Publié

Cécile Coulon: "Le lecteur est un animal impossible à domestiquer"

L'auteure Cécile Coulon. [DR - Ed Alcock]
L'invitée: Cécile Coulon, "Une bête au Paradis" / Vertigo / 46 min. / le 4 décembre 2019
A 29 ans, Cécile Coulon a déjà écrit une dizaine de livres, dont sept romans. Le dernier, "Une bête au Paradis", qui a reçu en septembre le prix littéraire du journal "Le Monde", raconte une histoire d'attachement viscéral à la terre. C'est rugueux, sensuel et organique.

"Prodige", "Parcours fulgurant", "Surdouée". Il faut avoir le mental d'une marathonienne et l'espièglerie d'une enfant sage pour continuer à tracer son chemin sans se faire piéger par tant de compliments. Mais peut-être les choses sont-elles encore plus simples. Cécile Coulon sait ce qu'elle veut et la place qui lui convient dans ce monde: "faire le métier de l'imagination", comme elle décrit son travail d'écrivain, et vivre là où elle se sent bien, à Clermont-Ferrand, dans cette Auvergne qui l'a vue naître.

Je préfère me lever devant une chaîne de volcans que devant une chaînes d'immeubles.

Cécile Coulon, romancière, poétesse et essayiste, autrice de "Une bête au Paradis".

Marathon de promotion

L'Auvergnate est aussi très lucide concernant les prix littéraires  - elle en a déjà reçu plusieurs, dont le Prix Guillaume Apollinaire. "Cela fait plaisir. C'est bon pour moi et pour mon éditeur, mais ce n'est qu'un passage. Aujourd'hui, c'est moi, demain ce sera quelqu'un d'autre. L'important, c'est de continuer". Pour tracer sa route, elle a un truc: la course à pied qui lui permet de trier sa pensée, la ranger et aussi de se défouler d'une activité terriblement solitaire.

Les actes avant les paroles

Depuis son premier livre publié à 16 ans, "Le Voleur de vie", Cécile Coulon a déjà écrit une dizaine d'ouvrages, dont sept romans. Le dernier, "Une bête au Paradis" (Editions de l'Iconoclaste) est un huis-clos dans une ferme isolée, baptisée le Paradis, et dirigée par Emilienne. Cette matriarche a élevé seule ses deux petits-enfants, Blanche et Gabriel, "aussi frêle dans sa peau que gigantesque dans son chagrin". On suit ces personnages sur plusieurs décennies.

Dévouée, avec un sens du devoir aiguisé, Emilienne comme "une ogresse affamée" parle peu. "Elle a tellement de sentiments qu'elle est incapable de mettre des mots dessus. C'est le cas de tous les personnages du roman. Ils ne se définissent pas par le langage mais par leurs actes."

D'ailleurs, chaque chapitre du livre est scandé par un verbe: faire mal, protéger, construire, surmonter, grandir, vivre, venger, surgir ou mordre.

L'espace rural au coeur de l'espace littéraire

Autour de ce trio, il y a Louis, le commis d'Emilienne, et Alexandre, premier amour de Blanche. Le jeune homme, ambitieux et urbain, viendra tout chambouler dans la vie de sa fiancée, sauf son attachement viscéral à la terre. Désirs féroces, sacrifices, résiliences, trahisons, vengeances étayent ce roman rugueux et organique qui vient de recevoir le prix littéraire du journal "Le Monde".

Je voulais remettre au centre de la littérature les espaces ruraux qu'on a tendance à oublier alors que sans eux, on n'existe pas.

Cécile Coulon, écrivaine.

Une fable plutôt qu'un roman sociologique

Née et élevée dans un petit village d'Auvergne, la romancière s'est vaguement inspirée de la ferme de sa grand-mère maternelle. Elle n'y a jamais travaillé mais y a passé plusieurs vacances, le temps de comprendre que pour arriver à maintenir un domaine, il faut accomplir beaucoup de travail. Pour le reste, elle avoue de ne pas s'être documentée sur la réalité agricole, sinon auprès des paysans pour éviter les erreurs techniques.

Il ne s'agit pas d'une radiographie de ce qui se passe aujourd'hui dans les campagnes françaises mais d'une fable, d'un conte. C'est pourquoi j'ai gommé tous les indices spatio-temporels. Je fais le métier d'imagination, pas de sociologue.

Cécile Coulon

Une bonne histoire doit avoir un bon conteur

Reste que Cécile Coulon accorde beaucoup d'importance aux détails techniques, à la part descriptive de ses histoires. "Le lecteur est intransigeant. Il veut bien suspendre la réalité sur une narration mais pas sur une description. Une seule erreur technique, aussi minime soit-elle, la moindre invraisemblance, et il redescend sur terre. Le lecteur est un animal impossible à domestiquer".

Après sa tournée de promotion en francophonie, l'écrivaine publiera en janvier un recueil de poèmes, "Noir Volcan", tout en travaillant à son prochain livre: un roman gothique forestier. L'important, pour elle, n'est pas de trouver une bonne histoire mais de bien la raconter.

Quelle est la différence entre un livre médiocre et un bon livre? C'est le bon mot au bon endroit, c'est accompagner une histoire avec une langue qui lui est spécifique, et qui restera unique.

Cécile Coulon, autrice de 29 ans.

Propos recueillis par Laurence Froidevaux

Texte et adaptation web: Marie-Claude Martin

Publié