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Les années valaisannes du grand poète autrichien Rainer Maria Rilke

Rainer Maria Rilke. [Keystone]
Rilke, 100 ans plus tard ? / Nectar / 31 min. / le 10 décembre 2019
Il y a cent ans, après une vie faite de voyages, le célèbre poète de langue allemande Rainer Maria Rilke s'installe dans la région de Sierre. Et c'est là qu'il compose ses dernières oeuvres et termine sa vie.

Né en 1875 à Prague - alors située en Autriche-Hongrie - Rainer Maria Rilke était destiné à une carrière militaire. Il se voue finalement au journalisme puis à la littérature et devient l'un des poètes de langue allemande les plus importants de la première moitié du XXe siècle.

Passionné de voyages, Rainer Maria Rilke se trouve à Munich lorsque la Première Guerre mondiale éclate. Il ne peut plus rejoindre Paris où il a son pied-à-terre. Obligé de rester en Allemagne, il vit alors des années de tourmente durant lesquelles il n'arrive plus à écrire. Le poète cherche par tous les moyens à partir. C'est donc avec joie qu'il accepte de venir en Suisse pour une tournée de lectures en 1919. Durant ce voyage, il est ébloui par les paysages helvétiques qu'il découvre pour la première fois et rencontre ses futurs mécènes.

Après de brefs séjours au bord du Léman, dans les Grisons, à Berne et à Zurich, il emménage en 1921 dans le spartiate manoir de Muzot situé à Veyras, sur les hauts de Sierre. Un lieu d'abord loué puis acheté à son attention par son mécène Werner Reinhardt. Fasciné par cette région, Rilke renoue enfin avec sa créativité d’avant-guerre et retrouve Baladine Klossowska - la mère du peintre Balthus et de Pierre Klossowski - qu'il avait rencontré quelques années auparavant à Paris. Elle devient sa muse et son dernier amour. Le poète autrichien, atteint depuis plusieurs années d'une leucémie, décède le 29 décembre 1926 à la clinique de Valmont à Montreux.

Un sentiment d'harmonie avec la nature valaisanne

Rilke dans le vignoble valaisan. [DR]
Rilke dans le vignoble valaisan. [DR]

A Muzot, lui, le nomade de toujours, a enfin découvert un lieu où "s'enraciner". En 1975, dans une archive de la RTS, l'écrivain valaisan Maurice Zermatten racontait: "Rilke avait trouvé ici un peu de Provence, un peu d'Espagne et surtout beaucoup de Russie. Le grand secret de l'attachement que Rilke a manifesté pour le Valais, jusqu'à désirer y mourir et y être enterré, vient de cet accord profond qui s'est établi entre lui, une terre et des gens très simples, et à cette présence spirituelle. Même s'il était à ce moment-là très loin de partager la foi des gens qui l'entouraient, il sentait qu'il y avait une présence poétique qui s'accordait parfaitement avec l'oeuvre qu'il devait terminer".

Interrogée par la RTS, Brigitte Duvillard, conservatrice de la Fondation Rilke à Sierre, abonde dans ce sens: "le climat, la végétation, tout lui convenait. Mais il n'aimait pas les hautes montagnes sauvages. Il aimait les vignes et les vergers. Il était très sensible à la nature cultivée par la main de l'homme. C'est vraiment cette nature avec laquelle il s'est trouvé en osmose qui l'a marqué et lui a permis d'accomplir son oeuvre".

Autant Rilke était un nomade avec une vie faite de voyages à travers l'Europe, autant il avait besoin d'être ancré quelque part pour pouvoir écrire.

Brigitte Duvillard, conservatrice de la Fondation Rilke à Sierre

Dans sa vie, le poète autrichien a traversé des périodes où il a été incapable d'écrire. En Valais, enfin apaisé, il compose certaines de ses oeuvres les plus importantes. "Et on l'oublie trop souvent", insiste Brigitte Duvillard. " 'Les Elégies de Duino', l'un de ses chefs-d'oeuvre, a été commencé en 1911 en Italie. Mais il faudra attendre dix ans pour qu'il puisse les terminer à Muzot. Et cela n'a été possible que grâce à ce sentiment d'harmonie qu'il ressentait avec ce paysage valaisan".

Le Valais offre l’un des paysages les plus magnifiques qu’il m’ait été donné de voir; il a, en outre, cette capacité extraordinaire d’offrir des équivalents multiples à notre vie intérieure.

Rainer Maria Rilke, dans une correspondance avec Xaver von Moos en 1922

Le poète Philippe Jaccottet, un des principaux traducteurs de Rilke en français, expliquait dans cette même archive de 1975 les spécificités des textes composés en Valais: "Quand il était jeune, Rilke écrivait des poèmes d'automne, de crépuscule et de fin de vie. Dans les dernières années de sa vie, ce sont des poèmes printaniers, extrêmement lumineux et transparents. Plus simples et où toute la mythologie, y compris les anges, a disparu."

Quatre recueils de poèmes écrits en français

En Valais, en plus de textes en langue allemande, Rilke écrit également de nombreux poèmes en français, regroupés dans les recueils "Vergers", "Quatrains valaisans", "Les Fênetres" et "Les Roses". Ce dernier recueil de 24 poèmes a été envoyé à son éditeur trois semaines avant sa mort et sera publié à titre posthume.

>> A voir: Une nouvelle pièce maîtresse pour la Fondation Rilke à Sierre :

Une nouvelle pièce maîtresse pour la Fondation Rilke à Sierre
Une nouvelle pièce maîtresse pour la Fondation Rilke à Sierre / 12h45 / 1 min. / le 29 janvier 2020

Le poète a laissé de nombreux textes et lettres écrits depuis la Suisse qui sont conservés à la Fondation Rilke et à la Bibliothèque nationale suisse. "A travers sa correspondance, on découvre que le poète autrichien a eu un cercle de connaissances et d'amis en Valais et qu'il n'était pas aussi ermite qu'il voulait bien le dire", raconte la conservatrice de la Fondation Rilke. Parmi ces amitiés, il y a celle qui l'a liée à Jeanne de Sépibus-de-Preux, une aristocrate sierroise pour qui il écrira, à sa demande, le poème "Noyer" et à qui il dédiera les "Quatrains valaisans".

Jeanne de Sépibus-de-Preux. [Fondation Rilke]Fondation Rilke
Entretien avec Jeanne de Sépibus-de Preux à propos de Rilke / Nectar / 5 min. / le 10 décembre 2019

Cent ans après son arrivée en Suisse, le souvenir du poète est encore bien présent dans la région sierroise et en particulier dans trois lieux: l'église de Rarogne, où le poète est, selon ses dernières volontés, enterré, la Fondation Rilke à Sierre qui s'occupe depuis 1986 de mettre en valeur l'oeuvre du poète et à Muzot, où son manoir - qui appartient toujours à la famille Reinhardt - ne peut pas être visité, mais dont le jardin qui avait tellement émerveillé Rainer Maria Rilke peut toujours être admiré.

Propos recueillis par Marlène Métrailler

Texte et adaptation web: Andréanne Quartier-la-Tente

"Fondation Rainer Maria Rilke", Sierre.

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