (Gallimard)
Jean-Paul Dubois, "Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon" (L’Olivier)
Karine Tuil, "Les choses humaines (Gallimard)