Il voyait auparavant l'immobilisme comme la répétition générale de la mort. Désormais, l'écrivain aventurier Sylvain Tesson s'est calmé. Pour observer la panthère des neiges, un des plus rares félins au monde, il s'est mis à l'affût avec son compagnon de route, le photographe animalier Vincent Munier. Une expérience mystique au Tibet qui a donné vie à un carnet intime, récompensé par le Renaudot 2019, et un livre photographique. Mais également à un autre mode existentiel.
"J'avais construit ma vie sur le principe du mouvement: je me déplaçais, je voyageais et je pensais que plus on accumulait de kilomètres, plus on vivait des choses variées, intenses et dignes de souvenirs", explique sur le plateau du 12h45 Sylvain Tesson.
"Maintenant, je vois cela différemment. J'ai compris qu'en offrant au monde la patience, l'attention, la mise aux aguets, la mise en haleine de soi-même comme dit Montaigne dans "Les Essais", on a un autre usage du monde. Tout à coup, on décide que c'est le monde, les bêtes, les impressions de la lumière sur les reliefs qui vont apporter la variété. Et pas uniquement votre fébrilité et votre agitation."
Une réponse à la fébrilité générale, à l'espèce d'épilepsie collective qui est en train d'étreindre l'humanité
Celui qui a traversé l'Himalaya à pied et les steppes d'Asie centrale à cheval estime aujourd'hui que cette mise à l'affût, que ce soit sur un haut plateau tibétain ou dans une ville européenne, peut constituer "une réponse à la fébrilité générale, à l'espèce d'épilepsie collective qui est en train d'étreindre l'humanité."
"C'est une échappée. Tout à coup, décider que dans le carré qui vous est imparti (...) vous pouvez vivre l'affût dans votre jardin ou dans le parc de votre ville. A ce moment-là, il faut laisser le temps faire surgir les choses", raconte l'auteur français.
Le jour où j'ai vu la panthère, ça a été le plus fort saisissement depuis ces cinq années
De cette expérience mystique, Sylvain Tesson a tiré un récit de voyage, mais également un pudique récit de deuil, après le décès de sa mère et son propre accident en 2014. Le grand voyageur tombe alors des hauts d'un chalet à Chamonix et se retrouve dans le coma.
"J'ai vécu un gros pépin existentiel", déclare l'écrivain. "Je suis tombé d'un toit et j'ai failli mourir. Puis d'un coup, je suis revenu à moi. Ça fait cinq ans que, par la chance, par le hasard, peut-être par des forces mystérieuses, m'a été octroyé un sursis, un surcroît, une partie gratuite comme on dit au flipper dans les bistrots. Et le jour où j'ai vu la panthère, ça a été le plus fort saisissement depuis ces cinq années."
Une expérience puissante pour Vincent Munier également. "C'est assez intérieur et personnel", confie le photographe. "J'aime avoir des buts, la panthère en est un, le loup blanc sur l'île d'Ellesmere en est un autre. Cette démarche est belle. Il m'est arrivé de faire un mois d'expédition sans voir l'animal recherché et j'ai passé des moments fabuleux."
Propos recueillis par Julie Evard
Adaptation web de Tamara Muncanovic
"La panthère des neiges" de Sylvain Tesson, disponible aux éditions Gallimard
"Tibet, minéral animal", de Vincent Munier et Sylvain Tesson, disponible aux éditions Kobalann