C'est un genre qui ne cesse de faire des émules chez les lecteurs de tous poils. Confiné autrefois dans un marché de niche, le roman noir et policier est devenu populaire au point que de nombreux festivals thématiques lui sont consacrés.
La Suisse romande, terreau littéraire fertile, n'a pas échappé à la tendance. En 2016, à l'initiative de la Fondation pour l'Ecrit, la première édition de Lausan'noir a pris ses quartiers en ville de Lausanne. Dans la foulée, en 2017, fut créé le Prix du polar romand annoncé comme l'événement pivot du festival.
Mais le succès en demi-teinte de Lausan'noir n'a pas été à la hauteur des attentes de la Fondation pour l'Ecrit. Raison pour laquelle celle-ci a annoncé son retrait avant l'été. En attendant une quatrième édition qui aura lieu du 29 au 31 mai 2020 au casino de Montbenon, le Prix du polar romand a maintenu le cap, à l'initiative de la Ville de Lausanne.
La sélection du Prix du polar 2019 a rempli sa fonction: attirer l’attention sur la diversité de la scène locale du polar. On a largement de quoi se faire peur et se faire plaisir avec les auteurs d’ici.
Frédéric Jaccaud, lauréat 2019
C'est vrai qu'elle était variée cette dernière sélection. De jeunes romanciers y côtoyaient les têtes d'affiche que sont Nicolas Feuz et Marc Voltenauer. Polar historique, polar vintage, polar pastiche, plusieurs sous-genres étaient représentés sur une liste comportant dix titres. Des intrigues capables de dire quelque chose de notre société et de ses marges.
A l'issue d'une soirée organisée au théâtre Vidy-Lausanne mercredi 13 novembre, l'auteur vaudois Frédéric Jaccaud a été désigné lauréat de l'édition 2019 pour son livre "Glory Hole". Conservateur à la Maison d'ailleurs, Frédéric Jaccaud a déjà publié plusieurs romans dans la collection "Série noire" de Gallimard, une bonne adresse pour les connaisseurs.
Le livre du lauréat est mis en avant dans les librairies et les bibliothèques de la ville, et il fait l’objet d’une communication importante dans toute la francophonie. C’est un tapis rouge pour gagner une large audience.
"Glory Hole", immersion fatale dans les eighties
Attention, roman noir! Noir profond. Un puits sans fond. L'amateur de polar classique passera son chemin: "Glory Hole" ne comporte ni intrigue, ni enquête policière, pas plus de preuve ou de mobile.
On y trouve quand même un mort dans les premières pages, comme une concession au genre. Un caissier tué lors d'un braquage minable qui a mal tourné. Les criminels se nomment Jean et Michel. Ils ont la vingtaine à peine ébauchée et bricolent leur vie dans une cité portuaire française. Ils ont grandi dans le même orphelinat, aux côtés de Claire. Une amitié farouche et un rêve de communauté ont uni ces trois enfances malmenées.
Leur magot planqué au fond de leur sac, Jean et Michel fuient aux Etats-Unis avec l'espoir de retrouver Claire. Celle-ci s'est dissoute dans les profondeurs d'une industrie pornographique en plein développement. Car "Glory Hole" se situe dans les années 1980. L'émergence de la vidéo et d'une technologie abordable a multiplié les possibilités de tournage et de visionnage. La côte ouest-américaine est devenue un terrain d'expérimentation où copule une faune hétéroclite et marginale.
Jean et Michel, flambeurs désemparés, vont s'immiscer peu à peu dans ce milieu interlope à la recherche de Claire. Au risque de s'y perdre à leur tour.
Qu’importe au final l’origine d’un matériel qui croît comme de la mauvaise herbe, car la foule des amateurs ne cesse de consommer et de grandir. La pornographie cinématographique fleurit tel un déluge printanier que rien ne peut endiguer.
Comme une épreuve
Il y a dans "Glory Hole" une dimension documentaire indéniable. Frédéric Jaccaud n'hésite pas à interrompre son récit pour en éclairer le contexte avec un grand souci de précision. Cette même précision quasi obsessionnelle s'exprime dans les innombrables descriptions qui jalonnent ces pages: un objet, un geste, un visage, un corps contraint… Tout semble cadré et pixellisé par un œil scrutateur, capable de zoomer à l'infini.
Les corps maltraités n'y sont certes pas en gloire, mais la phrase, souvent ample et déliée, offre un antidote bienvenu contre les hauts le cœur qui peuvent saisir le lecteur. Car au-delà de l'épiderme et des veinules qui le strient, l'auteur sonde l'âme humaine et ses abysses.
"Glory Hole", un roman comme une épreuve. Sans mobile.
Jean-Marie Félix/aq
"Glory Hole", Frédéric Jaccaud, édition des Arènes, 2019.
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